Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 19 juillet 2022 à 9h00
Projet de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur général :

Monsieur le président, mes chers collègues, le temps dont nous disposons pour examiner le projet de loi de règlement pour 2021 est très réduit, car ce texte n'a été déposé que le 4 juillet, soit presque cinq semaines après le délai limite du 31 mai fixé par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Si un certain retard avait été constaté lors des précédentes années d'élections générales, c'est la première fois depuis vingt-deux ans que le projet de loi de règlement est déposé après le 1er juillet. Ce n'est pas un bon signal, au moment où le Gouvernement dit vouloir travailler en coopération étroite avec le Parlement, et alors que la révision de la loi organique a été l'occasion pour beaucoup de parlementaires de rappeler l'importance de l'analyse de l'exécution budgétaire passée pour définir les orientations futures.

Pour commencer, la France a connu un fort rebond de l'activité économique en 2021, puisque le PIB a augmenté en volume de 6,9 %, après une récession de 7,8 % en 2020, due aux conséquences de la crise sanitaire. C'est une excellente nouvelle, car, malgré la persistance de la crise et des mesures sanitaires que celle-ci a engendrées, il était absolument essentiel que la France parvienne à réduire, si ce n'est à effacer, les pertes économiques subies en 2020. A posteriori, ce rebond me semble d'autant plus primordial que nous sommes passés d'une crise à l'autre, de la crise sanitaire à la crise énergétique.

S'il convient de se réjouir de ce résultat, il apparaît toutefois que le niveau global de l'activité n'est pas revenu, en 2021, à celui de l'année 2019. Ainsi, le PIB en volume de l'année 2021 est inférieur d'environ 1,6 % à celui de l'année 2019, notamment à cause de la dégradation de notre commerce extérieur et d'une consommation encore déprimée.

Ensuite, j'observe que nos performances ont été moins importantes que celles de nos partenaires européens. Ainsi, nous appartenons au groupe des pays qui ont connu, en 2020 et en 2021, un niveau d'activité inférieur à celui de l'année 2019. Nous ne sommes, certes, pas seuls dans ce cas, puisqu'il en est de même pour l'Italie, le Portugal ou encore la Grèce.

Le rattrapage du terrain perdu en 2020 au cours de l'année 2021 a, par ailleurs, eu un coût : celui de la dégradation des comptes publics. En effet, si le revenu disponible brut de l'ensemble des agents économiques a progressé en 2021, le cumul des pertes et des gains enregistrés en 2020 et 2021 montre que les administrations publiques ont joué un rôle essentiel, au travers des mesures de soutien et de relance portées par l'État et les stabilisateurs automatiques. Ainsi, sur la période, l'ensemble de l'économie a enregistré plus de 60 milliards d'euros de pertes cumulées de revenu disponible brut. Ces pertes s'élèvent à 156 milliards d'euros pour les administrations publiques, et se limitent à environ 2 milliards d'euros pour les entreprises, compte tenu des annulations de créances fiscales, tandis que, dans leur ensemble, les ménages ont engrangé plus de 90 milliards d'euros de revenus supplémentaires par rapport à 2019.

Rétrospectivement, en matière économique, l'année 2021 a préfiguré un certain nombre de chocs que nous subissons en 2022 : choc d'approvisionnement en matières premières, choc sur l'évolution des prix, choc sur les marges pour les entreprises et choc sur le coût du financement de la dette.

Nous l'avions signalé dès les prémices de ce mouvement : la hausse des prix à la production a fortement accéléré en 2021, dans le contexte d'une reprise économique mondiale. Dans le secteur industriel, les prix à la production ont augmenté, en moyenne, de 8,7 % sur un an, cette hausse étant de 8,9 % dans le secteur agricole. Dans la construction neuve - mais la situation est la même dans la rénovation -, les prix ont augmenté de 4,8 % en moyenne. Les consommateurs n'ont pas immédiatement subi cette augmentation des prix à la production. D'ailleurs, le pouvoir d'achat des ménages a progressé d'environ 2,3 % en 2021, et n'a commencé à ralentir qu'à compter de l'année 2022.

