Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 8 février 2022 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 15 h 00.

- Présidences de MM. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, et Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Nous vous remercions, monsieur le président Sefcovic, d'honorer notre invitation à rendre compte, cet après-midi, de votre action en qualité de vice-président de la Commission européenne, en charge des relations interinstitutionnelles et de la prospective. Depuis votre entrée en fonctions au mois de décembre 2019, vous êtes chargé du suivi de la mise en oeuvre du Brexit. Vaste tâche...

C'est sur ce sujet que nous aimerions vous interroger plus particulièrement. La question du Brexit, puis celle de la nouvelle relation euro-britannique sont, depuis plusieurs années, un sujet de préoccupation majeure pour notre institution. Dès le mois de juillet 2016, nous y avons consacré un groupe de suivi, que j'ai l'honneur de coprésider avec Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Il est impératif pour l'Union européenne d'assurer un suivi très attentif des conséquences du Brexit. Nous sommes donc convaincus de l'importance de la tâche qui vous incombe, consistant à vérifier le respect par le Royaume-Uni de ses engagements, et déterminés à faire en sorte que l'accord signé le 24 décembre 2020 soit mis en oeuvre intégralement et de bonne foi.

Nous ne reviendrons pas sur les nombreux rebondissements qui ont émaillé vos rencontres avec votre homologue britannique, David Frost, remplacé en décembre dernier par la ministre des affaires étrangères Liz Truss. Vous pourrez néanmoins nous dire votre sentiment sur la réalité de la volonté de négocier de nos partenaires. En un mot, le « changement de ton » que vous évoquiez dès le mois de novembre 2021 s'est-il confirmé, et vos échanges actuels laissent-ils espérer un aboutissement à moyen terme des négociations sur les points de désaccord persistants ?

À ce sujet, nous aimerions vous interroger sur deux points particulièrement saillants de la nouvelle relation entre l'Europe et le Royaume-Uni.

Le premier est la gouvernance de l'accord de commerce et de coopération (ACC) du 24 décembre 2020. Vous pourrez nous donner des éléments sur le volet parlementaire de cette gouvernance, qui doit associer les parlements nationaux, au même titre que le Parlement européen, au contrôle de notre coopération avec le Royaume-Uni. Alors que la délégation du Parlement européen à l'Assemblée parlementaire de partenariat s'est réunie pour la première fois le 9 décembre dernier, sous la présidence de l'eurodéputée française Nathalie Loiseau, vous nous éclairerez sur les relations de travail à venir entre cette assemblée et le Conseil de partenariat, auquel vous appartenez.

Enfin, au-delà de ce lien institutionnel, vous nous direz comment la Commission européenne compte associer les parlements nationaux au suivi des relations entre l'Union et le Royaume-Uni. Ces relations auront des conséquences structurantes sur les plans aussi bien diplomatique qu'industriel ou de défense, et il est essentiel que les représentations nationales des États membres soient parties prenantes de cette relation future. Croyez bien que le Sénat a l'intention de s'investir dans ce domaine.

Le second point saillant est l'Irlande du Nord. Vous pourrez nous donner des détails sur la proposition de la Commission, présentée le 13 octobre dernier, visant à aménager les conditions d'application du protocole nord-irlandais pour tenir compte des difficultés actuelles de mise en oeuvre par la partie britannique. Vous nous direz en particulier comment la Commission propose de concilier l'objectif de simplification des contrôles douaniers entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni avec l'objectif de défense du marché intérieur, qui suppose une application stricte et effective de nos normes sur le territoire nord-irlandais.

Alors que, cet été encore, le gouvernement britannique remettait en cause la compétence de la Cour de Luxembourg prévue par le protocole lui-même et menaçait d'en suspendre unilatéralement l'application, vous nous direz quel est l'état actuel des négociations à ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

C'est un réel plaisir d'accueillir aujourd'hui au Sénat le vice-président de la Commission européenne, M. Maros Sefcovic. Nous avons la joie de nous rencontrer occasionnellement à Strasbourg, lors des sessions de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, dont vous présidez le groupe de travail Santé, auquel j'appartiens. Mais il est rare de vous recevoir au Sénat et nous sommes très sensibles à votre présence ici, dans les circonstances difficiles que nous connaissons.

