Intervention de Bernard Bonne

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 juillet 2022 : 1ère réunion
Désignation d'un rapporteur

Photo de Bernard BonneBernard Bonne :

rapporteur. – Je rappelle que les travaux de notre commission avaient pour objet non pas le groupe Orpea ou la loi Grand Âge, mais le contrôle du contrôle. Nous avons naturellement débordé du cadre – nous souhaitions même le faire davantage – et nous n’avons pas été bienveillants, il est vrai, tant ce que nous avons appris au cours des différentes auditions nous a paru scandaleux. Dans la mesure où nous devions répondre à la mission qui nous a été confiée, nous n’avons pas inclus dans le rapport l’ensemble de nos observations et recommandations. Lorsque le projet de loi Grand Âge sera examiné, nous pourrons nous exprimer plus largement.

Des décrets ont été pris en urgence par le Gouvernement, entre la publication du livre de Victor Castanet, le rapport IGAS-IGF et la remise de notre rapport : ils prévoient un contrôle approfondi de la section hébergement notamment. Des modifications législatives seront néanmoins nécessaires pour imposer, dans l’intérêt des résidents, des contrôles plus stricts à ces groupes, qui, chaque fois, leur opposent le secret des affaires.

Nous avons en outre constaté un mélange dans les tarifications, entre les soins et la dépendance d’une part, qui relèvent de l’État et des départements, et l’hébergement d’autre part. Or, quand on fait glisser du personnel de l’un à l’autre, en particulier de l’État vers l’hébergement, il s’ensuit une modification de l’orientation de l’argent public. C’est ce à quoi s’est livré Orpea, et ce n’est pas normal. Nous devons donc modifier la loi pour contrôler plus efficacement le volet hébergement dans l’ensemble du secteur médico-social.

En ce qui concerne la place du privé, Michelle Meunier et moi-même avions tendance à remettre en cause, au début de nos travaux, l’existence même du secteur privé, commercial et social ne faisant pas bon ménage. Je vous assure aujourd’hui que la suppression du secteur privé est impossible. Mme la présidente l’a fait remarquer, que ferait-on des résidents de ces établissements ? Qui est en mesure aujourd’hui de racheter l’ensemble des biens immobiliers des groupes privés ?

Un encadrement beaucoup plus important est en revanche nécessaire. Nous devons aussi doter le secteur public de moyens supplémentaires pour lui permettre d’acquérir de l’immobilier. La simple gestion des établissements est à la portée de tous et le secteur public a démontré qu’il en était parfaitement capable. Finalement, tous les établissements se heurtent à la même difficulté : un manque de moyens – les directeurs réclament au plus vite en moyenne deux personnes supplémentaires par établissement – auquel – je l’espère ! – la loi Grand Âge pourra remédier.

L’évolution du secteur privé lucratif doit être contenue. Dans certains départements, la proportion d’établissements relevant de cette catégorie atteint quasiment 50 % quand, dans d’autres, elle n’est que de 8 à 9 %. Nous n’avons pas fixé de limite chiffrée, mais la loi Grand Âge pourrait en instaurer une.

Il convient également de mieux contrôler les autorisations. Auparavant, quand un groupe rachetait un établissement privé, on se contentait de signer. L’absence de contrôle explique en partie les niveaux de rémunération exceptionnels des directeurs de groupe. Si les directeurs et les personnels des établissements font leur travail avec les moyens dont ils disposent et les contraintes qui sont les leurs, il faut contrôler les rémunérations au niveau du groupe. Dans les groupes privés, on n’attribue de rémunérations qu’en fonction des résultats. Si demain les résultats sont moins bons – ils le seront, l’action Orpea ayant déjà perdu 80 % en l’espace de six mois – les rémunérations le seront également.

M. Mouiller évoquait l’augmentation du nombre de places dans trente ans. Dans un rapport que nous avons remis récemment avec Michelle Meunier, nous avions fait un pari : ne plus créer de places en établissement, mais privilégier le maintien à domicile et les structures intermédiaires. Force est de reconnaître que nous allons devoir créer des places supplémentaires. Une annonce du Gouvernement passée relativement inaperçue prévoit de supprimer l’ensemble des unités de soins de longue durée (USLD) et de placer 80 % de leurs résidents – soit près de 20 000 personnes – en maison de retraite. Des unités de soins prolongés complexes (USPC) seront créées pour accueillir les 20 % restants. En un mot, il faut maintenir la place du privé, mais le contrôler beaucoup plus.