Mais il n'y a pas de secret : si les consommateurs n'ont pas subi dès 2021 la hausse des prix à la production, c'est d'abord parce que les entreprises ont réduit leurs marges. Ainsi, dans le secteur manufacturier, au quatrième trimestre 2021, le taux de marge se situait 5,6 points en dessous de sa moyenne sur la période 2012-2019. Dans le secteur de la construction, cet écart était d'environ 4,4 points. Cette situation est préoccupante. Elle l'est d'autant plus que, à compter de 2021, l'inflation des prix à la consommation a fortement accéléré. Si, en moyenne annuelle, elle s'élève à 1,6 %, la moyenne mensuelle de l'inflation se situe, depuis le mois d'août 2021, à des niveaux largement supérieurs. En novembre et en décembre 2021, l'inflation atteignait même 2,8 % en glissement annuel, ce qui justifiait que nous débattions déjà de mesures de protection du pouvoir d'achat.

L'accélération de l'inflation résulte pour l'essentiel de la hausse des prix de l'énergie, comme nous aurons l'occasion d'en discuter demain à l'occasion d'une table ronde réunissant des économistes sur le sujet, ainsi que lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022.

Dernier point sur lequel je souhaite alerter avant de dire un mot sur l'état de nos finances publiques : la remontée des taux d'intérêt nominaux. Tout au long de l'année 2021, nous avons assisté à une remontée des taux d'intérêt nominaux des obligations souveraines à dix ans, qui sont passés par deux fois dans le positif. Si les taux réels - c'est-à-dire corrigés de l'inflation - sont demeurés négatifs et orientés à la baisse en 2021, la situation est très différente au début de l'année 2022. Nous avons assisté, l'an dernier, au prologue d'un vrai changement de régime des conditions de financement de la dette française - nous avions alerté le Gouvernement sur ce sujet dès la fin de l'année.

J'en viens à une présentation rapide de la situation de nos finances publiques.

Je veux commencer par évoquer les recettes publiques, qui ont été sous-évaluées lors de l'examen du PLFR de fin de gestion en 2021. J'avais alors déjà eu l'occasion de qualifier d'« excessivement prudente » la prévision de croissance de 6,25 % retenue par le Gouvernement. L'acquis de croissance était, à lui seul, égal à 6,6 %. Le déflateur du PIB, mesurant l'évolution des prix à la production, continuait d'être évalué à +0,5 %, sans que les récents développements conjoncturels soient pris en compte.

Dans ce contexte, le Gouvernement constate maintenant que les prélèvements obligatoires se sont finalement élevés à près de 1 110 milliards d'euros, soit un surplus de 30 milliards d'euros de recettes par rapport aux prévisions. Il s'en félicite, en l'attribuant aux effets de sa politique économique, qui aurait assuré le dynamisme de l'activité. En réalité, il me semble qu'une prévision de recettes d'une meilleure qualité aurait dû être retenue dès l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2022 et du PLFR de fin de gestion pour 2021. En tenant compte des informations et des prévisions des conjoncturistes disponibles à l'époque, il apparaît qu'une prévision de recettes d'environ 1 095 milliards d'euros aurait pu être établie. L'écart avec la réalisation effective aurait été divisé par plus de deux !

J'en viens aux dépenses publiques, qui s'élèvent quant à elles à 1 460 milliards d'euros en 2021, soit 10 milliards d'euros de moins que la prévision retenue dans le PLFR de fin de gestion pour 2021. Cet écart tient à des engagements des opérateurs et des collectivités moindres que prévu. Malgré cela, le niveau des dépenses publiques s'éloigne très fortement des objectifs inscrits en loi de programmation des finances publiques (LPFP). Ainsi, en excluant les dépenses liées à la crise sanitaire et à la relance - soit environ 91 milliards d'euros en 2021 -, les dépenses publiques s'établissent à 55,4 % du PIB, et non au taux attendu de 52,5 %.

