J'ai signé les protocoles d'adhésion de la Finlande et de la Suède le 5 juillet. Nous avons connu un moment historique que nous ne pensions pas vivre. Nous nous étions entretenus avec les représentations nationales de Finlande et de Suède en 2021, mais ce débat n'était pas mûr et personne ne faisait pression en ce sens. Ces États étaient déjà les partenaires les plus proches de l'Alliance, dans le cadre du partenariat pour la paix depuis 1994, et avaient participé aux opérations au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Ils sont partenaires renforcés depuis 2014.
C'est bien la guerre en Ukraine et l'agression russe qui ont marqué une rupture vers l'adhésion. Le président finlandais a été reçu ici même, ses voeux de Nouvel An avaient frappé les observateurs tant ils annonçaient une évolution de la position de la Finlande, donc de la Suède. Le pays dont on s'attendait le moins qu'il le fasse, celui qui a toujours revendiqué le dialogue avec la Russie, a pris l'initiative.
Dès le déclenchement de l'invasion de l'Ukraine, le 25 février, l'OTAN a activé le mécanisme d'interactions renforcé, qui permet l'échange d'informations classifiées, et l'accès des alliés aux territoires et aux eaux territoriales suédois et finlandais. Ces pays réunissant les critères - ils sont démocratiques, leurs forces armées sont interopérables, ils apportent une contribution nette à la sécurité de l'Europe -, le processus d'adhésion a été très rapide. Dès le dépôt de leur candidature, mi-mai, nous avons préparé un calendrier accéléré en vue de leur participation comme invités au sommet de Madrid du 28 au 30 juin, ce qui signifiait que le protocole était signé. Celui-ci n'avait pu être finalisé avant Madrid, car M. Erdogan avait exprimé des objections, ce qui a suscité un flottement. Le secrétaire général, Jens Stoltenberg, s'est investi dans une mission de bons offices et a organisé une réunion trilatérale entre la Turquie, la Suède et la Finlande, qui a permis de signer un mémorandum levant l'objection turque. La signature des protocoles a pris place le 5 juin.
La Suède et la Finlande sont donc déjà invitées à nos réunions et nous sommes engagés dans le processus de ratification.
Vu de l'OTAN, dix des alliés ont déjà ratifié le protocole d'adhésion, parmi lesquels l'Allemagne, le Royaume-Uni, et les Pays-Bas. Les États-Unis le feront d'ici à août. Le calendrier de la plupart de nos alliés prévoit des ratifications avant septembre. Restent des points d'interrogation pour la Grèce, en raison d'élections anticipées, la Hongrie et la Turquie, car la Grande assemblée ne reprend ses travaux que début octobre. Nos partenaires suédois et finlandais attendent donc une ratification susceptible de les appuyer dans la perspective du processus turc, lequel s'annonce difficile.
M. Erdogan a ainsi indiqué que la Turquie attendait des témoignages de solidarité envers elle de la part de ses alliés. Elle demande ainsi des extraditions de militants depuis la Suède et la Finlande et la modernisation par les États-Unis de certains de ses F16. En effet, elle a été suspendue du programme F35 après avoir acheté des batteries antiaériennes russes et ne bénéficie donc pas d'avions de cinquième génération, alors que, en Méditerranée orientale, la Grèce bénéficiera de Rafale. La Turquie demande donc la cession de quarante F16 et la modernisation de quatre-vingts autres. Ces demandes sont à l'examen auprès du Congrès des États-Unis.
Il y aura donc une conversation difficile avec la Turquie ; en évitant autant que possible la confrontation, nous, démocraties européennes, avons intérêt à faire poids du côté de la Suède et de la Finlande.
Quant aux apports de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, ils se résument en trois points. D'abord, l'interopérabilité des forces suédoises et finlandaises avec celles des alliés est déjà très élevée. Par exemple, la semaine dernière, l'armée de l'air française a conduit des exercices avec les forces aériennes finlandaises.
Ensuite, la Suède et la Finlande ont des forces armées, des budgets et des industries de défense conséquents. La Finlande bénéficie d'un dispositif dit « de résilience ». Elle dispose de 280 000 personnels et d'une capacité de mobilisation allant jusqu'à 870 000 réservistes, ce qui en fait l'une des armées européennes les plus importantes. Son budget de défense la place au quinzième rang parmi les alliés de l'OTAN, pour une population réduite, et devrait augmenter à 2 % du PIB dès 2022.
La Suède a une armée plus réduite, qu'elle a prévu de renforcer, en élevant son budget de défense à 2 % du PIB d'ici à 2028. Elle se trouve actuellement au treizième rang parmi les alliés de l'OTAN et elle dispose d'une industrie de défense importante.
Sur le plan stratégique, ces deux pays apportent la profondeur stratégique dont nous avons besoin pour renforcer la posture de défense et de dissuasion de l'OTAN sur le flanc oriental, comme le prévoit le concept stratégique adopté à Madrid. Dans ce contexte, la France est présente en Estonie aux côtés des Britanniques, elle a endossé un rôle de nation-cadre en Roumanie et le Président de la République a annoncé qu'elle se tenait prête à augmenter son dispositif jusqu'à l'équivalent du niveau brigade, en cas de besoin. Elle dispose en outre de capacités de défense aérienne, notamment autour du port de Constanza, en Roumanie. Nous veillons à ne pas fixer inutilement les forces dont nous avons besoin. Si une présence sur le flanc oriental est nécessaire, la profondeur stratégique est un enjeu encore plus important, de sorte que l'adhésion de la Finlande et de la Suède est indispensable pour améliorer la défense des pays baltes et plus largement celle du front oriental.
Enfin, ces deux États sont des partenaires engagés en faveur de la défense européenne. Ils ont contribué à la task force Takuba et ont marqué leur intention de favoriser le renforcement de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne dans leur lettre d'adhésion.
Quant à la Russie, le risque qu'elle les déstabilise reste limité, notamment en raison de l'engagement des forces de la région militaire nord dans les combats en Ukraine, où elles ont connu des pertes importantes.
De plus, la Suède et la Finlande ont d'ores et déjà reçu des réassurances en matière de sécurité de la part des Alliés, dont la France.
Enfin, la rhétorique du pouvoir russe semble avoir évolué : alors que le ministre des affaires étrangères russe s'était initialement montré menaçant, le président Poutine est revenu, le 29 juin dernier, à un discours bien plus apaisé, laissant entendre que si les deux pays voulaient rejoindre l'OTAN, ils n'avaient qu'à le faire.
La position de la France à l'OTAN a consisté à soutenir ces deux démocraties européennes qui contribuent à la sécurité de l'Europe et sont des membres actifs de l'Union européenne, dont la Suède prendra la présidence à l'issue du mandat tchèque.