Il est exact de dire que c’est un énorme succès pour l’OTAN. C’est un énorme succès de compter parmi ses membres ces deux États européens puissants, dotés de fortes armées, de consciences politiques et d’un passé. Le président Cambon l’a rappelé : la Suède est neutre depuis deux siècles, depuis Bernadotte, et la Finlande, malheureusement pour elle, a été « finlandisée », contre son propre avis, après la Deuxième Guerre mondiale et l’invasion soviétique de 1940 en Carélie.
Néanmoins, c’est aussi le résultat d’un échec. C’est le résultat de l’agression russe en Ukraine, qui a suscité en Europe de l’Est, sinon de la terreur, au moins de très fortes inquiétudes.
Si les pays baltes et la Pologne ont adhéré, dans le passé, à l’OTAN, c’était effectivement pour y participer et être protégés du géant russe voisin. Aujourd’hui, la Finlande et la Suède se disent qu’il n’est plus possible de discuter, de négocier ou de trouver des accords avec la Russie, et qu’elles ont besoin du bouclier de l’OTAN.
Le président Cambon rappelait que l’OTAN était qualifiée, il y a deux ou trois ans, de « machin quasi mort » dont on se demandait s’il fallait y mettre un terme et créer une autre organisation. On parlait alors davantage du bouclier européen, du modèle européen ou d’une armée européenne, de la capacité de l’Europe à se défendre par elle-même.
Cependant, aujourd’hui, le réalisme l’a emporté. Toute l’Europe se réjouit d’avoir la protection des Américains et des États, comme la Finlande et la Suède, s’empressent de revenir vers l’Alliance. Alors qu’ils auraient pu se contenter de la solidarité des États membres de l’Union européenne en cas d’agression armée, définie par l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne, ils préfèrent bénéficier, en plus, de la protection de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Effectivement, un premier résultat de l’agression sauvage de Poutine en Ukraine est la résurrection de la volonté européenne de participer à l’OTAN et, en France, de l’accord des opinions publiques, qui étaient très divisées sur le sujet et qui maintenant font bloc au regard de ce qui se passe en Ukraine.
Je ne veux pas être trop long, puisque les choses sont claires pour nous : cette adhésion apporte une force supplémentaire. La Finlande a 1 300 kilomètres de frontières avec la Russie ; elle l’a durement payé dans le passé – et Poutine est un peu imprévisible, il faut le dire. En effet, en France ou ailleurs, madame la ministre, au début de cette année, on affirmait qu’il n’y aurait pas d’invasion russe de l’Ukraine. Puis l’invasion a eu lieu et, à partir de ce moment, les gens ont réagi avec émotion, avec toutes les tensions que cela implique, et nous sommes évidemment partie prenante.
Cette adhésion, on l’a dit, entraîne un nouveau chantage du maître d’Ankara : chantage au sujet du PKK, chantage au sujet des mouvements avec lesquels nous avions des accords dans le cadre de la lutte contre Daech.
Jusqu’où l’OTAN et ses États membres doivent-ils aller pour satisfaire la Turquie et l’empêcher de bloquer l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN ? C’est un réel enjeu. J’ose espérer, madame la ministre, comme vous l’avez dit, que ce mémorandum n’était pas un engagement de l’ensemble de l’Europe et de l’OTAN, mais seulement de la Suède. Mais enfin, quelle est l’étape suivante ?
Pour le moment, la Turquie n’a pas donné son accord à l’adhésion de ces pays. N’allons-nous pas avoir dans les jours qui viennent de nouvelles demandes, de nouveaux chantages ? Hier, le gouvernement turc s’exprimait de nouveau, à travers deux voix : d’un côté, celle des « durs », qui soutenaient ne pas avoir obtenu assez pour accepter l’adhésion ; de l’autre, celle des diplomates qui essayaient d’enrober le propos.
Cela souligne néanmoins que, si nous sommes contents que la Finlande et la Suède adhèrent à l’OTAN, ce n’est pas facile tous les jours de gérer l’OTAN avec la Turquie.