Le déficit public s'établit à 160,7 milliards d'euros, soit 6,4 % du PIB. Il est d'ailleurs principalement supporté par l'État, les collectivités locales parvenant quasiment à l'équilibre et les administrations de sécurité sociale ayant divisé par plus de deux leur déficit.

Notre endettement public diminue également d'environ 2 points de PIB, mais il reste à un niveau très important en comparaison européenne : il s'élève à 112,9 % du PIB, soit 40 points de plus que l'endettement de l'Allemagne. En outre, l'année 2021 est la première depuis longtemps où l'on assiste à une augmentation du poids de la charge de la dette, qui passe de 1,3 % à 1,4 % du PIB. Cette augmentation s'explique par l'augmentation du stock de dette liée au coût des mesures prises en réponse à la crise sanitaire, mais aussi par un renchérissement du coût des obligations indexées sur l'inflation, pour environ 2 milliards d'euros. Cette tendance se poursuivra en 2022, puisque le PLFR pour 2022 que nous devrions examiner la semaine prochaine prévoit une hausse de 17,8 milliards d'euros de la charge de la dette par rapport à la loi de finances initiale en raison de l'inflation.

J'en viens à présent au budget de l'État, dont le déficit s'établit, en 2021, à 170,7 milliards d'euros. C'est certes une « amélioration » de 7,3 milliards d'euros par rapport au déficit budgétaire enregistré en 2020, mais le niveau n'en est pas moins historiquement élevé.

Il est possible d'expliquer la formation du déficit en reprenant les principaux éléments de l'article d'équilibre du projet de loi de règlement, en se limitant au périmètre du budget général. Les masses assez considérables des prélèvements sur recettes et des remboursements et dégrèvements sont retirées des recettes brutes pour constituer les recettes nettes. Ces recettes nettes sont inférieures à 250 milliards d'euros, alors que les dépenses nettes approchent les 420 milliards d'euros : il manque donc plus de 170 milliards d'euros pour équilibrer le budget de l'État, ce qui constitue le déficit.

Si le niveau des recettes peut paraître faible, c'est surtout le niveau des dépenses qui est élevé. Par rapport à 2020, le déficit 2021 s'explique, en effet, par un fort surcroît de dépenses, notamment avec la mise en oeuvre du plan de relance, alors même que les recettes connaissaient elles aussi une forte augmentation après le « trou d'air » de 2020, lié aux mesures de restriction en lien avec la crise sanitaire. Si les dépenses du plan d'urgence diminuent, elles atteignent encore 34,4 milliards d'euros.

Un autre effet important, qui a un impact à la fois sur les dépenses nettes et sur les recettes nettes, est la forte diminution des remboursements et dégrèvements, notamment à cause de ceux qui portaient sur la taxe d'habitation.

S'il n'y avait qu'un seul message à retenir, c'est donc que l'accroissement du déficit résulte des dépenses, et non des recettes, celles-ci connaissant un très fort rebond en 2021. Les recettes fiscales nettes de l'État effacent la forte chute connue en 2020, mais le rebond est plus important encore, puisque, avec un niveau de 295,7 milliards d'euros, elles sont supérieures de plus de 14 milliards d'euros à celles de 2019, atteignant le niveau historiquement élevé de 2017.

Ce rebond est d'autant plus remarquable que, depuis 2017, une fraction croissante de TVA a été affectée aux administrations de sécurité sociale et aux collectivités territoriales, en contrepartie de transferts de compétences ou, comme c'est le cas en 2021, à cause de la réforme de la fiscalité locale. SI l'on considère l'évolution de la répartition des recettes de la TVA entre les différentes catégories d'administrations publiques, on constate que cet impôt est aujourd'hui véritablement partagé entre l'État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Alors que la TVA était naguère une ressource majeure, voire dominante, de l'État, elle ne lui rapporte aujourd'hui guère plus que l'impôt sur le revenu, qui a connu une hausse régulière au cours du quinquennat précédent, sauf lors de la baisse de son barème en 2019.

