Intervention de Clément Beaune

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 juin 2022 à 13h40
Audition de M. Clément Beaune ministre délégué auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargé de l'europe à la suite du conseil européen des 23 et 24 juin 2022

Clément Beaune , ministre délégué :

Je commence par répondre à M. Houllegatte sur l'affolement des prix. Ce qui a été évoqué au G7, c'est un plafonnement destiné à éviter que la Russie ne profite, paradoxalement, des mesures de restrictions que nous prenons : du fait de la restriction de notre dépendance à l'égard de ce pays ou des arrêts de livraison qu'il nous fait subir, la rareté peut faire monter les prix et engendrer un effet net positif pour la Russie ; nous avons malheureusement constaté ce phénomène depuis le début de la guerre. Par conséquent, une piste, évoquée par les États-Unis lors du G7 et soutenue par le Président de la République, consistait à instaurer un prix plafond. Pour cela, il faudrait une forme de consortium d'acheteurs décidant ensemble d'un prix plafond sur les achats qui demeurent. À ce jour, ce mécanisme n'a pas été adopté et encore moins mis en oeuvre. Il faudrait que les acheteurs soient suffisamment nombreux à se coordonner pour imposer ce plafond de facto.

Sur le fonctionnement du marché interne de l'électricité, nous avons engagé, mais non conclu le débat au cours de notre présidence. J'attire votre attention sur un point, Mesdames, Messieurs les sénateurs, à propos d'une telle réforme structurelle du marché : il ne faudrait pas que, au travers de cette réforme nécessaire, nous perdions l'intégration européenne elle-même. Cela implique donc de maintenir un prix unique sur les marchés de gros, dont nous bénéficions, puisque nos grands énergéticiens exportent sur le marché européen, moyennant plusieurs milliards d'euros par an. Un marché interconnecté implique des mécanismes de prix marginal. On peut peut-être les encadrer, considérer d'autres paramètres, mais il faut à tout prix conserver l'intégration, pour éviter que chaque pays ne fixe son prix d'achat d'électricité sur les marchés de gros, ce qui casserait le marché unique. C'est d'ailleurs au travers des recettes budgétaires tirées de ces exportations que l'on peut financer les mesures de pouvoir d'achat.

En revanche, les pistes que vous évoquez, Monsieur Gremillet, et que l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) a listées, sont plus accessibles et plus efficaces. Il s'agit d'abord des contrats de long terme, dont la Russie a longtemps profité, que l'on pourrait conclure notamment avec la Norvège, afin de stabiliser les prix ; nous avions abandonné ces outils au profit de marchés de court terme. Ensuite, autre réponse possible : l'interconnexion, car, plus le marché est interconnecté, plus on peut bénéficier des meilleurs prix en régime de croisière. C'est plutôt avantageux pour les pays comme la France, qui ont des prix de production inférieurs à la moyenne européenne. Enfin, il y a la possibilité de garder les outils de régulation des prix au consommateur, comme l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ; c'est l'objet d'un combat acharné d'Agnès Pannier-Runacher, Bruno Le Maire et de moi-même. La Commission européenne avait incité les pays à démanteler ces outils de plafonnement ; ils existent toujours en France, mais l'Espagne les a abandonnés. Il faut au contraire les garder, voire les renforcer. Ce sera un débat que nous espérons pouvoir conclure d'ici à la fin de l'année 2022, sous présidence tchèque.

Monsieur Cadec, sur les réformes institutionnelles, je reconnais votre expertise pointue sur le sujet. Je suis d'accord avec vous, on ne voit aucune manifestation en Europe en faveur de réformes institutionnelles... Néanmoins, cela ne signifie pas que celles-ci n'aient pas d'intérêt ; on le voit par exemple avec la question de l'unanimité, qui bloque certaines réformes. En outre, il y a des pressions politiques fortes, notamment du Parlement européen, pour faire avancer ces questions. Bien sûr, ces réformes ne constituent pas l'alpha et l'oméga de l'agenda européen et nous n'attendrons pas une hypothétique révision des traités pour avancer sur certaines questions. Du reste, l'essentiel des propositions de la Conférence sur l'avenir de l'Europe portait sur des mesures ne nécessitant pas de révision des traités, comme l'instauration d'un plan de santé mentale ou d'une institution européenne capable de mener des enquêtes communes en cas de scandale agroalimentaire.