J’en viens aux interrogations soulevées par Mme Lubin : les dysfonctionnements constatés dans les groupes privés étaient-ils connus, avérés et tolérés par les autorités de contrôle ? La réponse est non, et c’est précisément ce qui nous semble scandaleux. Personne ne s’est posé la question. Un ancien membre du corps préfectoral, ancien directeur d’ARH, est même parti travailler quelque temps comme conseiller du groupe Orpea. Personne n’imaginait à quel point tout y était fait pour gagner de l’argent. Les consultants de McKinsey ou autres étaient beaucoup plus forts qu’imaginé. Ils ont trouvé toutes les failles du système qui permettaient d’engranger des dividendes et ils ne s’en sont pas privés.

Madame Apourceau-Poly, nous ne pouvions aller beaucoup plus loin dans le cadre de ce rapport, mais la question que vous avez soulevée pourrait être abordée dans le cadre de la loi Grand Âge.

Je remercie Mme Poncet-Monge pour sa présence à l’ensemble des auditions. Il était nécessaire que le Sénat fasse preuve de fermeté. Je rappelle également que le groupe Orpea n’est pas le seul concerné.

Mme Émilienne Poumirol. – Tout à fait !

rapporteur. – Il me semblait important d’inscrire dans le rapport l’extension du contrôle à tous les groupes privés dans les deux ans. Orpea a été montré du doigt, mais je vous assure que des exagérations ont eu lieu dans beaucoup d’autres groupes privés commerciaux. Ce n’est pas mentir que de dire que les profits y ont été extraordinairement élevés.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Cela aurait dû susciter des interrogations !

rapporteur. – Peut-être…

Alors que nous avons contrôlé les établissements – parfois même les départements –, personne, pas même les directeurs d’ARS – c’est anormal –, ne s’est soucié de contrôler les groupes. Or le système Orpea, copié par beaucoup d’autres, l’a bien montré : tout remontait au niveau du groupe, où les flux financiers notamment bénéficiaient d’une opacité complète. Les grands groupes ont pu profiter allègrement de cette absence de contrôle.

Concernant la proposition visant à supprimer les dispositifs de défiscalisation, nous devons réfléchir, dans le cadre de la loi Grand Âge, aux moyens d’aider au maximum les établissements publics, afin que l’immobilier ne soit pas une difficulté financière majeure, comme c’est aujourd’hui le cas. Si les groupes privés ont prospéré, c’est parce que le secteur public n’avait pas les moyens de rivaliser en la matière.

La gestion, tout le monde sait faire. Le personnel est identique dans le public et dans le privé. Nous devons supprimer cette défiscalisation, jusqu’ici trop profitable aux groupes sans que les investisseurs en bénéficient réellement. Nombre de particuliers se sont fait berner après avoir investi dans de l’immobilier pour ces grands groupes. Au bout d’un certain temps, lorsque l’établissement n’était plus conforme, ils se sont retrouvés propriétaires d’un établissement vide, quand d’autres obtenaient des autorisations de poursuite d’activité en tant qu’Ehpad. La recommandation n° 16 vise effectivement à modifier cette possibilité de défiscalisation afin de priver les grands groupes de cet avantage comparatif.

Nous avons également fait le constat que les capacités financières des grands groupes leur permettaient de répondre très rapidement aux appels à projets et, bien souvent, de les remporter. Dans ce contexte, il faudra revoir l’ensemble des autorisations de transfert, de rachat et d’implantation.

La loi Grand Âge permettra d’améliorer considérablement la situation – il le faut. Le nouveau ministre des solidarités souhaite nous rencontrer à ce sujet, preuve qu’il s’y intéresse. J’espère qu’il aura la force de persuasion suffisante pour convaincre le Gouvernement de soumettre un projet de loi au Parlement. Quels seront les moyens associés ? C’est tout le problème. Si nous pouvons empêcher des dérives, il est certain que nous ne pourrons continuer à travailler sans moyens supplémentaires.

Je remercie M. Castanet pour son livre. Il nous a permis de dévoiler ces anomalies et de dénoncer le système. Je note que l’audit interne mis en place par le groupe Orpea est arrivé aux mêmes constatations que la mission IGF-IGAS. J’ai le sentiment que M. Philippe Charrier, jusqu’ici président-directeur général par intérim d’Orpea, avait vraiment la volonté de remettre les choses en place.

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