Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous ouvrons l’agenda législatif de la présente session extraordinaire par l’étude d’un texte sur la prévention de la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne.
Nous ne le savons que trop : la haine prolifère en ligne, et nous devons nous doter d’un arsenal le plus efficace possible pour limiter cette propagande terroriste et ces méthodes de recrutement, qui ont pour objectif de nuire à notre République.
Le terrorisme tue, et internet demeure le terreau fertile permettant la diffusion de certaines idéologies macabres, ainsi que le recrutement et le financement des terroristes. Il est donc essentiel de se doter d’outils de droit freinant cette utilisation d’internet.
Nous avons – hélas ! – du recul sur les enjeux et problématiques liés aux contenus terroristes en ligne.
Le règlement européen qu’il nous est demandé de faciliter par l’adaptation de notre droit est le fruit d’une réflexion sereine, loin d’un monde caricatural où – je cite un ancien président de la République – « quand on consulte des images de djihadistes, on est un djihadiste ». Heureusement, ce règlement distingue de manière sensée la diffusion de certains contenus à des fins journalistiques, pédagogiques, artistiques.
Plus restreint et plus équilibré dans la définition des contenus nécessitant d’être retirés, garantissant la possibilité de maintenir des contenus dans le cadre du débat public par exemple, il constitue un outil majeur et nécessaire pour notre législation.
Toutefois, la loi qui nous est proposée aujourd’hui contient des limites certaines.
Le choix d’une proposition de loi, qui nous prive du contrôle a priori du Conseil d’État, ne semble pas être le plus sécurisant, notamment s’agissant de l’évaluation des conséquences sur les libertés publiques et individuelles.
Nous exprimons cette crainte, car le Conseil constitutionnel a déjà censuré des mesures proches contenues dans la loi Avia. Il rappelait que la détermination du caractère illicite des contenus à caractère terroriste ne devait pas être soumise à la seule appréciation de l’administration.
Le choix de l’Arcom, désigné depuis la loi sur le séparatisme comme l’opérateur pour traiter la haine en ligne, démontre une cohérence, mais suscite de nombreuses interrogations.
Comme ont pu le rappeler plusieurs fois mes collègues Thomas Dossus et Monique de Marco dans leurs travaux au sein de la commission de la culture, l’Arcom se voit confier de plus en plus de responsabilités. Mais les moyens humains et financiers suivent-ils ?
Je sais que nous entrons dans un quinquennat sans hausse d’impôt ni accroissement de dette. Aussi, je suis impatient de voir comment, à fonds constants, le Gouvernement va faire pour doter l’Arcom des moyens nécessaires pour mener à bien cette nouvelle mission, en termes non seulement de nombre d’agents, mais aussi de nécessaire formation adaptée. Si j’insiste sur ce point, c’est que le drame de Samuel Paty a démontré que le circuit de signalement existe et qu’il fonctionne bien, mais que le manque de personnel aboutit à des délais de traitement ayant eu la funeste conséquence que nous connaissons tous. Nous serons donc très vigilants lors de la discussion du projet de loi de finances à la rentrée.
Il reste trois autres points majeurs à évoquer.
D’abord, l’urgence du délai d’une heure représente, pour de nombreuses associations de protections des libertés, un risque.
Au-delà des erreurs techniques inhérentes à des procédures automatisées dans la sélection des contenus à supprimer – elles ont été mises en avant par La Quadrature du net –, beaucoup d’ONG craignent de voir la mise en place des « filtres de téléchargement » qui permettraient à l’hébergeur d’interdire à un utilisateur de poster du contenu.
Ensuite, la subjectivité des éditeurs ou hébergeurs dans l’évaluation du contenu. Ces opérateurs privés ont des démarches à géométrie variable selon le sujet qu’ils pensent devoir être retirés. Comme l’a très bien souligné Jérôme Durain, nous l’avons vu récemment lorsque Meta, la maison mère de Facebook, n’a pu répondre aux différences de traitement entre plusieurs posts possiblement litigieux. En effet, l’Associated Press rapporte qu’un journaliste ayant publié deux annonces, l’une proposant une pilule abortive et l’autre une arme à feu, a vu son premier post supprimé dans la minute tandis que le second restait intouché.
Je voudrais également évoquer l’aspect transfrontalier des demandes de retrait. Au vu de l’arrivée au pouvoir de régimes aux valeurs parfois très éloignées de celles de notre pays au sein même de l’Union européenne, le règlement pour› lequel nous adaptons notre droit aujourd’hui permet des demandes transfrontalières de retrait de contenus qui pourraient être litigieuses. Comment, sans contrôle d’un juge judiciaire, garantir la liberté d’expression sur notre territoire face à des gouvernements parfois totalitaires qui caractérisent de manière caricaturale leurs oppositions de « terroristes » ?
Il existe parfois trop peu de garanties sur l’autorité compétente désignée par chaque pays membre, notamment en termes d’indépendance. Certes, la procédure prévoit un droit de regard de l’autorité nationale du pays sollicité, mais la coopération entre pays et la réciprocité de leurs actions pourraient poser problème.
Ces inquiétudes, mes chers collègues, sont réelles ; elles ne sont pas fantasmées. Elles s’imposent dans une réflexion globale et apaisée de la recherche, qui est celle de notre assemblée, d’un équilibre entre une lutte juste, ferme et efficace contre la dissémination de contenus terroristes sur internet et la protection de la liberté d’expression.
Cette protection nous semble constitutionnellement revenir au juge judiciaire, malheureusement écarté dans les dispositifs étudiés.
Toutes ces réserves nous empêchent de soutenir pleinement la démarche qui nous est présentée. Mais notre groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, en responsabilité et bien conscient de la nécessité du besoin d’agir rapidement contre l’expansion du terrorisme via la lutte contre les contenus internet, ne s’opposera pas à ce texte et s’abstiendra.