Monsieur Joly, soyons clair : il n'y a pas eu de négociation de fond avec la Hongrie sur la question fiscale, puisque ce n'est pas sur cette question que porte vraiment le blocage, qui s'apparente en réalité à une prise d'otages. Nous n'avons donc pas cherché à négocier le contenu, qui, du reste, relève de l'accord international conclu en 2021. Bruno Le Maire a fait un travail de plusieurs mois pour répondre aux interrogations de certains pays, comme Malte ou la Pologne, mais la Hongrie ne s'oppose pas réellement à cet accord fiscal, sans quoi on pourrait essayer d'y apporter une réponse. Certains évoquent l'hypothèse d'une coopération renforcée, mais cela ne me semble pas être une bonne idée, car cela reviendrait à récompenser ceux qui ne veulent pas faire l'effort qu'accomplissent des pays initialement réservés, comme l'Irlande. S'il suffit de bloquer pour être exempté, on n'enverra pas un bon signal... On doit donc continuer de travailler, tout en envisageant, par ailleurs, de réduire le champ de l'unanimité.

Madame de Cidrac, la réunion avec les Balkans occidentaux qui a eu lieu sur l'initiative de la présidence française était un signal en soi. Nous voulions montrer que nous n'oubliions pas les Balkans occidentaux, malgré l'octroi du statut de candidats à l'Ukraine et à la Moldavie. Par ailleurs, nous avons relancé des coopérations concrètes, en matière d'accès aux vaccins ou en matière énergétique ; l'Allemagne a en outre émis le souhait de relancer le processus de Berlin, qui est une enceinte de discussion et de financement consacrée aux projets d'investissements publics et privés dans cette région. Nous devons en effet nous engager non seulement via le processus d'adhésion, mais également au travers de coopérations sécuritaires ou économiques, pour occuper le terrain, afin d'éviter que d'autres puissances étrangères - la Chine, la Russie ou la Turquie - n'avancent trop leurs pions. Je préférerais en effet que ce soit l'Union européenne, nos entreprises, nos agences de développement et nos investisseurs publics qui soient présents.

Cela dit, bien sûr, la question de l'élargissement compte. Nous devions répéter à ces pays qu'ils entreront dans l'Union européenne, en précisant qu'ils peuvent le faire plus vite en accélérant les réformes, notamment en matière d'État de droit. La présidence tchèque a le projet de réunir un véritable sommet avec les chefs d'État ou de gouvernement de ces États.

Monsieur Gremillet, sur la taxonomie des investissements durables et l'acte délégué en cours d'examen au Parlement européen, je ne peux pas préjuger du résultat du vote ; le véritable rendez-vous, c'est effectivement la plénière du 6 juillet prochain, non le vote en commission. Les États membres, y compris la France, soutiennent largement cette taxonomie, laquelle est, de notre point de vue, un compromis qui n'est pas parfait, mais qui préserve l'essentiel, notamment pour ce qui concerne le libre choix en matière nucléaire. Nous souhaitons donc qu'elle soit adoptée.

Madame Lavarde, sur la fragmentation et le nouveau mécanisme, je suis comme vous : j'attends de voir ce que proposera la BCE. Ce sujet sera discuté au sein du Conseil des ministres de l'économie et des finances (Écofin), mais l'outil appartient exclusivement à la BCE ; il s'agit de moduler les achats de titres souverains par la banque centrale pour tenir compte des situations nationales en matière d'inflation, de finances publiques ou de compétitivité. Mme Lagarde est en effet attentive à la fragmentation de la zone euro, car les situations énergétiques, donc d'inflation, varient beaucoup d'un pays à l'autre. Nous en saurons plus le 21 juillet.

Je précise toutefois que nous devons faire attention à ne pas plaquer les mêmes politiques budgétaires ou monétaires que les autres puissances, comme les États-Unis d'Amérique. Ce pays est moins concerné par les conséquences de l'agression russe et de la guerre en Ukraine que nous. Il est dans une situation de quasi-surchauffe économique, ce qui n'est pas notre cas : nous avons une inflation importée, liée à la guerre. Cela n'appelle pas les mêmes réponses.

Sur les questions migratoires, Monsieur Cadic, Chypre a effectivement le plus haut niveau d'accueil de migrants rapporté à sa population. Nous lui devons donc la solidarité et 18 États membres ainsi que 3 États associés à l'espace Schengen sont déjà engagés dans un mécanisme de solidarité d'accueil, de relocalisation ou de financement ; ce mécanisme bénéficiera à Chypre. Quant à l'action de la Turquie, il n'est pas à ce stade question de sanctions, mais les propos du vice-président Schinas étaient bienvenus. Il fallait caractériser la situation et nous savons que, si une partie de la pression migratoire subie par Chypre est liée à sa position géographique, une autre partie provient de la politique turque via la zone nord de Chypre. Cela fait partie des pressions que nous adressons à la Turquie, car nous avons de fortes préoccupations sur les événements qui se déroulent en Méditerranée orientale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion