Intervention de Nathalie Loiseau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 juillet 2022 à 11h15
Audition d'une délégation de la sous-commission sécurité et défense du parlement européen

Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission sécurité et défense du Parlement européen :

Je voudrais réagir en allant dans le même sens.

Concernant la taxonomie, nous sommes nombreux à avoir donné l'alerte, comme mon collègue Lukas Mandl l'a mentionné tout à l'heure. Il s'agit là d'une contradiction. Le message est bien passé à la Commission européenne qui, en quelque sorte, a décidé de mettre de côté cette question de la taxonomie sociale s'agissant des industries de défense.

Cela ne veut pas dire que le financement des industries de défense soit devenu plus facile pour autant. Encore faut-il convaincre les banques, les investisseurs et faire évoluer le règlement de la Banque européenne d'investissement (BEI) qui, pour le moment, a été d'une très grande timidité, acceptant de financer des projets qu'elle estime être dans le domaine de la défense, comme l'isolation thermique de casernes de gendarmerie, ce qui n'est pas tout à fait dans l'épure de ce à quoi nous pensons les uns et les autres. Il y a donc encore beaucoup à faire.

S'agissant du Fonds européen de la défense, celui-ci n'a pas été diminué. Il n'existait pas : on est passé de 0 à 8 milliards d'euros, et non de 13 à 8 milliards d'euros !

Les négociations d'un budget pluriannuel sont toujours des questions de priorisation. Même les plus ardents défenseurs de la défense européenne défendent d'autres priorités, qu'il s'agisse des fonds de cohésion ou de la politique agricole commune (PAC). Nous étions dans la logique où, pour certains de nos partenaires, maintenant que les Britanniques sont partis, « smaller Union, smaller budget ». On a réussi à contrer cette logique, mais pas complètement.

Comme toujours en Europe, il faut une crise pour avancer. Malheureusement, il a fallu une guerre pour que l'Europe se dise qu'on avait finalement besoin de la défense européenne. On aurait pu préparer cela avant, mais c'est face à la crise que l'Europe est finalement assez agile et déterminée, avec toutes les fragilités qui ont été évoquées. C'est une bonne chose que l'on travaille à des achats en commun. Il est nécessaire que tous, à tous les niveaux des parlements nationaux et du Parlement européen, nous insistions sur le fait qu'il s'agit d'innovations, bénéfiques dans le secteur civil et pouvant développer l'emploi.

Nous avons intérêt à le faire en Europe concernant les achats de matériels extra-européens, notamment d'avions américains par l'Allemagne. Je rappelle qu'il s'agissait pour les Allemands de pouvoir porter des charges nucléaires et qu'ils avaient le choix entre le F16 et le F35. Ils ont choisi le plus cher, mais la question n'était pas de savoir s'ils allaient pouvoir choisir autre chose.

Je crois profondément qu'on assiste à un changement politique. J'ai été frappée de voir, au Parlement européen, les Verts européens soutenir des projets de défense, ce qu'ils n'auraient pas fait par le passé. Cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout, mais cela signifie qu'il existe malgré tout une conscience de ce qui se passe.

Un petit mot sur la Bosnie. Je partage évidemment l'analyse d'Arnaud Danjean, qui connaît parfaitement cette zone. J'y étais il y a une semaine. La dégradation politique y est très préoccupante. Il y a une insuffisance de présence européenne et notamment française qu'il faut absolument contrer. Il faut que nous soyons plus présents, parce que la nature a horreur du vide dans les Balkans. On voit partout des drapeaux turcs et l'influence chinoise grandit. Ce n'est pas notre intérêt en tant qu'Européens.

Je me réjouis qu'EUFOR Althea ait fait appel à la réserve et que 500 hommes supplémentaires soient présents en Bosnie. J'attire l'attention de chacun sur le fait que le mandat de la mission au Conseil de sécurité sera examiné cet automne. Je serais très étonnée que la Russie n'essaie pas de nous faire « danser » sur ce sujet, même s'il est facile de se dire que la Russie a plus intérêt à une force européenne qu'à une force de l'OTAN. La Russie gagne à montrer qu'elle peut être déplaisante et désagréable sur tous les sujets.

Il y aura donc certainement un débat sur la nature du mandat et l'ampleur de la force à laquelle il va falloir être capable de résister. On y a vraiment intérêt, pour des raisons purement géographiques. C'est au coeur de notre continent. Malheureusement, les trois leaders nationalistes ont le même intérêt à un statu quo et non à entrer dans l'Union européenne. Ils sont très bien installés dans une sorte de système autobloquant.

Arnaud Danjean parlait de Russie décomplexée. On a également face à nous une Serbie décomplexée. N'hésitons pas à dire que la Croatie elle-même est assez décomplexée. Chacun va regarder ce qu'il peut faire dans ce pays fragile qu'est la Bosnie. L'Union européenne n'a pas intérêt à sonner l'alarme, mais elle doit être présente, attentive et, si possible, plus visible, car je trouve qu'elle l'est vraiment très peu.

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