Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 juillet 2022 à 8h35
Incidents survenus au stade de france le 28 mai 2022 — Examen du rapport d'information

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, président de la commission des lois :

Ce match s'est déroulé dans des conditions particulières. En effet, alors qu'il était initialement prévu à Saint-Pétersbourg, l'UEFA a choisi de le déplacer en réponse à l'agression russe de l'Ukraine. Le 24 février, le Président de la République a répondu favorablement à sa sollicitation de tenir le match à Paris et engagé le soutien des pouvoirs publics à cette organisation.

L'UEFA et son mandataire, la Fédération française de football (FFF), ont donc travaillé avec le soutien du délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) et des préfectures et singulièrement, pour la région parisienne, de la préfecture de police dont l'actuel préfet nous a rappelé qu'il n'était pas le préfet de police de Paris, mais « le préfet de police tout court ». La sécurité de l'événement lui incombait donc.

Le soir du match, de multiples incidents ont mis à mal le dispositif de sécurité prévu. Le début du match a été retardé d'une demi-heure et la raison donnée pour l'expliquer a été l'arrivée tardive des supporters de Liverpool. Cette première imputation est apparue d'emblée comme une forme d'injustice pour les supporters, dont 2 700 pourtant munis de billets valables n'ont pas pu assister au match. En effet, ce n'est pas leur arrivée tardive, mais l'impossibilité d'entrer dans le stade qui faisait qu'ils n'étaient pas en tribune.

En dehors du stade, les supporters avaient été retenus au point de préfiltrage installé dans le prolongement de la sortie du RER D - une masse de 10 000 à 15 000 personnes s'étant constituée et suscitant un risque d'écrasement. Une fois ce dispositif levé, la foule a pu s'approcher des tourniquets d'entrée, mais certains, proches des grilles du stade, ont alors été exposés au gaz lacrymogène. L'ensemble de ce parcours était ponctué d'agressions de la part de délinquants nombreux et violents. Tout ceci, documenté par de nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux, a terni l'image de la France.

Or ce sont les supporters du club anglais qui ont été présentés comme les principaux fautifs des incidents : d'emblée, puis devant nos commissions, et ce en dépit des défauts de plus en plus saillants dans l'organisation mise en place qui sont apparus au fil de nos travaux.

Ce n'est qu'avec l'annonce des auditions par les commissions sénatoriales que les ministres concernés ont émis des regrets sur l'expérience « gâchée » des spectateurs munis de billets, mais n'ayant pu assister au match, qui sont tout de même environ 2 700. Puis, au cours de nos auditions, sont venus les regrets du préfet de police pour les personnes de bonne foi exposées au gaz lacrymogène. Enfin, le ministre de l'intérieur, à la suite de la présentation des premiers constats issus de nos auditions, a finalement présenté ses excuses aux supporters ayant subi la mauvaise gestion de l'événement.

Cette reconnaissance progressive contraste avec la volonté d'accabler les supporters de l'équipe de Liverpool qui a caractérisé les premières prises de position officielles. Tout en refusant, au nom des principes républicains, de donner la nationalité des individus interpellés pour faits de délinquance, le ministre de l'intérieur, lors de son audition, n'a ainsi pas hésité à détailler le nombre de ressortissants britanniques interpellés pour des tentatives d'intrusion. La volonté de faire apparaître la présence des supporters britanniques comme la seule cause de la situation était tout de même très ennuyeuse.

J'en viens aux dysfonctionnements en matière de sécurité.

Le 28 mai, la sécurité des supporters et la protection des biens n'ont pas été assurées de manière suffisante. Le préfet de police, lors de son audition, a estimé que les scènes de chaos liées à la délinquance étaient dues à la nécessité de lever le filtrage, permettant à « 300 à 400 individus indésirables » de s'introduire sur le parvis, « le dispositif ne présentant plus l'étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols ».

Cependant, ainsi qu'en a notamment témoigné le maire de la métropole de Liverpool, les actes de délinquance ont commencé en réalité en amont du filtrage. Les caméras de surveillance ont même permis à certaines des personnes présentes dans le poste de commandement (PC) de sécurité du stade de constater l'action de pickpockets et d'autres voleurs à la tire. Or les effectifs de sécurité présents, très majoritairement dédiés au dispositif antiterroriste, n'ont pu intervenir pour mettre fin à ces actes.

Une fois les délinquants présents sur le parvis, leur évacuation a été particulièrement difficile et lente, n'intervenant qu'après le début du match et ne faisant que repousser les délinquants à la périphérie du stade, où des faits délictueux se sont poursuivis après le match.

