rapporteure générale. – Mon propos s’inscrit dans la continuité des échanges que nous venons d’avoir avec M. Amghar, que je remercie d’avoir mis de nombreux éléments à notre disposition. Comme lui, j’estime qu’il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
La Mecss a pris l’habitude de confier au rapporteur général de notre commission le soin d’élaborer au printemps un rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale. Nos travaux ont connu cette année un léger décalage du fait des élections. Cette démarche est très justifiée, puisque ce n’est pas au moment où nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l’année suivante que nous avons le temps de nous pencher sérieusement sur la gestion passée.
Pour autant, le rapport que je vous présente aujourd’hui est le dernier du genre. En effet, dès l’année prochaine, il prendra une coloration législative, dans le cadre de l’examen du premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), relatif à l’année 2022. Nous serons alors invités à faire suivre nos constats d’un vote sur ce projet de loi.
Pour l’heure, nous n’examinerons qu’un rapport d’information, divisé en deux parties. Je ferai d’abord un point sur la situation financière de la sécurité sociale, en vous précisant que la tenue très tardive de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) n’a pas facilité cet examen. Je vous dresserai ensuite un premier bilan de certaines mesures emblématiques de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, en sachant que certaines d’entre elles ne sont applicables que depuis quelques mois.
S’agissant des comptes de la sécurité sociale, le verre est à moitié vide ou à moitié plein, suivant la façon dont on les examine : à moitié vide, car le déficit enregistré en 2021 reste considérable – 24 milliards d’euros – sur le périmètre de l’ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), soit le troisième plus fort déficit de l’histoire de la sécurité sociale ; à moitié plein, si l’on considère, d’une part, que ce résultat est bien meilleur que la prévision inscrite dans la LFSS pour 2021 – 34,9 milliards d’euros – et, d’autre part, qu’il constitue aussi une amélioration spectaculaire de quelque 15,7 milliards d’euros par rapport à celui de l’année 2020, qui s’élevait à 39,7 milliards d’euros.
Pour autant, la Cour des comptes nous invite à fortement tempérer ce constat. En effet, elle a refusé de certifier les comptes de la branche recouvrement, considérant que les produits de l’année 2020 sur les travailleurs indépendants étaient minorés de 5 milliards d’euros et que ces mêmes produits étaient majorés du même montant au titre de l’année 2021. L’amélioration réelle du résultat de la sécurité sociale serait donc de 5,7 milliards d’euros et non de 15,7 milliards !
Je prends acte de ce constat en le tempérant toutefois à mon tour, en complément des critiques formulées tout à l’heure par M. Amghar : en 2020, la branche vieillesse avait bénéficié d’un produit tout à fait exceptionnel de 5 milliards d’euros, à savoir l’encaissement de la soulte de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, ou « soulte Cnieg », que gérait le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). Au bout du compte, il me semble donc qu’on peut estimer l’amélioration structurelle entre 2020 et 2021 à environ 10 milliards d’euros.
Cette évolution peut être expliquée par la seule progression des recettes, bien plus forte que ce qui était anticipé, à hauteur de 25,6 milliards d’euros. La reprise, plus vigoureuse que prévue, explique cette performance. On relèvera en particulier le dynamisme de la masse salariale, en croissance de 8,9 %, contre 6,2 % en prévision initiale.
En face, les dépenses affichent elles aussi une forte hausse, bien que moindre que celle des recettes : 15 milliards d’euros supplémentaires par rapport à la prévision initiale, cet écart étant très concentré sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam).
Même si le solde est globalement favorable, on peut difficilement nier que les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale ont été bouleversées en cours d’exercice. Toutefois, tout comme en 2020, cela n’a pas donné lieu au dépôt d’un texte rectificatif ou même à une simple consultation du Parlement. Espérons que l’entrée en vigueur du nouveau cadre organique, le 1er septembre prochain, changera ces habitudes lorsque cela sera nécessaire.
