Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 19 juillet 2022 à 14h30
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2021 — Discussion générale

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois depuis vingt-deux ans, le Gouvernement a déposé le projet de loi de règlement après le 1er juillet, soit avec plus d’un mois de retard sur la date limite prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Ce n’est pas un bon début, monsieur le ministre, et ce n’est pas un bon signal. Voilà qui paraît en tout cas contradictoire avec l’annonce par le Gouvernement de sa volonté de travailler étroitement avec le Parlement…

J’ajoute que la révision de la loi organique avait justement été l’occasion de rappeler l’importance de l’analyse de l’exécution budgétaire passée pour définir les orientations futures. Il a également été souligné ce matin, lors de la réunion de notre commission, que les rapporteurs spéciaux n’ont pu travailler dans de bonnes conditions cette année.

S’agissant du texte qui nous a été transmis, il convient de se réjouir que la France ait effectivement connu un fort rebond de son activité économique en 2021. Il apparaît toutefois que le niveau global de l’activité n’est pas revenu, en 2021, à celui de l’année 2019, notamment à cause de la dégradation de notre commerce extérieur et d’une consommation encore déprimée.

Par ailleurs, nos performances ont été moins élevées que celles de nos partenaires européens : nous appartenons en effet au groupe des quelques pays ayant connu, en 2020 et 2021, un niveau d’activité inférieur à celui de l’année 2019.

Qui plus est, ce rattrapage économique a eu un coût, celui de la dégradation des comptes publics. En effet, si l’économie dans son ensemble a enregistré un montant de pertes de revenus cumulées de plus de 60 milliards d’euros, cela n’a été permis qu’avec l’absorption par les administrations publiques de 156 milliards d’euros de ces pertes.

Rétrospectivement, on peut observer que, du point de vue économique, l’année 2021 a préfiguré quatre chocs que nous subissons en 2022 : un choc d’approvisionnement en matières premières, un choc sur l’évolution des prix, un choc sur les marges des entreprises et – ce n’est pas le moindre – un choc sur le coût de financement de la dette.

Les prix à la production ont fortement accéléré au cours de l’année 2021, dans le contexte d’une reprise économique mondiale marquée. Les consommateurs n’ont pas immédiatement subi cette augmentation, les entreprises ayant d’abord réduit leurs marges. Mais, à compter de l’été 2021, l’inflation des prix à la consommation a fortement progressé.

Tout au long de l’année 2021, nous avons aussi assisté à une remontée des taux d’intérêt nominaux des obligations souveraines à dix ans, qui sont passés par deux fois en terrain positif. Les conditions de financement de la dette française changent ; il va falloir en tenir compte pour l’avenir.

Dans ce contexte, la situation de nos finances publiques est la suivante.

Tout d’abord, les recettes publiques ont été sous-évaluées lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) de fin de gestion en 2021 : la prévision de croissance du Gouvernement pour 2021, soit 6, 25 %, était excessivement prudente, l’acquis de croissance étant à lui seul égal à l’époque à 6, 6 %.

Dans ce contexte, le Gouvernement constate maintenant que les prélèvements obligatoires conduisent à un surplus de 30 milliards d’euros de recettes… En réalité, une prévision plus juste aurait divisé par deux cette « manne » que le Gouvernement brandit comme un satisfecit de qualité de gestion.

Avec 1 460 milliards d’euros en 2021, les dépenses publiques sont inférieures de 10 milliards d’euros à la prévision retenue au PLFR de fin de gestion. Toutefois, ce montant nous éloigne très fortement des objectifs inscrits en loi de programmation des finances publiques.

Ainsi, mes chers collègues, en excluant les dépenses liées à la crise sanitaire et à la relance – environ 91 milliards d’euros en 2021 –, les dépenses publiques s’établissent à 55, 4 % du PIB, contre 52, 5 % attendus – trois points de différence !

Le solde public s’établit à –160, 7 milliards d’euros, soit 6, 4 % du PIB. Il est principalement supporté par l’État, tandis que les collectivités locales parviennent quasiment à l’équilibre et que les administrations de sécurité sociale ont divisé par plus de deux leur déficit.

Notre endettement public diminue également d’environ 2 points de PIB, mais il reste à un niveau très important en comparaison européenne : 112, 9 % du PIB, soit plus de 40 points de plus que l’endettement de l’Allemagne – excusez du peu…

En outre, l’année 2021 est la première depuis longtemps où l’on assiste à une augmentation du poids de la charge de la dette. Cette tendance se poursuivra cette année, puisque le PLFR pour 2022 que nous devrions examiner la semaine prochaine prévoit une hausse de 17, 8 milliards d’euros de la charge de la dette par rapport à la loi de finances initiale.

J’en viens à présent au budget de l’État, dont le déficit s’établit en 2021 à plus de 170 milliards d’euros. C’est presque autant qu’en 2020, autrement dit un niveau historiquement élevé, qui résulte d’un niveau tout aussi historique de dépenses : près de 420 milliards d’euros sur le budget général pour moins de 250 milliards d’euros de recettes.

Les recettes fiscales de l’État effacent la forte chute connue en 2020 et retrouvent leur niveau de 2017, alors même qu’une fraction croissante de TVA est affectée aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités territoriales. La TVA était naguère une ressource majeure, voire dominante, de l’État ; elle ne lui rapporte aujourd’hui guère plus que l’impôt sur le revenu.

L’impôt sur les sociétés, qui devait diminuer selon la loi de finances initiale, est finalement en hausse de 10 milliards d’euros par rapport à 2020. C’est un exemple caractéristique des difficultés de prévision rencontrées par l’administration en 2021.

S’agissant des dépenses, elles ont augmenté de 37 milliards d’euros en 2021 et de 90, 7 milliards en deux ans. Ces hausses résultent, en particulier en 2021, du lancement de la mission « Plan de relance », mais un grand nombre de missions du budget général sont concernées. Même si elle diminue, la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » consomme tout de même encore plus de 34 milliards d’euros en 2021.

Au total, le surcroît de dépenses entre 2019 et 2021 est plus de trois fois supérieur aux sommes mises en œuvre lors de la crise financière de 2008 à 2010.

Or je crains que le Gouvernement ne considère le niveau actuel de dépenses comme un plancher pour les dépenses futures, et non pas comme une situation exceptionnelle et temporaire, puisqu’il n’a malheureusement fait aucune annonce, jusqu’à présent, permettant de prévoir une diminution de certains postes de dépense dans les années à venir – j’ai même cru comprendre qu’il comptait pour cela sur les oppositions…

Les dépenses de personnel du budget général de l’État illustrent d’ailleurs l’absence de mesure d’économies. Elles ont poursuivi leur augmentation tout au long du dernier quinquennat, et les diminutions d’emplois prévues et promises n’ont jamais été réalisées. Si le nombre des emplois diminue de près de 4 000 équivalents temps plein travaillés en 2021, c’est seulement en raison de difficultés de recrutement au ministère de l’éducation nationale…

Enfin, je déplore le montant assez extraordinaire des reports de crédits en 2021 – plus de 36 milliards d’euros –, alors que, depuis l’entrée en vigueur de la LOLF, le montant des crédits reportés chaque année avait toujours été inférieur à 3, 8 milliards d’euros. Le rapport est donc de 1 à 10 !

Or cette pratique, qui devrait être exceptionnelle, car elle contourne l’autorisation annuelle des dépenses, a été adoptée comme une norme par le précédent gouvernement : la quasi-totalité des crédits non consommés en 2021 a été de nouveau reportée vers 2022, alors qu’ils devraient être annulés en loi de règlement.

Le Gouvernement considère-t-il cette pratique comme un acte de saine gestion des finances publiques, alors même qu’il s’exonère de règles organiques – spécialité, annualité… –, tout en appelant à la rigueur des comptes ? Tout cela n’est pas très sérieux, monsieur le ministre !

Il me semble que le projet de loi de règlement donne une vision quelque peu idéalisée d’une situation dans laquelle l’accumulation des déficits creuse la dette, au moment même où l’inflation et les taux d’intérêt repartent à la hausse, sans aucune perspective favorable quant à des mesures qui pourraient conduire à rétablir les comptes.

En conclusion, la commission des finances propose de ne pas adopter le présent projet de loi de règlement et d’approbation des comptes.

Comme je viens de l’indiquer, du point de vue de la procédure budgétaire, nous regrettons les opérations de reports massifs en fin d’année 2020 et 2021, d’autant que la destination initialement prévue des crédits ouverts n’a pas toujours été conservée.

Par ailleurs, je rappelle que le Sénat n’a pas souhaité voter le projet de loi de finances initiale pour 2021, dont le présent texte, même révisé, traduit l’exécution.

Le Sénat, après avoir voté les mesures d’urgence qui étaient indispensables pendant la crise sanitaire, avait notamment contesté le choix du Gouvernement de ne pas tenir compte de la dérive des comptes publics. Nous appelions déjà à privilégier des mesures temporaires, puissantes et mieux ciblées pour favoriser la sortie de crise dans le cadre du plan de relance. Ce sont les mêmes critiques que nous avons formulées lors du second projet de loi de finances rectificative pour 2021 à propos de votre premier « chèque » à 4 milliards d’euros – la fameuse indemnité inflation.

Aussi, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, à la fois pour les mesures que le budget exécuté comporte et pour les manœuvres procédurales employées par le Gouvernement en cours d’année, ce texte ne nous satisfait pas.

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