Ceci est d'autant plus inacceptable que la présence de ces délinquants était prévisible. Dans les jours précédant l'événement, les personnels du Stade de France et le maire de Saint-Denis ont fait part d'une effervescence inhabituelle autour de l'enceinte dans l'attente du match. Ces observations n'ont cependant pas conduit, semble-t-il, à une alerte de la part du renseignement territorial.

Les effectifs destinés à lutter contre la délinquance étaient donc sous-dimensionnés et n'ont pas été abondés de manière suffisante, malgré de multiples intrusions et vols à compter de la mi-journée du 28 mai. Le rapport du Diges fait état de 209 effectifs de police déployés autour du stade pour lutter contre la criminalité le 28 mai, soit 47 de plus que lors de la finale de la Coupe de France le 7 mai. À l'inverse, lors du match France-Danemark du 2 juin, ce sont 650 effectifs de police, soit plus de trois fois plus d'agents, qui ont été mobilisés pour lutter contre la délinquance. C'est donc seulement à la suite des incidents que la mesure réelle de la délinquance a été prise.

À ceci s'ajoute un élément qui nous paraît essentiel. Nous savons que la querelle des chiffres a beaucoup occupé les premiers temps de nos auditions à la suite des affirmations du préfet de police et du ministre de l'intérieur relatives aux 36 000 personnes venues sans titre ou avec de faux titres au stade de France. Or ce nombre, dont le préfet de police nous a dit qu'il pouvait tout aussi bien être de 24 000, n'a pas l'importance que la communication des pouvoirs publics a voulu lui prêter.

Le dispositif mis en place a été débordé sur un point précis : le préfiltrage situé dans la continuité de la sortie du RER D. Il n'a fallu que 10 000 à 15 000 personnes pour rendre ce préfiltrage intenable. Même s'il n'y avait pas eu plus de supporters que de places dans le stade, la situation aurait pu être la même, causer le même chaos et conduire à des drames, que nous avons, par chance, évités. Cet échec tient aux décisions prises par la préfecture de police.

Conçu pour prévenir les attaques terroristes, le dispositif de préfiltrage instauré par la préfecture de police a été combiné à un contrôle de validité des billets par les stadiers. Ceci a créé un goulot d'étranglement. L'espace disponible était réduit à quatre ou cinq mètres de large par la présence de véhicules destinés à faire obstruction aux voitures béliers.

Notons d'abord que le préfet Michel Cadot a pointé, dans son rapport remis à la Première ministre, le manque de fondement juridique de la combinaison d'un dispositif antiterroriste et d'un contrôle des titres d'accès par les organisateurs. Pour défendre ce choix, la préfecture de police a fait porter la responsabilité de la saturation sur le nombre de supporters de l'équipe de Liverpool munis de billets falsifiés ou qui tentaient de s'approcher du stade sans billet. Ceux-ci auraient saturé le précontrôle, lequel a fait apparaître jusqu'à 70 % d'erreurs, puis créé l'encombrement de personnes présentes dans l'accès au point de filtrage.

Toutefois, l'accord donné à la mise en place d'un contrôle de validité des billets au niveau du préfiltrage, qui n'avait été essayé qu'une seule fois auparavant et n'avait pas donné pleinement satisfaction, était d'emblée inopportun. Il a conduit tant à négliger le risque de délinquance sur le parvis entourant le stade - puisque les « indésirables » démunis de billets n'auraient pas dû y accéder - qu'à ralentir le flot entrant de personnes.

De plus, la préfecture n'a pas prévu un moyen d'évacuer les personnes refoulées et qui ne pouvaient reculer du fait de l'étroitesse de l'accès et de la foule massée dans l'attente du passage.

À ce défaut premier dans la conception du dispositif s'ajoutent les difficultés survenues dans la gestion des flux de personnes. La SNCF a indiqué avoir transporté le jour du match 12 000 personnes de plus que pour d'autres événements de ce type, mais c'est moins ce surnombre en soi que le déséquilibre entre les flux venant des deux lignes de RER qui a été source de difficultés.

En effet, l'infrastructure du Stade de France peut accueillir un flot de près de 100 000 personnes pour certains événements. Ce fut le cas pour le concert d'Indochine, qui a rassemblé 110 000 personnes. Le surnombre établi par la SNCF aux sorties les plus proches des tribunes destinées aux supporters du club de Liverpool était donc inhabituel, mais pas disproportionné par rapport aux accès au stade.

Cependant, dès lors que s'était constitué un encombrement de 10 000 à 15 000 personnes, selon l'estimation du préfet de police, le préfiltrage menaçait de conduire à un risque d'écrasement. Ce seuil de saturation semble relativement bas tant au regard du flux normal du RER D pour un match de ce type qu'au regard du report lié à la grève sur la ligne du RER B.