Nous vous remercions d'être venu jusqu'à nous, parlementaires français, car nous sommes particulièrement avides d'un dialogue direct avec la Commission européenne, sur un sujet qui nous concerne au premier chef du fait de notre position géographique : la nouvelle relation à construire entre l'Union européenne et le Royaume-Uni après le Brexit, intervenu il y a treize mois. Vous avez, en effet, pris le relais du négociateur Michel Barnier pour assurer le suivi des accords qu'il a obtenus, et vous représentez l'Union au Conseil de partenariat établi par l'accord de commerce et de coopération. Ce n'est pas une sinécure, car notre partenaire britannique est remuant et les soubresauts de politique intérieure qu'il connaît le conduisent souvent à la surenchère, avec des discours mystificateurs sur les bénéfices du Brexit - malgré un soutien public aux régions britanniques clairement en recul - et avec l'annonce d'un projet de loi « libertés du Brexit », pour s'affranchir des lois héritées de l'Union européenne.

Vous avez déjà fait des concessions au gouvernement britannique, mais vous avez maintenu l'unité entre les vingt-sept en posant deux limites claires : ne pas renégocier le protocole, mais aménager sa mise en oeuvre pratique, et ne pas renoncer à la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Outre ceux qu'a évoqués le Président Cambon, nous avons deux sujets de préoccupation principaux. D'abord, la gestion des flux migratoires à travers la Manche, sur laquelle nous avons déjà échangé. Les drames humains que nous vivons quotidiennement dans ces territoires ne peuvent pas durer : la Manche étant devenue une frontière extérieure de l'Union, cette question ne peut plus relever exclusivement d'accords bilatéraux comme ceux du Touquet et de Sandhurst, qui ont montré leurs limites. La Commission européenne entend-elle engager l'Union dans la négociation d'un accord euro-britannique dédié à la gestion de cette frontière ?

Nous sommes aussi très inquiets pour l'avenir de nos pêcheurs. Les Britanniques n'ont toujours pas accordé toutes les licences de pêche que ceux-ci sont en droit de recevoir -- il en manque encore des dizaines selon notre Gouvernement. Quant à ceux qui ont obtenu leur licence, ils sont harcelés de nouvelles mesures techniques et de contrôles tatillons.

Comment comptez-vous obtenir l'application pure et simple du volet Pêche de l'accord conclu avec le Royaume-Uni ? La France a demandé la saisine du Conseil de partenariat chargé de mettre en oeuvre cet accord : qu'en est-il ? Envisagez-vous des mesures de rétorsion ? Si oui, lesquelles et à quelle échéance ? Il n'est pas question que la filière pêche soit la victime collatérale du Brexit. La réserve d'ajustement au Brexit ne peut être la seule réponse à des professionnels qui craignent de perdre leur métier et à une région côtière comme la mienne, menacée de dévitalisation. Pour ouvrir des perspectives, notre Gouvernement promet qu'un régime ad hoc en matière d'aides d'État serait à l'étude : pouvez-vous nous le confirmer et nous en dire plus ?

Il y a deux semaines, vous avez conclu votre rencontre avec Mme Liz Truss, votre nouvelle homologue britannique, en vantant « une atmosphère constructive » : pouvez-vous justifier votre optimisme au regard de toutes les difficultés que nous venons d'évoquer, des tensions qui s'accumulent en Irlande du Nord et de la confusion croissante à Londres, où Mme Liz Truss doit démentir le Premier ministre quand il juge « fous » les contrôles à Belfast, auxquels il a pourtant lui-même consenti ?

Le Royaume-Uni, après le Brexit, aurait pu en tempérer l'impact en se rapprochant de ses voisins européens ; il a choisi de jouer la carte de l'agressivité en identifiant ceux-ci comme la principale source de ses difficultés. Croyez-vous possible d'obtenir que les accords conclus soient finalement appliqués sans en appeler au juge ?

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Je commencerai par trois remerciements. Le premier parce que nous avons eu, il y a deux mois, une excellente discussion au Sénat, quand le collège des commissaires s'est rendu en visite officielle à Paris pour l'ouverture de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

Le deuxième remerciement est adressé à vos deux commissions, notamment la commission des affaires européennes dont nous apprécions beaucoup les avis sur les politiques de la Commission européenne. Votre regard, vos idées sont très importants pour notre travail.

