Merci, monsieur le président, de nous accueillir au Sénat. Vous avez rappelé que j'étais présente, au mois de février, pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne, lors de la traditionnelle conférence interparlementaire que le Sénat a bien voulu accueillir.
Depuis lors, l'attention de l'Union européenne s'est tournée en priorité vers la guerre en Ukraine, qui met au défi les décisions prises par l'Union européenne en matière de sécurité et de défense ces dernières années et ces derniers mois.
Je salue la pertinence de la Facilité européenne de paix, instrument mis en oeuvre à toute petite échelle avant la guerre d'Ukraine, à hauteur de quelques millions par ci ou par-là, permettant d'acquérir des matériels essentiellement non létaux, des casques, des gilets pare-balles ou des instruments de déminage. En quelques heures, au début de la guerre d'Ukraine, il a été décidé de déclencher les 500 premiers millions d'euros. Comme vous l'avez dit, nous atteignons, depuis le conseil des affaires étrangères, qui en a pris la décision de principe, un montant de 2,5 milliards d'euros.
Je pense que cette Facilité remplit bien son rôle et permet à l'Union européenne d'être un facilitateur entre l'expression des besoins des autorités ukrainiennes et des disponibilités des États. Cela permet aussi une forme de solidarité entre les plus riches et ceux qui peuvent faire, le plus vite, don d'anciens matériels soviétiques, que connaissent souvent les militaires ukrainiens. Cette forme de solidarité est en train de se mettre en place et est évidemment essentielle.
Vous avez posé la question du montant total. La guerre en Ukraine confirme ce que cette sous-commission avait dit au moment de la préparation du budget multi-annuel : en matière de défense, on a vu trop petit, qu'il s'agisse du Fonds européen de défense, du financement de la mobilité militaire, dont on voit aujourd'hui à quel point elle est indispensable, ou des crédits hors budget qui ont été prévus pour la Facilité européenne de paix. Nous allons assez vite atteindre les plafonds. Il faudra donc repenser et rediscuter une modification à la marge du budget pluriannuel, sans compter que nos États sont confrontés à une diminution rapide de leurs stocks d'équipements militaires à laquelle il va falloir être en capacité de répondre.
C'est la raison pour laquelle le commissaire Thierry Breton a fait une proposition, que cette sous-commission juge intéressante, de mécanisme d'achat en commun et d'incitations financières en faveur de celui-ci. Il propose, dans un premier temps, dans l'urgence, de prendre sur deux ans 500 millions d'euros dans les marges du budget européen pour inciter les États qui vont renouveler leur stock à le faire ensemble.
Ceci permet aux États d'établir une forme d'équilibre vis-à-vis des industriels, afin que ce ne soit pas eux qui mènent la danse et fixent les conditions, ce qui est de nature à inciter les États à acheter européen, les financements, tels que proposés dans le mécanisme de la Commission, étant destinés à consolider la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE).
L'acquisition de matériels non européens ne serait possible, avec un soutien de la Commission, que si les partenaires extraeuropéens levaient leurs réserves sur l'utilisation des matériels. Ce serait le début d'un rapport de force positif pour l'Union européenne par rapport à des partenaires qui fixent sans cela des conditions qui ne sont pas, pour nous, synonymes de garantie de souveraineté. On pense bien sûr aux États-Unis, mais pas seulement.
Cette sous-commission soutient la proposition qui est faite par la Commission européenne. On en verra le détail dans les semaines qui viennent, mais elle est évidemment nécessaire. On n'en est toutefois pas à un Buy European Act, même si l'on comprend que le Fonds européen de défense est utile en matière d'innovation, de recherche et de développement. Aujourd'hui, on travaille sur un deuxième étage de la fusée, qui est celui des acquisitions et on progresse vers davantage de souveraineté européenne.
Pour autant, notre sous-commission suit avec attention la mise en oeuvre de la boussole stratégique. Arnaud Danjean, qui m'a précédée dans les fonctions que j'occupe, le sait depuis longtemps : la défense européenne fait l'objet de beaux discours, de belles déclarations d'intention, mais encore faut-il passer aux actes. La boussole stratégique est un bon texte, qui a été revigoré par la guerre d'Ukraine en surmontant les réticences des moins convaincus de la nécessité de la défense européenne. Il faut maintenant qu'elle soit mise en oeuvre, et l'échelonnement d'un calendrier, tel qu'il est proposé par Josep Borrell, nous paraît quand c'est possible devoir plus être accéléré que ralenti.
Cela signifie davantage d'entraînement, davantage d'exercices en commun, une réflexion sur des capacités de déploiement rapide. Cela signifie aussi davantage de solidarité entre États membres, en matière cyber notamment, mais aussi une capacité de réponse. On en parle beaucoup, à un moment où la guerre en Ukraine nous montre qu'elle est une guerre conventionnelle, mais aussi une guerre hybride. Être capable d'avoir une communication stratégique plus audible qu'elle ne l'est jusqu'à présent fait partie des sujets.
Étant une éternelle optimiste, je dirais que, pour l'heure, on sort enfin de la querelle sur le sexe des anges entre l'OTAN et l'Union européenne. Personne ne viendra considérer que l'OTAN n'est pas pertinente dans ce qui nous arrive. Fort heureusement, le renforcement de la présence de l'OTAN sur son flanc Est constitue une réalité et s'avère nécessaire.
Chacun, l'administration américaine actuelle comme les autres, comprend l'importance d'avoir un pilier européen fort de l'OTAN et une défense européenne, l'un et l'autre n'étant ni en compétition ni contradictoire, mais se renforçant l'un l'autre.
On est dans un alignement de planètes qui n'a pas toujours existé et qui pourrait ne pas toujours durer, dont il faut faire le meilleur usage. C'est ce à quoi nous allons veiller.