La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), pour sa part, a augmenté de manière spectaculaire en 2021, non seulement parce que la consommation de carburant a retrouvé des niveaux plus normaux après les confinements de 2020, mais aussi et surtout par un effet de périmètre : la rebudgétisation du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » a conduit à réaffecter une partie de son produit au budget général.

Quant à l'impôt sur les sociétés (IS), son produit reflète les évolutions de la conjoncture économique en les amplifiant, car il est assis sur les bénéfices, et non sur la production dans son ensemble. Alors qu'en loi de finances initiale il était prévu en baisse, puis en légère hausse dans le collectif budgétaire de fin d'année, il a connu une forte augmentation, de 10 milliards d'euros, par rapport à 2020, soit plus de 15,3 milliards d'euros de plus que le niveau prévu en loi de finances initiale pour 2021, malgré la poursuite de la trajectoire de baisse du taux d'imposition de 33 % à 25 %. Cette hausse est bien sûr liée à la reprise économique, qui accroît le bénéfice fiscal, mais aussi, sans doute, au comportement des entreprises, qui ont versé un cinquième acompte très élevé en décembre 2021. Ces écarts illustrent la difficulté de la prévision des recettes de cet impôt.

S'agissant des dépenses, on se souvient qu'elles avaient connu une augmentation historique de 53,6 milliards d'euros en 2020 : c'était le « quoi qu'il en coûte » face à la crise sanitaire. En 2021, non seulement le budget de l'État n'est pas revenu à un niveau plus habituel de dépenses, mais ces dernières ont encore augmenté de 37 milliards d'euros, ce qui représente une progression de 90,7 milliards d'euros en deux ans.

Je serai bref pour décrire les évolutions des missions, car vous les avez-vous-mêmes présentées avec précision dans vos rapports spéciaux.

Comme je l'ai déjà dit, les remboursements et dégrèvements diminuent, pour des raisons liées à la réforme de la fiscalité locale, et la mission « Plan d'urgence », si elle voit ses dépenses quelque peu diminuer, continue tout de même à consommer plus de 34 milliards d'euros.

La hausse des dépenses de la mission « Plan de relance » s'explique bien sûr par la première année de son application, et celles de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » proviennent pour moitié d'un effet de périmètre lié à la rebudgétisation de plusieurs comptes d'affectation spéciale - n'y voyez pas un effort du Gouvernement pour renforcer sa politique de transition énergétique et écologique...

Le surcroît de dépenses entre 2019 et 2021 est plus de trois fois supérieur aux sommes mises en oeuvre lors de la crise financière de 2008 à 2010. Or je crains que le Gouvernement ne considère le niveau actuel de dépenses comme un « plancher » pour les dépenses futures, et non pas comme une situation exceptionnelle et temporaire, puisqu'il n'a fait aucune annonce permettant de prévoir une diminution de certains postes de dépenses dans les années à venir. Nous le constaterons à nouveau dans quelques jours, en examinant le projet de loi de finances rectificative.

Les dépenses de personnel du budget général de l'État illustrent d'ailleurs l'absence de mesures d'économie. Elles atteignent 134,2 milliards d'euros en 2021, en hausse de 1,2 % par rapport à 2020 et poursuivant les hausses notables constatées depuis le début du dernier quinquennat. Si le nombre des emplois diminue de près de 4 000 équivalents temps plein travaillé en 2021, ce n'est pas par choix, mais en raison de difficultés de recrutement au ministère de l'éducation nationale qui, selon le Gouvernement, devaient être résolues dans le courant de l'année 2022.