Le troisième remerciement est pour votre vigilance et votre activité sur les relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

L'objectif de l'Union européenne reste d'établir une relation positive et stable avec le Royaume-Uni, parce que nous allons demeurer des partenaires, que nous sommes des voisins et alliés et que nous partageons des valeurs communes. Nous devons relever ensemble un certain nombre de défis mondiaux.

La coopération euro-britannique a ainsi été essentielle pour faire aboutir la conférence de Glasgow. Je pourrais également citer la situation précaire et dangereuse à l'est de l'Union européenne, le défi stratégique que posent la Russie et la Chine, et la défense de nos valeurs démocratiques. De nombreux sujets appellent un travail en commun.

Vous avez décrit de manière très précise, dans vos remarques, comment nous appréhendons les relations avec le Royaume-Uni. Nous avons réglé la question du divorce, avec l'accord de retrait dont le protocole nord-irlandais fait intégralement partie ; nous avons réglé celle de l'avenir de nos relations avec l'ACC. C'est une base solide pour les relations constructives et stables auxquelles nous aspirons. Le respect du règlement de divorce est cependant une condition préalable à la relation future. L'accord de commerce et de coopération, l'accord de retrait et le protocole sont intrinsèquement liés.

Depuis le début, la Commission européenne s'est engagée à une pleine mise en oeuvre de l'accord de retrait, tel qu'il a été signé et ratifié par l'Union européenne et le Parlement et le gouvernement britanniques - lesquels sont toujours en place. C'est l'aboutissement d'un travail diplomatique énorme pour maintenir la paix, la stabilité et la sécurité de l'Irlande du Nord. C'est la raison d'être de ce protocole.

Nous avons cependant eu des difficultés pratiques de mise en oeuvre. Le Royaume-Uni a demandé une renégociation du protocole en juillet 2021. Notre réponse a été claire : nous ne le renégocierons pas. Mais nous sommes restés constructifs, nous attachant à trouver des solutions concrètes pour faciliter la circulation des marchandises entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, en exploitant les flexibilités offertes par le protocole.

J'ai directement échangé avec les représentants d'entreprises, de la société civile, et les représentants politiques de Stormont - l'Assemblée nord-irlandaise. Nous devons et nous pouvons trouver les solutions dans le cadre du protocole.

Le plus important était d'apporter de la stabilité et de la sécurité, et de mettre fin à l'incertitude juridique. C'était la seule solution pour protéger le marché unique tout en respectant l'accord du Vendredi saint dans le cadre du Brexit. Le protocole était une requête claire du gouvernement britannique, et la solution trouvée a été proposée par Theresa May.

Le paquet proposé par la Commission européenne le 13 octobre dernier a marqué un grand pas vers la résolution de la situation. Il contient un ensemble de solutions pour faciliter la circulation des marchandises entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord. Nous avons aussi, en décembre, garanti unilatéralement la continuité de l'approvisionnement en médicaments de l'Irlande du Nord, même si j'aurais préféré que ce soit dans le cadre d'un accord. Il fallait agir vite.

Nous avons aussi fait des propositions pour renforcer la participation des autorités d'Irlande du Nord à la mise en oeuvre du protocole. C'était très attendu par les entreprises, les membres de l'assemblée législative et la société civile. Nous avons mis en place une coopération structurelle.

Nous proposons également la suppression de 80 % des contrôles sur les produits sanitaires et phytosanitaires destinés à la consommation en Irlande du Nord, ainsi que la réduction significative des formalités douanières entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord.

Ces propositions sont le résultat de discussions approfondies menées au cours des derniers mois. Elles visent à régler durablement le problème, dans un souci de stabilité et de prévisibilité pour l'Irlande. Elles faciliteraient les échanges entre la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord, et sur l'ensemble de l'Irlande. Ce serait une situation gagnant-gagnant pour tous.

Mais cette flexibilité est conditionnée à la protection de l'intégrité de notre marché unique. Pour cela, le Royaume-Uni doit respecter son engagement de construire des postes frontaliers permanents.

Il doit donner des assurances sur le conditionnement et un étiquetage indiquant que les marchandises expédiées en Irlande du Nord sont exclusivement destinées à la vente au Royaume-Uni.

Il doit donner un accès complet en temps réel à ses systèmes informatiques, pour que les autorités européennes puissent constater par elles-mêmes ce qui se passe à la frontière commerciale.

