Je vous remercie d'avoir bien voulu adapter l'horaire de la réunion. J'accueillais en effet, ce matin, la Première ministre dans ce qui est ma nouvelle circonscription.
Je suis heureux de me présenter devant vous à plusieurs titres. D'abord, voici quelques semaines, je vous faisais mes adieux républicains. Ce n'était donc qu'un au revoir... Nous avons toujours échangé dans un esprit de coopération, qui pourrait inspirer d'autres institutions !
Ensuite, cette audition arrive à un moment opportun : quelques jours après un sommet européen, mais aussi au terme de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. C'est un exercice collectif, à la fois entre sensibilités et entre institutions. Vous avez su faire vivre la dimension parlementaire de cette présidence, et nous pouvons nous féliciter de certaines avancées obtenues dans un contexte particulièrement difficile.
La réunion des 23 et 24 juin du Conseil européen était focalisée sur la guerre en Ukraine et les réponses que l'Union européenne doit apporter à ce pays et au peuple ukrainien.
Le premier débat, le plus important, a porté sur la reconnaissance du statut de candidats accordée à l'Ukraine et à la Moldavie, mais non à la Géorgie - à laquelle, toutefois, a été reconnue une perspective européenne. L'accès au statut de candidat a été conditionné, dans le cas de la Géorgie, à un apaisement de la politique intérieure et à des réformes liées à l'État de droit.
L'attention s'est particulièrement portée sur la Moldavie, située au voisinage de l'Union européenne et soumise à une pression russe renforcée avec l'invasion de l'Ukraine. La Moldavie fait aussi face à des risques de déstabilisation, en raison d'un accueil massif de réfugiés. Le pays reçoit à ce titre une contribution financière de la France et de l'Union européenne. Le Président de la République s'y est rendu voici quelques jours. La présidente, Maia Sandu, est une pro-européenne convaincue. Il est de notre intérêt géopolitique de soutenir ce pays, même si le processus d'adhésion sera long.
Octroyer le statut de candidats à la Moldavie et à l'Ukraine est un signal, un symbole, mais aussi le moyen d'éviter un vide géopolitique. Tourner le dos à l'Ukraine aurait encouragé la Russie à renforcer son agression et cassé l'espoir né au sein du peuple ukrainien. Nous avons su faire rapidement l'unité de l'Union européenne sur cette question.
Nous devons au peuple ukrainien et à nos concitoyens de leur dire la vérité : le processus d'élargissement est long et exigeant. Il ne s'agit aucunement de le présenter comme chose aisée : fonctionner à vingt-sept est déjà très difficile. Ne précipitons pas le processus.
En complément de ce travail sur l'élargissement, la conviction du Président de la République, présentée le 9 mai au Parlement européen, est que nous avons besoin d'un autre format. C'est l'idée de Communauté politique européenne, qui a soulevé de nombreuses questions, voire des réserves. Néanmoins, le 23 juin au soir, il a été décidé de manière unanime d'y travailler sous la présidence tchèque. Ce cadre peut garantir une coopération dans l'attente de l'adhésion, comme pour l'Ukraine, ou constituer une sorte de cadre intermédiaire pour des pays dans une situation très différente, comme le Royaume-Uni.
L'idée mérite d'être affinée, travaillée, qu'il s'agisse de la nature de la coopération, du format géopolitique, du cadre institutionnel : faudrait-il un forum, un traité pour fonder cette Communauté ? Ces questions restent ouvertes, et nous devons en débattre ensemble.
Cette idée de Communauté permet de ménager une transition vers le sujet des Balkans occidentaux. La France souhaitait organiser une réunion entre les chefs d'État ou de gouvernement des 27 et ceux des six pays concernés avant la fin de la présidence française. C'était d'autant plus nécessaire après le déclenchement de la guerre et l'octroi du statut de candidat à l'Ukraine, alors même que la Bosnie ne l'a pas encore obtenu.
Il convient de remettre les choses dans l'ordre, alors que les pays des Balkans occidentaux sont engagés depuis vingt ans dans la perspective de l'adhésion. Il faut accélérer le processus, mais il reste de nombreuses exigences à satisfaire. Ainsi, la Serbie doit s'aligner sur les sanctions européennes : c'est un préalable indispensable à une adhésion à notre projet politique. Il faut ce geste de confiance pour travailler sur des questions concrètes en matière énergétique, sanitaire, sécuritaire ou migratoire. Une partie de notre sécurité se joue dans cette région. Nous sommes prêts à accélérer le processus d'adhésion si des efforts sont consentis par les pays concernés.
Un mot sur la tentative de règlement du différend entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord, préalable à l'ouverture de négociations avec ce dernier pays et l'Albanie. Nous progressons : la semaine dernière, le Parlement bulgare a accepté certaines des propositions de la présidence française. Mais il faut encore obtenir un accord entre les deux pays.
Sur cette question des Balkans occidentaux, le processus doit rester maîtrisé, contrôlé et organisé.