Les branches accidents du travail – maladies professionnelles (AT-MP), famille et autonomie ont retrouvé le chemin de l’équilibre l’année dernière. Pour ces branches, la crise de 2020 a été essentiellement marquée par une baisse des recettes et le fort rebond de celles-ci en 2021 a suffi à les faire repasser dans le vert.
La branche vieillesse reste, pour sa part, dans le rouge, avec un déficit de 1,1 milliard d’euros ; un solde dégradé reste à prévoir en raison des évolutions démographiques.
La branche maladie apparaît comme la branche malade, anémiée, de la sécurité sociale. En 2021, son déficit reste considérable : 26,1 milliards d’euros. Conjoncturellement, l’Ondam a progressé de 8,6 % en 2021 pour atteindre 239,8 milliards d’euros, soit une hausse de 8,6 % par rapport à 2020, année où l’Ondam avait déjà progressé de 9,4 %. Par rapport à la prévision initiale, l’écart est de 14,4 milliards d’euros, dont 13,9 milliards au titre de la réponse à la crise sanitaire. Surtout, il est difficile d’envisager une perspective de retour à l’équilibre de la branche, même à moyen terme, notamment du fait des effets pérennes du Ségur de la santé.
Je ne dirai qu’un mot sur 2022 : sous une forme amoindrie, cet exercice suit la même tendance que 2021, à savoir un solde meilleur que la prévision, avec un déficit de seulement 16,8 milliards d’euros au lieu de 20,4 milliards. Là encore, la hausse prévue des dépenses – 12 milliards d’euros – serait plus que compensée par un fort dynamisme de la masse salariale et donc des recettes, qui augmenteraient de 15,6 milliards d’euros. La reprise de la croissance a eu un impact très favorable sur les comptes sociaux, mais les effets de la nouvelle crise inflationniste ne sont pas encore visibles.
Au bout du compte, même avec ces assez bonnes nouvelles, l’endettement de la sécurité sociale reste préoccupant. En particulier, le plafond de 136 milliards d’euros de reprise de déficits par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) que nous avons voté en 2020 sera certainement saturé avant la fin de 2023. Dès lors, la question de la reprise de tout déficit futur et d’une nouvelle prolongation de la Cades finira immanquablement par se poser. Il reviendra donc aux pouvoirs publics, Gouvernement et Parlement, de formuler des choix dès cet automne, dans le cadre du prochain PLFSS et de la loi de programmation des finances publiques. L’évolution de la croissance et des recettes sera un élément important, mais la maîtrise des dépenses, en particulier des branches maladie et vieillesse, pourra difficilement être mise sous le tapis.
Après ces constats financiers, je veux évoquer la mise en œuvre de plusieurs mesures de la LFSS pour 2021, sous le contrôle des rapporteurs de branche, à savoir la mise en place de la cinquième branche, l’allongement de la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant, et le lancement du plan de désendettement et d’investissement des hôpitaux.
S’agissant de la création de la branche autonomie, je pense que nous sommes en quelque sorte à mi-chemin.
Certes, il n’y a pas grand-chose à redire sur la mise en place technique de cette branche. La LFSS pour 2021 a adapté les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) afin d’en faire un véritable gestionnaire de branche. Ainsi, la caisse a désormais pour rôle de veiller à l’équilibre financier de la branche autonomie ; de piloter et d’assurer l’animation et la coordination des acteurs participant à la mise en œuvre des politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées et handicapées ; de contribuer au financement de la prévention de la perte d’autonomie, des établissements et services sociaux et médico-sociaux, des prestations d’aide à l’autonomie des personnes et des proches aidants, de l’investissement dans le secteur ; de contribuer à l’information des personnes et de leurs proches aidants en créant des services numériques facilitant leurs démarches ; de contribuer à la recherche et à l’innovation dans le secteur ; enfin, de contribuer à la réflexion prospective sur les politiques de l’autonomie et de proposer toute mesure visant à améliorer la couverture du risque. Cet organisme reçoit beaucoup de missions importantes, mais il va falloir lui donner les moyens d’agir !