Il doit mettre en oeuvre la législation douanière pour la livraison de colis « B to B » en Irlande du Nord, et la déclaration sur le libre accès de marchandises expédiées d'Irlande du Nord vers la Grande-Bretagne. Le Royaume-Uni doit enfin assurer la mise en oeuvre par les autorités douanières et de surveillance des mesures de suivi et de contrôle appropriées.

Cela doit s'accompagner d'un mécanisme de réaction rapide pour répondre aux problèmes liés à un produit ou un opérateur individuel, et de la possibilité de mesures unilatérales en cas d'incapacité des autorités britanniques ou de l'opérateur à y remédier.

Ces garanties seraient un mécanisme solide de suivi et de contrôle, qui réduirait les vérifications sans menacer l'intégrité du marché unique. Au Royaume-Uni de faire un pas dans notre direction.

Vous m'avez demandé où en étaient les discussions. Bien que le ton ait changé avec la reprise des dossiers post-Brexit par la ministre des affaires étrangères britannique Liz Truss, il y a eu peu d'avancées sur le fond. Elle déclare vouloir une solution rapide ; j'ai la même ambition. J'ai toujours précisé que la renégociation du protocole n'était pas une option.

Nos équipes techniques se réunissent chaque semaine pour trouver un terrain d'entente. Nous faisons régulièrement le point avec la ministre, et les États membres et le Parlement européen sont tenus informés de l'avancée des discussions.

Il faudrait trouver des moyens de vous informer des discussions de manière plus rapide et directe. La prochaine réunion du comité mixte pour l'accord de retrait se tiendra le 21 février. Nous poursuivons activement nos échanges avec le Royaume-Uni pour trouver des solutions communes.

Je vous remercie de votre intérêt et votre vigilance : l'unité est notre carte maîtresse dans la discussion. Nous comptons sur votre soutien. Je transmets régulièrement ce message aux représentants permanents et aux ministres des États membres.

J'en viens à l'ACC qui est entré en vigueur voici plus d'un an. Durant cette première année, nous avons mis en place les structures prévues par l'accord, avec une première réunion du Conseil de partenariat et des 19 comités chargés de la mise en oeuvre de l'accord.

La mise en oeuvre des dispositions sur la pêche et la concurrence équitable appelaient une attention particulière cette année. Il est trop tôt pour évaluer l'impact que le remplacement de l'adhésion au marché unique par l'ACC a eu sur les flux commerciaux, mais il est certain que le commerce ne sera plus aussi fluide et dynamique. C'est une conséquence type du Brexit voulu par le gouvernement britannique.

Les opérateurs économiques font de leur mieux pour s'adapter, des deux côtés de la Manche. Nous sommes conscients des difficultés, notamment pour ceux dont l'activité est très dépendante du marché britannique. Le retrait a eu des effets négatifs dans toute l'Europe. Nous soutiendrons les régions les plus touchées, via la réserve d'ajustement au Brexit. La France étant l'un des États membres les plus touchés, il est juste qu'elle reçoive la part la plus élevée de cette réserve : 735 millions d'euros en prix courants, manifestation de l'engagement indéfectible de l'Europe envers la France. La première tranche sera versée au mois de février.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci de votre engagement personnel pour trouver un compromis tout en préservant les intérêts des vingt-sept. Le Sénat est à vos côtés ; il convient de maintenir ce dialogue avec la Grande-Bretagne qui demeure nécessaire, en particulier dans les domaines des affaires étrangères et la défense, sans transiger sur les principes qui nous ont réunis, dont le non-respect ouvrirait la porte à d'autres contestations.

Enfin, je tiens à vous féliciter pour votre excellent français. À l'heure où le Royaume-Uni quitte l'Union européenne, il est bon d'entendre un responsable européen qui ne s'exprime pas dans la langue de Shakespeare !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Le Nay

L'arrêt des contrôles sur les produits agroalimentaires en mer d'Irlande, décrété la semaine dernière, pourrait être suivi d'un recours à l'article 16 du protocole nord-irlandais par le gouvernement britannique.

Quelle a été la place du gouvernement nord-irlandais dans la négociation du protocole ? Si les nationalistes arrivaient au pouvoir lors des prochaines élections, quelles conséquences ce changement de majorité à Belfast aurait-il sur le protocole ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Cadec

Si le Royaume-Uni invoque l'article 16, comment l'Union européenne pourra-t-elle réagir ? Pensez-vous que le Royaume-Uni est prêt à aller jusque-là ? Cette partie de l'accord concernant les contrôles en Irlande est la plus complexe à mettre en oeuvre, avec la partie relative à la pêche.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Je vous remercie à mon tour pour la qualité de votre français.

