Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 21 juillet 2022 à 11h00
Adhésion de la finlande et de la suède à l'otan — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Marc TodeschiniJean-Marc Todeschini :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la succession des événements récents nous démontre qu’en matière de géopolitique il n’y a pas de certitude absolue.

Si l’histoire et la géographie peuvent venir éclairer les analyses des gouvernants, les nécessités immédiates emportent souvent les décisions.

À ce titre, le rôle de notre chambre est essentiel. Nos débats doivent permettre d’éclairer celles et ceux qui nous succéderont et auront, un jour, à prendre leur part dans la conduite de notre pays. En ce sens, nous devons toujours nous efforcer d’aller plus loin dans nos échanges que ne le laisserait penser le simple résumé de nos votes.

C’est d’autant plus important sur un sujet comme celui que nous abordons aujourd’hui en séance : l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN.

Ne nous cachons pas derrière de faux-semblants : face aux nécessités de l’actualité, le vote de ce jour laisse peu de place au doute.

Naturellement, nous souhaitons que la ratification définitive de ce protocole d’adhésion ne soit pas, à la fin, l’occasion d’un chantage à l’abandon de nos alliés kurdes.

Dans un contexte où le dirigeant de la Fédération de Russie s’est mué en assaillant aux portes de l’Union européenne, attaquant l’Ukraine, un pays souverain à nos frontières, il est évident que les autres pays géographiquement proches vont rechercher toutes les voies leur permettant d’assurer la protection de leur population et l’intégrité de leur territoire.

La première observation, c’est que ce sont bien les gouvernements de la Suède et de la Finlande qui demandent à rejoindre l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Ils s’adaptent ce faisant à une nouvelle réalité géopolitique imposée soudainement par l’agression de la Russie. Ils répondent aussi à une demande interne, exprimée par leurs propres citoyens, jusqu’alors historiquement attachés à la neutralité et au non-alignement, singulièrement vis-à-vis de leur voisin russe.

Pour dire les choses clairement, cette demande n’est pas contrainte. Elle n’est pas imposée par les États-Unis ou par un autre État occidental.

Elle ne répond pas non plus à une stratégie d’encerclement de la Russie menée par les pays occidentaux, que ce soit au sein de l’OTAN ou de l’Union européenne. Elle résulte bel et bien de la mutation d’un État voisin en un potentiel agresseur ayant lui-même démontré qu’il ne se contentait plus de mots, mais était capable de passer à l’acte à tout moment et sur simple décision de son président absolu, Poutine.

En ce sens, aucun autre État, encore moins un État européen, ne saurait abandonner la Suède et la Finlande à leur sort. La solidarité ne peut qu’être entière et assumée.

Cela étant, cette nécessaire solidarité ne doit pas nous empêcher d’observer et d’interroger le sujet qui nous occupe : l’adhésion à l’OTAN, en 2022, de deux pays membres de l’Union européenne depuis 1995.

En effet, notre analyse ne saurait masquer le fait que cette demande met en lumière une réelle faiblesse de l’Union européenne.

Si l’Alliance atlantique est la première et principale garantie de la sécurité et du maintien de la paix en Europe, si, lorsque le danger de la guerre se profile en Europe, le réflexe instinctif de protection est de se tourner vers l’OTAN, cela veut dire que l’Union n’a pas encore réussi à devenir ce que nous attendons d’elle.

Les faits le démontrent, la défense européenne en est à ses balbutiements. L’armée européenne n’existe pas en dehors de quelques débats qui débouchent sur quelques tentatives administratives, un régiment franco-allemand et quelques essais infructueux sur le terrain. Je pense par exemple à la force Takuba, que le Président de la République nous avait vendue comme le début visible de cette armée européenne. Ses propos avaient d’ailleurs été relayés ici même par le Premier ministre et la ministre des armées.

La coopération européenne en matière de défense est concrètement, la plupart du temps, issue d’accords directement pris entre les pays concernés. À ce stade, l’armée européenne ressemble à une armée de papier, mais les plus beaux schémas avec des flèches et des pointillés dessinés comme il faut, voire des noms en face de fonctions, ne feront jamais une armée opérationnelle sur le terrain, capable de conduire des missions, encore moins dans le cadre d’un combat défensif à haute intensité. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à qui que ce soit, mais simplement de constater où nous en sommes réellement. Nous avons encore beaucoup de travail avant que l’Union européenne ne soit capable de se défendre seule.

En l’état, les choses sont claires : la défense européenne n’existe pas et, si armée européenne il y a, ce n’est qu’au sein de l’OTAN.

Cette armée n’est donc pas seulement européenne. Elle s’inscrit dans un cadre plus large, où les États-Unis d’Amérique jouent un rôle particulier, entre membre éloigné de la famille, capitaine d’équipe et leader économique.

D’ailleurs, les États-Unis n’ont pas toujours la même appréciation de ce qu’est l’OTAN. Souvent, ils aimeraient surtout la voir comme un espace économique leur permettant de vendre leurs matériels de défense à des partenaires privilégiés. Mais il faut être le plus juste possible : constatons aussi que, mis à part le drame syrien, marqué par l’absence tragique de l’OTAN en 2014, alors que la France, par la voix de son président, François Hollande, s’était engagée auprès du peuple syrien, les États-Unis ont répondu présent aux côtés des Européens chaque fois que cela s’est révélé nécessaire dans notre histoire.

L’Europe a beaucoup progressé sur le fond depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Néanmoins, elle s’est peut-être trop contentée d’élargissements successifs depuis la chute du mur de Berlin, sans se poser de nouveau la question de son projet et des moyens à engager. Dans le domaine de la défense, l’écart est gigantesque entre les intentions, les réalisations, les nécessités actuelles et futures.

Enfin, cette double demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande nous oblige à interroger le positionnement de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie.

La guerre en Ukraine se poursuit, avec son lot de haines et de misères. Mais, cette guerre, la Russie ne pourra pas la remporter. L’Union européenne a et aura toujours des frontières communes avec ce pays, qui est aussi un membre à part entière de la grande histoire de l’Europe.

Par-delà le vote de ce jour, par-delà les adhésions de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, nous devons répondre à une autre question : celle de l’équilibre de nos relations avec la Fédération de Russie, dès lors qu’elle aura cessé son agression et aura rappelé l’ensemble de ses troupes dans son espace territorial.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiennent, bien entendu, la demande d’adhésion de la République de Finlande et du Royaume de Suède !

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