Par ailleurs, le Gouvernement a publié les textes nécessaires à l’adaptation du fonctionnement et de l’organisation de la CNSA à l’univers de la sécurité sociale, en particulier au travers de l’ordonnance du 1er décembre 2021 relative à la mise en œuvre de la création de la cinquième branche du régime général de la sécurité sociale relative à l’autonomie. Jean-René Lecerf a été élu à la présidence du conseil de la CNSA au premier semestre de cette année. Ancien sénateur, ancien président du conseil départemental du Nord, M. Lecerf a été, pendant plusieurs années, le président de la commission des finances de l’Assemblée des départements de France (ADF). Son expérience de longue date d’élu local et national lui confère une véritable expérience des politiques d’autonomie dans toutes leurs dimensions et le respect des spécificités de la branche autonomie. Enfin, le conseil d’administration de la CNSA a approuvé, le 14 mars dernier, la convention d’objectifs de gestion qui lie la CNSA à l’État pour les cinq années à venir. D’un point de vue technique, la mise en place de la nouvelle branche est donc réussie.
En revanche, cette mise en place n’a pas été l’occasion de répondre aux lourds enjeux financiers auxquels la nouvelle branche devra faire face sous l’effet du vieillissement de la population, ce que nous ne pouvons que regretter. Comme Philippe Mouiller le sait bien, les sujets d’autonomie et de ressources de la branche sont donc encore largement devant nous.
S’agissant du congé paternité, l’article 73 de la LFSS pour 2021 a allongé la durée du congé de paternité et d’accueil de l’enfant de onze à vingt-cinq jours et de dix-huit à trente-deux jours en cas de naissances multiples. Il a également rendu obligatoire pour le père ou le concubin de la mère le bénéfice, d’une part, du congé de naissance, à la charge de l’employeur et d’une durée minimale de trois jours, et, d’autre part, d’une période de quatre jours de congé de paternité, immédiatement consécutive au congé de naissance. C’est donc durant une période totale de sept jours que les pères doivent désormais cesser de travailler à la naissance ou à l’adoption de leur enfant.
Cette réforme avait pour ambition d’accroître le taux de recours au congé de paternité, qui s’était stabilisé, depuis son instauration en 2002, au niveau de 67 %. Ce taux global plutôt élevé dissimulait toutefois une distribution hétérogène selon la situation socioprofessionnelle des assurés éligibles. Par exemple, le taux de recours au dispositif des pères en contrat à durée indéterminée était de 22 points supérieur à celui des pères en contrat court.
Cette réforme du congé de paternité est entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Elle n’a donc pas encore connu d’année pleine d’application et le bilan reste à ce stade difficile à dresser.
D’un point de vue budgétaire toutefois, la CCSS indique que l’allongement du congé de paternité a induit une hausse des dépenses d’indemnités journalières liées au congé de paternité de 95 millions d’euros en 2021, soit une augmentation de 41 % par rapport à 2020. Une baisse des recettes, qui se chiffrerait entre 50 et 100 millions d’euros, est également notée. Cette hausse du coût financier du congé paternité laisse présager un recours accru au congé qu’il n’est cependant pas encore possible d’objectiver précisément.
Selon les premiers chiffres communiqués, qui demandent encore consolidation ainsi que nous l’a mentionné la direction de la sécurité sociale, le nombre de congés de paternité aurait sensiblement crû, de l’ordre de 47 %, entre le second trimestre et le troisième trimestre de l’année 2021. De même, 62 % des pères ayant bénéficié d’un congé au troisième trimestre auraient choisi la durée maximale de vingt-cinq jours. Ces premiers éléments sont donc positifs. Le coût constaté de la réforme en 2021 serait néanmoins inférieur, et ce d’au moins 65 millions, à la prévision indiquée dans l’étude d’impact annexée au PLSS en 2020. Il serait donc possible que cette réforme n’ait pas encore atteint les objectifs ciblés.