Même s'il faut faire respecter la parole donnée, notamment sur des sujets politiquement lourds, indépendamment du Brexit, les Britanniques restent nos alliés militaires ; ils participent à Barkhane, à la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), et sont membres de l'OTAN. Les négociateurs ont-ils toujours cette réalité à l'esprit ? Les Britanniques restent, comme nous, des défenseurs de la démocratie, et, en matière de soutien militaire, ils sont parfois plus allants que certains pays de l'Union européenne.

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Je commencerai par répondre à la question de M. Vaugrenard. Ma première rencontre avec la ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni a justement porté sur ce thème. Combien de défis, en matière politique, de défense, de stabilité dans ce monde de plus en plus multipolaire et multilatéral ? Pour répondre à ces défis de notre temps, nous avons besoin de renforcer notre coopération avec un pays qui, s'il n'est plus membre du club qu'était l'Union européenne, reste un allié au sein de l'OTAN.

Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse et cette ambition ; mais, pour nous, il est très important d'établir à nouveau la confiance. La crédibilité de nos partenaires britanniques s'est détériorée. Quelques mois après la signature de l'accord de retrait, il a été admis, au Parlement britannique, que le droit international n'était pas respecté.

De notre point de vue, il est clair que, pour avancer dans la coopération, il faut travailler main dans la main dans le respect des accords nécessaires à la construction de notre avenir commun et au cadrage global du divorce, dont le protocole relatif à l'Irlande du Nord.

C'est la quadrature du cercle : pour la première fois de son histoire, l'Union européenne délègue à un État tiers les contrôles en son nom. Dès lors, pourrons-nous compter sur le respect du protocole par cet État ? C'est une difficulté centrale pour nous : le non-respect de cette base met en danger l'ensemble de l'accord ; comment alors s'assurer qu'il est respecté en intégralité ? Les discussions se poursuivent, notamment sur le sujet des citoyens européens résidant au Royaume-Uni.

Bien que l'article 16 ait fait partie des discussions au cours de l'année écoulée, Mme Truss y fait peu référence : l'accord reste applicable, selon sa position officielle. Une remise en cause de l'accord serait un geste spectaculaire du côté britannique, tout particulièrement du point de vue de son impact pour l'Irlande du Nord. Or la prévisibilité est cruciale pour éviter d'aggraver les tensions. J'ai visité Belfast en septembre : on ressent à quel point l'effort pour la paix y est important. Cela nous impose une responsabilité.

Mon objectif était de trouver une solution constructive à la plupart des difficultés avant la fin de l'année dernière, pour éviter des élections en Irlande du Nord trop marquées par cette question du protocole. Je ne sais pas si ce sera encore possible après les événements de la semaine dernière, mais je conserve cet espoir d'une solution trouvée avec Mme Truss d'ici à la fin du mois. En particulier, le comité mixte UE-Royaume-Uni se réunit le 21 février. Le processus démocratique suivra son cours, mais l'assemblée d'Irlande du Nord, qui sera élue le 5 mai, votera en 2024 sur la prolongation ou non du protocole. Les pourparlers et le débat politique en Irlande du Nord revêtent donc une importance particulière.

Sur la pêche, sujet que je sais sensible en France, les inquiétudes étaient importantes avant l'accord conclu avec le Royaume-Uni. Ces dernières années ont été marquées par des négociations permanentes entre les Britanniques et le commissaire Virginijus Sinkevièius, chargé de la pêche, qui a travaillé en étroite collaboration avec Mme Girardin et M. Beaune.

S'agissant de la zone économique exclusive britannique de 200 milles marins, plus de 1 700 licences de pêche, soit 96 % des demandes, ont été accordées. Pour les eaux territoriales, de 12 milles marins, nous parlons de 323 licences octroyées, soit 82 % des demandes. Un dernier élément positif porte sur le volume total des prises, le total admissible des captures (TAC), pour lequel nous avons trouvé un accord.

