Intervention de Arnaud Danjean

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 juillet 2022 à 11h15
Audition d'une délégation de la sous-commission sécurité et défense du parlement européen

Arnaud Danjean, député européen :

Je souscris à ce que Nathalie Loiseau et Lukas Mandl ont dit en préambule. Il me paraît très utile de bien comprendre deux points importants. Des progrès incontestables ont été opérés du fait des circonstances. La prise de conscience est aujourd'hui unanime en Europe et partagée par tout le monde. Je ne connais pas un citoyen européen, un élu européen ou un pays européen qui ne soit pas choqué par ce qui se passe aujourd'hui en Ukraine. La prise de conscience est forte et a entraîné des réactions plutôt à la hauteur de l'enjeu, me semble-t-il, compte tenu de l'inertie habituelle du système.

Pour autant, ces progrès restent fragiles et sont réversibles. Plus le conflit va durer et s'installer dans une forme de « routine », même si c'est terrible à dire lorsqu'on enregistre 250 morts par jour, plus on risque que l'opinion publique ne s'en détourne, une fois passée l'émotion.

On va connaître d'autres problématiques : énergétiques - on en parle déjà -, alimentaires, industrielles, commerciales. Seuls 40 pays au monde sont alignés sur nos positions. Cela signifie que 150 ne le sont pas. Tout cela fait que l'effort européen va devoir être soutenu dans la durée. J'espère que nous serons prêts. Je pense que nous y sommes déjà partiellement, mais j'attire l'attention sur le fait que les progrès qu'on enregistre aujourd'hui sont parfaitement réversibles si d'autres événements entrent en collision avec cet agenda.

Cela m'amène à un autre point : je suis très reconnaissant à Lukas Mandl d'avoir fort justement dit que l'on doit passer outre sur les querelles sémantiques sur l'autonomie stratégique ou autres. L'important est de prendre nos responsabilités, mais on enregistre encore beaucoup de perplexité et de scepticisme en Europe quant à ce type d'expression et sur ce que cela recouvre vraiment.

Nous sommes tous d'accord aujourd'hui pour ce qui est de la résilience et sur le fait qu'il faut diversifier nos chaînes d'approvisionnement, être moins dépendants de l'extérieur, notamment sur le plan technologique. Passer à une vraie autonomie stratégique - les mots ont un sens -, en particulier sur le plan de la défense, n'est cependant pas acquis dans la majeure partie des pays européens. C'est davantage l'OTAN qui se renforce aujourd'hui face à des défis de défense collective.

S'agissant de l'Afrique du Nord, beaucoup de mécanismes existent entre l'Union européenne et cette région du globe. Le partenariat méridional est très vivant au sein des instances européennes. Des sommes colossales sont en jeu, mais cela ne porte pas prioritairement sur des questions de sécurité, même s'il existe des coopérations en matière de contre-terrorisme assez performantes. Ce n'est pas l'Union européenne qui est aux manettes par rapport aux agendas stratégique de ces pays.

La France a un rôle beaucoup plus important à jouer que beaucoup d'autres pays européens, du fait de sa position vis-à-vis d'un certain nombre de pays, en particulier de l'Égypte, dont elle est un partenaire stratégique. Je ne crois donc pas que la réponse à votre question sur le strict plan sécuritaire passe forcément par les instances européennes. Certains pays européens ont un rôle moteur à jouer. La France, en Méditerranée orientale, s'est positionnée de façon très forte. À mon avis, elle a raison. C'est une orientation stratégique de notre pays, mais elle n'est pas forcément partagée par d'autres.

Je rappelle que d'autres grands pays européens ont été bien plus timides. De ce point de vue, il n'existe pas d'unanimité au sein de l'Union européenne sur la réponse qui doit être apportée à la militarisation de la Méditerranée. Les raisons tiennent essentiellement à des agendas nationaux. La rivalité entre le Maroc et l'Algérie doit nous préoccuper. On ne peut exclure un conflit entre ces deux pays.

L'Égypte est en guerre dans le Sinaï contre des groupes terroristes, les mêmes que ceux que nous avons combattus avec nos forces armées au Sahel ou au Levant. Ce sont ces forces qui sont à l'oeuvre dans le Sinaï, peut-être sur un périmètre plus réduit, mais il n'y a pratiquement pas une semaine sans incidents sécuritaires majeurs en Égypte.

Cette montée en puissance s'explique donc, même si elle doit être contrebalancée selon moi sur le plan civil par des efforts de développement et de coopération économique et énergétique renforcés de la part de l'Union européenne.

Quant à la Bosnie, vous avez raison. Je relativise malgré tout les choses : cela fait quinze ans que Dodik fait ces déclarations. La seule chose inquiétante en soi, c'est que le soutien russe à ce type de déclaration devient de plus en plus décomplexé. C'est selon moi la seule vraie menace vis-à-vis de la Bosnie. Il faut qu'on y soit extrêmement attentif. Cela passe par deux types de réponse, d'une part une réponse forte au niveau européen qui, je le crois, existe sur le plan politique, avec l'attachement aux accords, aux procédures et à l'intégrité de la Bosnie-Herzégovine et, d'autre part, une dissuasion pour bien faire comprendre à ceux qui seraient tentés, en particulier les Russes, que quiconque toucherait au fragile équilibre existant depuis plus de 25 ans s'exposerait à une réponse très robuste des Européens et, au-delà, de l'OTAN.

Je ne crois pas beaucoup à un dérapage sécuritaire. Sur le plan politique, on a incontestablement une détérioration de la situation, avec des personnages dont on connaît parfaitement les ressorts, face auxquels il ne faut pas surréagir, car ils s'alimentent en permanence de ce jeu de provocations et de surréactions. Pour l'instant, je trouve que la réponse européenne va plutôt dans le bon sens.

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