Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il est intéressant pour notre Haute Assemblée d’examiner la présente proposition de loi après avoir débattu du bilan de la présidence française de l’Union européenne, dont le volet numérique a été amplement mis en exergue voilà quelques instants, notamment par mon collègue Jean-Baptiste Lemoyne que je tiens à saluer ici.
Largement évoquées – et pour cause ! –, les nouvelles pratiques numériques, qui tordent les possibles et peuvent gravement porter atteinte à l’ordre public, nous imposent d’adapter nos outils de lutte contre le terrorisme.
Nous avons tous malheureusement à l’esprit le rôle de la viralité des contenus, notamment lors de l’attentat de Christchurch ou de l’assassinat de M. Samuel Paty.
Cette indispensable adaptation a été intégrée par la France, qui se distingue par les outils dont elle s’est dotée pour lutter contre la diffusion des contenus illicites, et plus spécifiquement à caractère terroriste.
Je pense bien entendu à la loi pour la confiance dans l’économie numérique, au sein de laquelle le législateur a introduit dès 2014 la faculté pour l’autorité administrative de prononcer une demande de retrait des contenus terroristes dans un délai de vingt-quatre heures.
Je pense également, plus récemment, à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Par ses dispositions validées par le Conseil constitutionnel, ce texte a permis de renforcer la lutte contre les « sites miroirs » en facilitant notamment leur blocage sur décision de l’autorité administrative. Il a également renforcé les obligations de moyens des grandes plateformes dans la lutte contre certains contenus illicites, dont la provocation et l’apologie du terrorisme. Enfin, il a prévu un pouvoir de sanction du régulateur qu’est l’Arcom.
Cette ambition, la France l’a portée à l’échelon de l’Union européenne, dont les travaux ont abouti très récemment, en matière de contenus illicites, au Digital Services Act (DSA) et, plusieurs mois auparavant, en matière de contenus à caractère terroriste, au règlement TCO. C’est à ce dernier, introduisant une injonction de retrait des contenus à caractère terroriste dans l’heure, que la proposition de loi soumise aujourd’hui à notre approbation adapte notre droit national.
Le texte a été adopté assez largement à l’Assemblée nationale, puis par notre commission des lois au Sénat, pour plusieurs raisons.
Je citerai en premier lieu le fait que le règlement européen s’applique, par définition, directement dans notre droit interne, en l’occurrence depuis le 7 juin dernier, et fait l’objet, le cas échéant, d’un contrôle restreint de la part du Conseil constitutionnel.
Mais, au-delà de ces considérations de forme, il faut, je le crois, nous attacher à rappeler les garanties concrètes que prévoient le règlement, à l’issue de presque trois années de discussions, et la proposition de loi. Je n’en évoquerai que quelques-unes.
D’abord, la gradualité de la procédure d’injonction de retrait des contenus à caractère terroriste en une heure. En effet, l’autorité administrative doit, sauf cas d’urgence, informer l’hébergeur, au moins douze heures en amont, des procédures et des délais applicables. Des dérogations à l’obligation de retrait sont en outre prévues en cas de force majeure ou d’impossibilité non imputables à l’hébergeur.
Ensuite, via le statut d’hébergeur « exposé » les obligations de moyens sont proportionnées au risque d’exposition. Les mesures prises doivent être « ciblées » en tenant compte de « l’importance fondamentale de la liberté d’expression et d’information dans une société ouverte et démocratique ».
Plus généralement, les contenus à caractère terroriste visés par le règlement y sont clairement définis. En sont expressément exclus les contenus « diffusés au public à des fins éducatives, journalistiques, artistiques ou de recherche, ou à des fins de prévention ou de lutte contre le terrorisme ».
Par ailleurs, le règlement impose aux hébergeurs de conserver les données pendant six mois, afin, par exemple, de rétablir les contenus en cas d’annulation de l’injonction.
Enfin, les voies de recours contre les injonctions de retrait sont clairement définies dans la proposition de loi. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’y revenir au cours de l’examen du texte s’agissant des délais de jugement et modalités d’appel des décisions du tribunal administratif, sujets sur lesquels je ne doute pas qu’un accord pourra être trouvé dans la suite de la navette parlementaire.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDPI soutient ces dispositions pour leur pertinence, leur équilibre et leur caractère nécessaire dans la lutte contre le terrorisme.
Il faudra, comme cela a été dit, veiller à une bonne articulation en pratique entre les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique et les articles additionnels introduits.
L’organisation de ces différentes dispositions marque dans le même temps l’incorporation d’un travail d’ampleur conduit à l’échelon national et européen. Je tiens ici à remercier les membres du gouvernement actuel et ceux du gouvernement précédent du travail qu’ils ont effectué.
Pour reprendre les termes de notre commissaire européen Thierry Breton : « Tout ce qui est interdit offline doit l’être online. » En d’autres termes, l’évolution dans un sens favorable du droit de l’Union, progressivement étoffé, doit permettre que ce qui est proscrit hors ligne le soit effectivement en ligne dans le domaine des communications numériques, et ce à des fins de protection de l’ordre public.