Intervention de Marius Drigny

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 24 juin 2022 à 15h45
Table ronde sur le thème « vivifier nos villages : regards croisés regards d'avenir ».

Marius Drigny, président de l'entreprise La Ville à Joie :

Mon regard est celui d'un porteur de projet, proche du terrain, ce qui me permet d'obtenir des remontées traduisant une situation plus globale.

Je rejoins ce qu'a dit M. le président du Conseil départemental, principalement concernant deux aspects que nous rencontrons au quotidien.

Premièrement, l'opération « La Ville à Joie » permet principalement aux habitants des petits villages d'avoir accès, près de chez eux, aux services disponibles dans les centralités. Cependant, ces services doivent exister indépendamment de l'opération, qui ne pourra pas amener des médecins ou créer des emplois. Nous agissons pour rendre les villages plus attractifs mais, lorsque je discute avec des jeunes souhaitant s'installer dans ces villages, je leur parle du besoin d'emplois et de services nécessaires pour fonder une famille. Notre action de terrain a un impact, mais cet impact ne suffit pas.

Deuxièmement, nous devons être capables de savoir ce que veulent les habitants en matière de revitalisation. Or, il n'est pas évident de savoir ce que les personnes souhaitent en ruralité. En effet, les habitants ne sont pas forcément très habitués à s'exprimer dans des opérations de consultation. Les cafés citoyens rassemblent des personnes, mais pas tous les habitants. Dans les villages dans lesquels l'opération « La Ville à Joie » est lancée, certains habitants diront sans doute qu'il existe des manques, mais peineront à formuler des idées de changement.

La réponse à ce phénomène est tout d'abord la démarche « Les villages du futur », initiée par le département et les collectivités partenaires sur l'aspect design et consultations.

De notre côté, nous utilisons une approche complémentaire, expérimentale et pragmatique : nous mettons à disposition du village une sorte de prototype du service envisagé et nous voyons si les habitants l'utilisent. Le constat est le même avec les maisons France services par rapport au nombre de bénéficiaires ou avec les restaurateurs. Nous essayons de réaliser des tests et de créer des rencontres avec le public. Nous constatons que passer à l'action, avec des moyens réduits permettant de prototyper et sans être certains du résultat, permet d'apporter une réponse assez fiable si on la cumule avec toutes les études un peu plus théoriques mises en place. Cette réponse nous assure alors la pérennité des opérations.

Concernant le changement de vie lié à la crise sanitaire, l'opération « La Ville à Joie » n'est pas vraiment concernée par ce sujet. Les jeunes que nous recrutons n'ont pas eu une prise de conscience après la pandémie de Covid-19. Ils souhaitaient déjà s'engager avant la crise, pas forcément tous pour la ruralité. Ils agissent surtout dans l'optique de servir l'intérêt général, par le biais d'une forme hybride associative. Les jeunes qui s'engagent auprès de « La Ville à Joie » ne le font pas car ils aiment la campagne, mais surtout car ils souhaitent s'engager pour des territoires qui, à leur sens, en ont besoin.

Par ailleurs, nous rencontrons le sujet des financements au quotidien. En tant que porteur de projets, je tiens tout de même à passer le message que les projets structurants faisables tels que le nôtre nécessitent une certaine capacité d'ingénierie que la plupart des structures solidaires ou associatives ne possèdent pas. Chez « La Ville à Joie », nous disposons de quelques jeunes dégourdis qui connaissent le système. Cependant, une association souhaitant prospérer dans ce milieu doit normalement dédier 30 % de son budget ou de son fonctionnement au fait de trouver ces financements et de convaincre les bons acteurs. Cette nécessité détourne un peu de l'action sociale.

Par exemple, nous remplissons des dossiers de subventions européennes, très présents dans la revitalisation rurale, ou des dossiers auprès de l'Agence de l'environnement et de la maitrise de l'énergie (ADEME). Ces dossiers sont un peu disproportionnés pour une structure comme la nôtre mais nous parvenons à les remplir. La nécessité de remplir ces dossiers n'ouvre les portes qu'à des associations déjà très structurées ou d'une certaine taille.

En ruralité, nous arrivons à faire beaucoup avec peu. L'opération « La Ville à Joie », c'est un camion, trois jeunes, quatre tentes, un peu de décoration et beaucoup d'énergie. Avec ces éléments, nous parvenons à organiser des évènements qui fédèrent les gens, lors desquels les comités des fêtes s'occupent des buvettes et les habitants s'impliquent.

Il serait surement possible d'inventer des programmes et des appels à projets où un taux d'erreur plus élevé est toléré et où davantage de projets sont financés, avec un peu moins de critères. Les projets voleraient alors de leurs propres ailes. Certains ne fonctionnent pas car ils ne sont pas validés par le terrain, tandis que d'autres fonctionnent. Je ne sous-estime pas toute l'affaire administrative et réglementaire derrière les projets. Cependant, en ruralité, nous avons intérêt à créer des procédures un peu moins lourdes, puis à prolonger les projets validés par le terrain en demandant davantage de structuration. Les habitants de ces territoires ont du temps à donner si nous parvenons à bien les motiver autour d'un projet qui les intéresse, qu'il s'agisse de repeindre les huisseries ou porter des barnums. Ainsi, notre contribution à ce débat est de proposer de libérer un peu les actions solidaires.

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