Depuis des années, nous avons noté le mouvement apparemment paradoxal d'une dette qui s'accroît sans cesse - son volume a augmenté de 18,6 % en deux ans - et d'une charge de la dette qui, elle, diminuait tout aussi régulièrement. Or ce mouvement s'inverse en 2021, et l'on revient à la réalité : dès l'an dernier, l'inflation a pesé sur le stock de dette indexée, et la charge maastrichtienne de la dette est repartie à la hausse. Nous savons d'ores et déjà que cette hausse va se poursuivre et s'amplifier en 2022, sous l'effet tant de l'inflation que de la hausse des taux d'intérêt.

Je finirai par quelques observations sur l'exécution budgétaire proprement dite et le respect de l'autorisation budgétaire, comme nous y enjoint l'examen de la loi de règlement.

Nous avons plusieurs fois remarqué le montant assez extraordinaire des reports de crédits en 2021 : plus de 36 milliards d'euros, alors que, depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, le montant des crédits reportés chaque année avait toujours été inférieur à 3,8 milliards d'euros - le rapport est de 1 à 10. Il s'agissait surtout de crédits ouverts sur la mission « Plan d'urgence », ainsi que de fonds de concours apportés à la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

Cette pratique devrait être exceptionnelle, car les crédits non consommés en fin d'exercice devraient être ensuite annulés par la loi de règlement. Or, à la fin de 2021, 25,6 milliards d'euros de crédits de paiement n'avaient pas été consommés, mais moins de 10 % de ce montant seulement est annulé par le projet de loi de règlement. Le reliquat, à hauteur de plus de 23 milliards d'euros, est reporté à 2022, sur un grand nombre de missions du budget général.

Ce simple fait montre, s'il en était besoin, que le Sénat, et notre commission en particulier, a eu raison de mettre l'accent sur le contrôle de ces reports de crédits lors de l'examen, l'an dernier, de la réforme de la loi organique. Je rappelle que, sur notre proposition, une disposition a été introduite dans la LOLF, limitant les reports à 5 % des crédits ouverts sur les programmes du budget général.

À titre de conclusion, je reviendrai sur les aléas de la prévision budgétaire au cours de l'année 2021. Le déficit constaté sur l'année est inférieur de près de 50 milliards d'euros à celui qui avait été prévu en milieu d'année, lors de la première loi de finances rectificative de juillet 2021. Il est proche du niveau prévu en loi de finances initiale, mais celui-ci était sous-estimé dans la mesure où il n'intégrait pas l'effet des reports de crédits sur les dépenses effectives en 2021. Les prévisions de recettes comme de dépenses ont, elles, connu plusieurs réévaluations successives. Même les prévisions faites en fin d'année, lors de la seconde loi de finances rectificative, ont finalement été très nettement inférieures à la réalisation.

Au total, l'année 2021 a été marquée par la prolongation de la crise sanitaire, et il n'est pas surprenant que les mesures de soutien aux entreprises et aux ménages, que nous avons, dans l'ensemble, approuvées, aient continué à peser sur le déficit. Faut-il pour autant, comme le fait le Gouvernement, parler de « gestion saine » des finances publiques ? C'est une vision quelque peu idéalisée d'une situation où l'accumulation des déficits creuse la dette au moment même où l'inflation et les taux repartent à la hausse, sans aucune perspective plus favorable sur les mesures qui pourraient conduire à rétablir véritablement les comptes.

Tels sont les principaux points que je souhaitais souligner ce matin sur la situation des finances publiques et de l'exécution budgétaire en 2021, telles qu'elles se reflètent notamment dans l'article liminaire et dans les articles 1 à 6 du projet de loi de règlement.

Ce texte comprend deux articles supplémentaires.

L'article 7 met en oeuvre l'annulation d'une partie de la dette détenue par la France sur la Somalie, en application d'un accord bilatéral intervenu dans le cadre du Club de Paris.

