Nous sommes heureux de recevoir aujourd'hui M. Clément Beaune, ministre chargé de l'Europe dans le nouveau gouvernement issu de la récente séquence électorale. C'est avec un plaisir sincère que nous nous apprêtons, en ce début de quinquennat, à poursuivre les échanges de qualité que nous avons toujours entretenus avec vous, monsieur le ministre, sur la politique européenne du Gouvernement, depuis que vous y êtes entré il y a deux ans. Après trois mois d'interruption, vous vous présentez devant nous renforcé par l'onction du suffrage universel et une promotion au rang de ministre, ce dont je tenais à vous féliciter.
Le Conseil européen des 23 et 24 juin dernier était le dernier sous la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Du fait de la suspension des travaux parlementaires durant la période électorale, il n'a pas été possible d'organiser en séance plénière le traditionnel débat préalable à une telle réunion ; aussi nous sommes convenus de vous entendre en commission et d'inviter tous les sénateurs à cette audition. Vos impératifs nous ont malheureusement contraints à tenir cette réunion après le Conseil européen et à un horaire inhabituel. Je prie mes collègues de bien vouloir excuser ces modifications d'agenda de dernière minute.
Nous vous remercions donc de nous rendre compte aujourd'hui des résultats du dernier Conseil européen, qui était précédé d'une réunion entre l'Union européenne et les pays des Balkans occidentaux, et suivi d'un sommet de la zone euro, qui a consacré l'entrée prochaine de la Croatie dans cette zone.
Le résultat majeur de ce sommet historique est bien évidemment la décision prise à l'unanimité des 27 de reconnaître à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidats à l'intégration dans l'Union. Il s'agit d'un choix géopolitique très engageant, qui répond à une forme d'impératif moral dans le contexte des atrocités que la Russie inflige à l'Ukraine depuis quatre mois. Cependant, l'impact d'une telle décision doit être bien mesuré, non seulement envers les Balkans occidentaux déjà candidats, qui ont aussitôt exprimé leur frustration, mais aussi envers l'agresseur russe qui voit parallèlement la Finlande et la Suède rallier l'OTAN, et enfin envers l'Union européenne elle-même qu'un élargissement mal maîtrisé peut conduire à la dissolution ou à la paralysie.
La proposition du Président de la République de « Communauté politique européenne » peut utilement contribuer à la réflexion qu'il convient d'approfondir sur le fonctionnement et le périmètre de l'Union. Mais, à lire ses conclusions, le Conseil européen semble avoir largement éludé le sujet : monsieur le ministre, comment le gouvernement français envisage-t-il l'articulation entre le Partenariat oriental, le processus d'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie à l'Union européenne, et la perspective d'une Communauté politique européenne ? Comment ce sujet est-il appréhendé par la présidence tchèque qui va prendre le relais de la nôtre dans deux jours ?
Au-delà des enjeux militaires et diplomatiques, le conflit ukrainien provoque une flambée inflationniste des prix de l'énergie et de l'alimentation. Le Conseil européen reconnaît d'ailleurs explicitement dans ses conclusions que la Russie utilise le gaz et l'alimentation comme des armes. Il a envisagé l'introduction de plafonds temporaires pour les prix du gaz importé. La France a aussi défendu au G7 l'idée d'un prix plafond qui s'appliquerait à tous les exportateurs de pétrole, les États-Unis l'envisageant aussi, mais uniquement pour la Russie. Où en est la négociation sur ces sujets stratégiques pour réguler les prix de l'énergie ?
Quant au volet alimentaire, qui va aussi peser sur le pouvoir d'achat, le Sénat a plaidé pour réorienter la stratégie agricole européenne découlant du Pacte vert, afin d'assurer l'autonomie alimentaire de l'Union européenne dans le contexte de la guerre en Ukraine. Nous avons adopté début mai une résolution européenne en ce sens. Elle ne semble pas avoir connu de suites satisfaisantes au niveau européen ; Monsieur le ministre, le gouvernement français partage-t-il cette exigence de garantir l'indépendance alimentaire de l'Europe ? Est-il prêt à appuyer l'urgence de reconsidérer en conséquence les termes des stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité à l'horizon 2030 », afin de redonner priorité aux objectifs de production agricole ?
Enfin, le sommet de la zone euro a été l'occasion de rappeler la nécessité d'avancer sur l'union bancaire et l'union des capitaux. La présidence française avait placé ces sujets parmi ses priorités : qu'a-t-elle fait concrètement en ce sens durant ce semestre ?