Il y a également eu de la part des autorités un manque de réactivité.

Les flux de passagers en provenance de chacune des lignes de RER étaient communiqués toutes les demi-heures à partir de 18 heures 05 par la SNCF au poste de commandement du stade. D'emblée, et surtout à partir de 18 heures 30, l'important écart de fréquentation entre la ligne D et la ligne B était connu. Or cette situation n'a suscité aucune réaction rapide de réorientation des flux : ni de la part des transporteurs, qui ont indiqué ne pas avoir été sollicités pour ce faire, ni de celle des organisateurs, ou encore de la préfecture de police, qui a mis en oeuvre cette réorientation seulement à 19 heures 18, soit trop tard, en pratique, pour permettre un maintien du dispositif de préfiltrage. En effet, la pression se constituait déjà depuis près d'une heure.

Les supporters venus au Stade de France et se présentant au point de préfiltrage prévu dans le prolongement de la sortie du RER D ont fait face à deux risques. Le premier était le risque d'écrasement du fait du blocage du préfiltrage. Le second était celui de subir les effets du gazage à l'approche des grilles du stade.

Face à ces risques, la préfecture de police a d'abord pris la décision de lever, temporairement, le préfiltrage à 19 heures 39, puis a assumé le recours au gaz lacrymogène pour faire reculer les personnes proches des grilles du stade. Ce second choix découlait non de la nécessité de protéger les personnes, mais de celle d'éviter d'abord la chute des grilles et l'envahissement du stade qui aurait eu incontestablement des conséquences dramatiques.

Les décisions prises par le préfet de police, si elles ont peut-être évité un drame ou l'annulation du match, sont la conséquence directe de défauts d'anticipation et ont été la cause d'incidents qui ont choqué l'opinion publique nationale et internationale et terni l'image de notre pays.

La décision de lever le préfiltrage a créé un espace sur le parvis du stade dans lequel ont pu s'engouffrer les délinquants qui ont agressé les supporters, et qui a donc rapproché ceux qui cherchaient à s'introduire illégalement dans le stade de leur objectif.

Face au risque d'intrusion, les forces de sécurité ont eu recours au gaz lacrymogène pour faire reculer la foule. Cette méthode, qui affecte les personnes présentes au-delà de celles qui sont directement visées a paru particulièrement agressive aux supporters venant de pays où elle n'est pas pratiquée. Elle a contribué au sentiment des supporters d'avoir été exposés à un usage excessif de la force, voire peut-être à certaines violences policières.

Cependant, le préfet de police a d'autant plus assumé le recours au gaz lacrymogène qu'il a considéré qu'il s'agissait, à moins de la charger, du seul moyen à la disposition des forces de sécurité pour faire reculer une foule. Il a également indiqué que, dans la même situation, il préconiserait à nouveau son usage, se contentant de regretter qu'au Stade de France cet usage ait conduit à exposer au gaz des personnes de bonne foi, voire des familles et des enfants.

La question de l'usage du gaz lacrymogène montre des contradictions parmi les responsables des forces de sécurité intérieure. En effet, à l'inverse des affirmations répétées du préfet de police, le ministre de l'intérieur lui-même a admis que le recours au gaz lacrymogène devait sans doute évoluer.

Ces points font l'objet de plusieurs de nos recommandations. La recommandation n° 7, adressée à l'UEFA et à la préfecture de police, tend à séparer les points de contrôle de validité des billets des points de préfiltrage installés dans le cadre de la prévention du terrorisme. La recommandation n° 8, adressée au ministère de l'intérieur, consiste à définir une doctrine d'emploi du gaz lacrymogène par les agents des forces de sécurité qui prévienne l'exposition de personnes ne présentant pas pour eux un danger immédiat. La recommandation n° 9, destinée à la préfecture de police et, le cas échéant, à la ville de Saint-Denis, tend à rétablir les effectifs d'agents publics dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade. La recommandation n° 10, à l'attention de la préfecture de police, vise à privilégier, en matière de gestion des foules, le prépositionnement de moyens dissuadant tout débordement. Nous pensons ici notamment aux unités équestres. La recommandation n° 11, destinée au ministère de l'intérieur et au Parlement consiste à établir, à titre expérimental, la base législative qui permettrait aux opérateurs des systèmes de vidéoprotection dans les espaces accessibles au public de mettre en oeuvre des traitements d'images par intelligence artificielle permettant le comptage et la détection de mouvements de foule. Enfin, la recommandation n° 12 adressée aux préfets tend à imposer aux opérateurs des systèmes de vidéoprotection la conservation des images captées le jour des grands événements sportifs pendant la durée légale d'un mois dans les espaces accessibles au public, à l'intérieur ou aux abords des équipements.

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