Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour évoquer la situation au Mali et dans la bande sahélo-saharienne ainsi que l'avenir de l'opération Barkhane. Comme l'a annoncé le Premier ministre en réponse à ma question d'actualité de la semaine dernière, nous aurons au Sénat un débat au titre de l'article 50-1 sur ce sujet le 23 février ; cette audition contribuera à le préparer.
La liste des mesures hostiles prises par la junte militaire au pouvoir à Bamako à notre encontre - encore hier, le Premier ministre malien déclarait que la France cherchait à diviser le Mali, un comble ! - est longue, beaucoup trop longue : multiplication des provocations verbales au plus haut niveau, qui contribuent à alimenter un discours anti-français assez indécent, alors que cinquante-trois de nos soldats ont perdu la vie depuis 2013 et que de nombreux autres ont été grièvement blessés ; remise en cause de nos accords de coopération militaire ; interdiction de survol d'une grande partie du territoire malien, ce qui a évidemment des conséquences fâcheuses en termes de ravitaillement et de logistique ; renvoi du contingent danois qui avait répondu présent pour renforcer Takuba, ce qui posera problème à nos partenaires européens ; déploiement des mercenaires du sinistre groupe Wagner, sans doute plus pour protéger la junte que pour combattre les terroristes - même si le président Poutine a déclaré que leur présence était « absolument utile » ; enfin, l'expulsion de notre ambassadeur.
Dès lors, les trois piliers de la stratégie que vous nous avez présentée à plusieurs reprises, et dont vous aviez souligné les premiers succès devant notre commission en janvier 2021, ne sont-ils pas en train de s'effondrer ?
D'abord, la mise en oeuvre de l'accord d'Alger, le retour de l'État dans le Nord et le développement du Mali ne sont plus à l'ordre du jour avec ce gouvernement de fait, qui semble uniquement préoccupé par sa survie. Quelle que soit la durée de la transition, personne ne croit que la junte l'emploiera à résoudre les grands problèmes du pays et à faire avancer l'accord de paix. Ensuite, la formation, le renforcement et le soutien de l'armée malienne sont fortement compromis par le départ probable d'une partie des formateurs fournis par nos alliés, par le coup d'arrêt mis à Takuba et par l'arrivée du groupe Wagner. Enfin, la relève progressive de nos troupes par le G5 Sahel n'est plus une perspective crédible du fait non seulement de la situation au Mali, mais aussi du coup d'État au Burkina Faso.
Tant sur le plan politique que sur le plan logistique et militaire, les conditions ne semblent plus réunies pour que nous continuions à combattre efficacement les terroristes depuis le sol même du Mali.
Or il est évident qu'il ne peut être question d'opérer une simple translation de notre dispositif militaire dans un pays voisin : le Niger ne l'accepterait sans doute pas, trop jaloux de sa souveraineté, le Tchad est sans doute trop loin de l'épicentre des attaques terroristes et la situation au Burkina Faso reste par trop incertaine.
Ainsi, c'est un changement stratégique profond qui s'impose si la France souhaite prolonger son combat contre le terrorisme au Sahel. Le Sénat a toujours approuvé cette orientation.
Dès lors, pouvez-vous nous dire quelles sont les hypothèses à l'étude ? Est-il exact, comme le suggérait la presse dès jeudi dernier, qu'un retrait complet du Mali est sur la table et que le sort de Takuba est d'ores et déjà scellé ? Vous avez échangé avec vos interlocuteurs de Takuba. Le cas échéant, quelles sont les modalités de la reconfiguration envisagée ? Celle-ci prendra-t-elle suffisamment en compte le risque d'extension du djihadisme vers le golfe de Guinée, que nous redoutons tous ? Ou sera-t-elle un dispositif d'éclatement avec des unités réparties dans différents pays ?
Enfin, quelle est la position actuelle de nos principaux alliés au Sahel ainsi que des Nations unies, un éventuel retrait de notre part ne pouvant rester sans effet sur la mission EUTM - European Union Training Mission - et sur la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ?
Vous avez souhaité que cette audition se tienne à huis clos, afin de pouvoir vous exprimer librement et informer au mieux la commission.