Le Conseil européen n'a pas adopté de sanctions supplémentaires contre la Russie, mais s'est déclaré prêt à les prendre, le cas échéant. Il fallait avant tout s'assurer que les sanctions actuelles étaient appliquées. Nous avons aussi abordé le soutien renforcé à l'Ukraine : le Haut-représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a évoqué la possibilité d'ajouter une tranche de financement pouvant atteindre 500 millions d'euros dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix. La Commission européenne a été invitée à accroître l'assistance dite macro-financière, c'est-à-dire l'aide au fonctionnement des administrations et de l'État ukrainien, à hauteur de 9 milliards d'euros. Cela fait de l'Union européenne le premier soutien à l'Ukraine, tous domaines confondus, et de loin...
Votre commission a souvent discuté de l'approvisionnement et de la sécurité alimentaire. Nous sommes tous ici convaincus que les difficultés de livraisons alimentaires qui pèsent sur les prix ne sont aucunement liées aux sanctions. Mais le récit russe est puissant... Aucun pays n'a appliqué de sanctions alimentaires à la Russie, qui se livre à une instrumentalisation délibérée de la situation en bloquant les exportations de produits ou de compléments alimentaires depuis les ports d'Ukraine. Il y a donc diverses initiatives européennes et internationales pour ouvrir des voies terrestres et fluviales d'exportations accélérées, pour que les grains stockés aujourd'hui ne soient pas perdus et ne pèsent pas sur les prix mondiaux. Nous y travaillons en particulier avec la Roumanie et la Pologne.
Nous essayons aussi de soutenir les pays qui souffrent déjà de rationnements et risquent, bientôt, des pénuries si nous n'agissons pas. La France et d'autres pays européens ont ainsi renforcé leur contribution au Programme alimentaire mondial et à diverses initiatives internationales, notamment dans le cadre des Nations unies, de financement de l'alimentation dans les pays en difficulté.
Tous les sujets européens dont nous parlons ont un lien direct avec la vie quotidienne : la sécurité alimentaire, ce sont les prix dans nos supermarchés ; la diversification des approvisionnements énergétiques, ce sont les prix à la pompe.
Les questions monétaires sont moins visibles, mais tout aussi importantes. La Banque centrale européenne a confirmé début juin que la Croatie remplissait les critères pour entrer dans la dernière phase de l'Union économique européenne. Le Conseil européen a confirmé l'entrée de ce pays dans la zone euro dès le 1er janvier 2023. Cela montre le pouvoir d'attraction de cette union monétaire.
Concernant l'énergie, le constat est extrêmement préoccupant : la Russie a réduit ses livraisons de gaz à plus de dix pays européens, en violation totale de ses engagements internationaux et de ses contrats. C'est un choix délibéré. À court terme, cela impose des mesures de stockage renforcé. Un accord a été trouvé voici quelques jours pour que tous les pays européens remplissent leurs stocks stratégiques à 80 % au minimum dès l'automne. Nous avons demandé à la Commission européenne de nous proposer, dès le mois de juillet, un plan de réduction de notre demande d'énergie à l'égard de la Russie, à la fois par des efforts de sobriété et par des mesures de précaution comme le stockage ou la diversification des approvisionnements en gaz. La Commission a coordonné certains achats, notamment un contrat supplémentaire avec les États-Unis. Il faut éviter de nous mettre en risque l'hiver prochain.
Enfin, au-delà des mesures de réaction imposées par la situation, il convient de nous projeter sur l'avenir de notre union. La conférence sur l'avenir de l'Europe s'est conclue le 9 mai en présence de la présidente du Parlement européen, de la présidente de la Commission européenne et du Président de la République. Cet exercice citoyen inédit, qui a donné lieu à des centaines de milliers de contributions, a débouché sur cinquante propositions et plus de trois cents mesures suggérées, dont beaucoup correspondent aux priorités évoquées ici en matière de sécurité alimentaire et de défense européenne.
Nous sommes entrés dans une phase d'action et de décision. Dès le début du mois de septembre, la Commission européenne présentera dans son programme législatif des mesures supplémentaires pour accélérer l'agenda européen de souveraineté, que nous défendons depuis plusieurs années. C'est aussi l'occasion d'accélérer les réformes sur le plan climatique, sécuritaire et sanitaire.
Le Conseil européen s'est également penché sur les agissements de la Turquie en mer Égée et en Méditerranée orientale. Les États membres ont unanimement exprimé leur très vive préoccupation face aux déclarations et actions de ce pays contre la Grèce et Chypre. Le Conseil européen a appelé la Turquie à respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale de tous les États membres, à se conformer en tous points au droit international et à apaiser les tensions en Méditerranée orientale. Nous attendons des signaux concrets.
Enfin, le Conseil européen a réaffirmé son soutien aux aspirations démocratiques du peuple biélorusse, condamné la répression de la société civile qui continue, voire s'amplifie, et appelé à libérer immédiatement les nombreux prisonniers politiques. Depuis le 26 février, les dirigeants biélorusses sont visés par des sanctions supplémentaires liées à leur implication dans le conflit ukrainien.