L'article 8, introduit par l'Assemblée nationale, demande un rapport sur l'exécution de la mission « Plan de relance ». Même si les données demandées sont intéressantes, je ne suis pas certain que l'ajout d'un rapport soit bien opportun.

De nombreuses informations complémentaires figurent évidemment dans le tome I du rapport général, auquel je vous renvoie notamment pour des éléments chiffrés plus détaillés, mais aussi pour la partie consacrée à la mesure de la performance, qui, à partir de l'analyse de l'ensemble des indicateurs figurant dans les missions, montre qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. En effet, les sous-indicateurs sont très nombreux, parfois peu exploitables - faute de données notamment - ; ils peuvent poser des difficultés de périmètre et sont globalement décevants.

Par ailleurs, l'exécution 2021 de l'ensemble des missions du budget de l'État et des politiques publiques afférentes fait l'objet de contributions riches et détaillées, que vous avez signées en votre qualité de rapporteurs spéciaux.

S'agissant de notre vote sur ce texte, je rappellerai tout d'abord que le Sénat n'a pas souhaité voter la loi de finances initiale pour 2021. Après avoir voté les mesures d'urgence indispensables pendant la crise sanitaire, il avait contesté le choix du Gouvernement de ne pas tenir compte de la dérive des comptes publics. Ainsi, le Gouvernement aurait déjà dû privilégier des mesures temporaires, puissantes et mieux ciblées pour favoriser la sortie de crise dans le cadre du plan de relance, lequel s'est par ailleurs avéré tardif et mal calibré.

Par ailleurs, presque aucune des mesures portées par le Sénat n'a été retenue par le Gouvernement lors de l'examen de ce texte, alors qu'elles contribuaient notamment à assurer la juste compensation de l'ensemble des collectivités territoriales dans le cadre de la réforme des impôts de production, ou encore à favoriser la solidarité nationale, en prévoyant, par exemple, une taxation exceptionnelle des profits des assureurs pendant la crise sanitaire. Les mesures ciblées d'aide aux plus précaires que nous portions n'avaient pas non plus été retenues. Les articles que notre assemblée avait supprimés, à la quasi-unanimité, avaient également été rétablis en nouvelle lecture par les députés.

Depuis, nous avons certes adopté le premier PLFR de 2021, à l'été, mais il s'agissait d'un collectif budgétaire tendant à accompagner la sortie de crise, prolongeant notamment, avec des adaptations, le fonds de solidarité ou encore la nouvelle aide au paiement des cotisations et contributions sociales, la garantie de l'État au titre des prêts garantis par l'État (PGE) et la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA). Nous avons par la même occasion obtenu d'importantes évolutions et apports du Sénat en commission mixte paritaire (CMP).

En revanche, nous nous sommes fermement opposés à la seconde loi de finances rectificative, le PLFR de fin de gestion, qui comportait en particulier l'indemnité inflation prévue par le Gouvernement, avec une enveloppe budgétaire de 4 milliards d'euros. Comme je l'avais indiqué, ce premier « chèque » de 100 euros, versé à près de 38 millions de personnes, sans tenir compte des revenus du foyer, cumulait les inconvénients : un ciblage insuffisant, des effets de seuil massifs et des risques d'effets d'aubaine préjudiciables à son efficacité au regard du coût important pour les finances publiques.

Enfin, en termes de procédure budgétaire, nous ne pouvons une nouvelle fois que regretter que le Gouvernement ait procédé à des opérations de reports massifs en fin d'année, de 2020 à 2021, mais aussi de 2021 vers 2022, sans nécessairement conserver la destination initialement prévue des crédits ouverts, ce qui pose question.

Aussi, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, à la fois pour les mesures que le budget exécuté comporte et les manoeuvres procédurales employées par le Gouvernement en cours d'année pour utiliser les crédits ouverts par le Parlement, je propose à la commission de ne pas adopter le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021.

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