Quoi qu’il en soit, tout juste un an après l’entrée en vigueur de cette réforme, il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Il conviendra dans les mois qui viennent de suivre l’évolution du nouveau dispositif, à mesure que des chiffres consolidés nous parviendront. Une fois que nous aurons le recul nécessaire, il serait tout à fait intéressant que la Mecss se penche spécifiquement sur cette réforme du congé paternité, si, bien entendu, tel est le souhait du rapporteur de la branche famille.
S’agissant enfin du plan d’assainissement de la situation financière et d’investissement des établissements de santé, je me suis attachée à la mise en place concrète de ce plan et non plus à l’origine des fonds – même si je regrette une nouvelle fois que 13 milliards d’euros de ce plan proviennent de la Cades, qui n’est pas faite pour cela.
Les éléments que j’ai obtenus m’amènent aux constats suivants.
En matière de gouvernance, les agences régionales de santé (ARS) sont très orientées par l’échelon central pour ce qui concerne le volet « désendettement » – ou « assainissement de la situation financière afin de recréer une capacité d’investissement » –, dont 80 % sont décidés au niveau national. Je le rappelle, ce volet devait à l’origine porter sur l’intégralité du plan, soit 13 milliards d’euros représentant environ un tiers de l’endettement total des établissements. Néanmoins, cette proportion a été ramenée à 6,5 milliards, à savoir environ un sixième de la dette des hôpitaux en LFSS pour 2021. Et les sommes correspondantes sont versées aux établissements sur une durée de dix ans.
En somme, si cela va dans le bon sens, on peut se demander si le rythme de ces apports permet vraiment de soulager les établissements éligibles à la hauteur de leurs besoins, comme l’a souvent observé Mme Raymonde Poncet Monge lors des entretiens que j’ai menés. Les établissements hospitaliers peuvent-ils véritablement investir de nouveau ?
À l’inverse, pour ce qui concerne les investissements, à partir d’un cadre fixé par circulaire ministérielle, les agences disposent d’une assez large autonomie de décision en matière de choix des projets.
Il y a donc des nuances dans les choix qu’ont pu faire les ARS que j’ai entendues : ainsi, si la dimension de structuration de l’offre de soins sur un territoire est très présente dans la politique de l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes ou des Pays de la Loire, elle l’est un peu moins dans celle de l’ARS d’Île-de-France, qui met en revanche un accent particulier sur les projets liés à la psychiatrie.
En revanche, il apparaît clairement que les enveloppes du plan permettent aux agences de débloquer des projets en attente, qui ne pouvaient jusque-là être soutenus faute de moyens, malgré leur aspect parfois structurant – je pense, en particulier, aux hôpitaux de proximité. De ce fait, la plupart des choix de projets ont pu être menés sur un rythme rapide.
Des interrogations demeurent cependant, tant sur la capacité des agences à soutenir des projets qui apparaîtraient dans un second temps que sur la capacité des établissements à tenir le budget de leurs projets, dans un contexte d’évolution sensible du coût de la construction. De même, la capacité des entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) à mener de front l’ensemble des projets des établissements n’est pas garantie.
Enfin, et cela sera ma principale conclusion, le volet « investissement » de ce plan, qui n’était pas prévu à l’origine, a été rendu indispensable par des années de sous-financement. Le rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2020 avait cruellement relevé que 83 % des établissements publics de santé consacraient moins de 3 % de leurs produits courants de fonctionnement à l’investissement courant en 2018, ce qui est unanimement considéré comme un seuil critique afin d’éviter la vétusté des installations existantes. C’est une réalité souvent soulignée par Laurence Cohen.
Ce sous-investissement chronique doit nous interroger sur les méthodes de régulation de l’Ondam puisque, pour tenir une enveloppe au sein de laquelle des montants moins contrôlables (soins de ville…) se révèlent dynamiques, l’investissement hospitalier peut apparaître comme une variable d’ajustement commode et indolore… jusqu’au moment où l’élastique craque et nécessite un plan d’urgence.
Notre commission a déjà proposé que l’investissement fasse l’objet d’un sous-objectif spécifique, dont le Parlement pourrait adopter le montant en prévision et en exécution. Cette demande me semble plus pertinente que jamais.