Je sais que, malgré ces succès, la satisfaction n'est pas totale en France, car certaines licences n'ont pas été octroyées. Nous en parlons étroitement avec les ministres français, pour rassembler tous les arguments juridiques possibles à opposer au Royaume-Uni afin d'obtenir des licences supplémentaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

2,5 millions d'Européens, dont 90 000 Français, ont un titre de séjour temporaire de cinq ans au Royaume-Uni, dit « pre-settled status ». Le gouvernement britannique prévoit de mettre fin à ce statut en cas de non-demande, avant la fin des cinq ans, de « settled status », statut de résident permanent. Or l'accord de sortie ne prévoit pas cette option dans les raisons permettant aux signataires de priver quelqu'un du statut de résident. L'interprétation faite par le Royaume-Uni des règles de la perte de statut de résident est donc différente de celle de la Commission.

L'association the3million a été la première à soulever ce problème en décembre 2020, avec la Commission et l'Autorité de contrôle indépendante (IMA). Celle-ci a intenté une action en justice contre le Home Office. Que fait la Commission et comment protégerez-vous les résidents européens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Bien que l'accord du 24 décembre 2020 prévoie l'accès des pêcheurs français et européens aux eaux britanniques, il reste source de querelles : vous avez mentionné le refus de licences. De nouvelles crises sont à prévoir à partir de 2026, fin de la période transitoire. Quels seront les travaux conduits au niveau européen pour anticiper ces difficultés ? Le cas échéant, l'Union européenne est-elle prête à prendre les mesures coercitives prévues par l'accord ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Contrairement à ce qui avait été annoncé, de nombreux étudiants ne se sont plus inscrits aux universités britanniques à la suite de l'augmentation des frais de scolarité et des difficultés d'obtention de prêts garantis : c'est un échec. Que fera le Royaume-Uni pour y remédier selon vous ?

Par ailleurs, sénatrice du Nord, je suis concernée par les migrations : depuis des décennies, hommes, femmes et enfants cherchent, parfois au péril de leur vie, à rejoindre le Royaume-Uni via la Manche et la mer du Nord. Avec les accords du Touquet, la France est devenue le bras policier de la politique migratoire du Royaume-Uni, permettant à ce dernier de se soustraire à ses obligations en matière d'asile. La traversée coûte que coûte entraîne des drames humains, dont la population ne veut plus. Le Royaume-Uni pourra-t-il reprendre la frontière sur son sol ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Sur la pêche, l'Europe, contrairement à son habitude, doit avoir une vision moins macroéconomique. Au-delà d'un pourcentage, c'est tout un territoire qui en vit. De même qu'un village souffre de perdre son médecin ou son épicier, certains lieux, qui ont bâti leur développement sur la pêche et ses infrastructures, sont en péril.

Ensuite, la situation qui prévalait à la signature des accords bilatéraux du Touquet a changé : c'était avant le Brexit et les migrations étaient différentes, moins fortes. Puisque le Royaume-Uni est redevenu un État tiers, en cohérence avec le pacte européen sur la migration et l'asile tel qu'il est envisagé par la Commission européenne, un accord entre l'Union et le Royaume-Uni sur ce dossier serait souhaitable, au bénéfice de ce territoire que je connais bien.

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Sur la question de nos citoyens résidant au Royaume-Uni, je rejoins l'analyse d'Olivier Cadic. Nous abordons régulièrement cette question avec nos collègues britanniques. L'IMA arrive aux mêmes conclusions que la Commission européenne.

La procédure auprès de la Cour est entamée. Nous considérons les démarches les plus efficaces dans ce domaine, et les comités spéciaux et le comité mixte en discuteront. Selon nous, l'accord de retrait est sans ambiguïté : des citoyens européens ne doivent pas perdre leur statut en raison de simples obligations administratives. Il est bon que vous souleviez cette difficulté, dont nous sommes conscients. Nous avons reçu une réponse négative du Royaume-Uni, mais nous continuons à insister. L'autorité indépendante est de notre côté et les procédures judiciaires suivent leur cours devant les tribunaux britanniques.

Sur la pêche, vos questions portent, madame Raimond-Pavero et monsieur Rapin, sur la situation actuelle et à l'horizon 2026. Nous avons des discussions quotidiennes sur ce sujet avec nos partenaires français. Nous voulons nous assurer que chacun pourra bénéficier d'une position juridiquement solide. Nous cherchons à avoir le plus d'éléments possible d'ici à 2026, et je précise que certaines décisions peuvent aussi être contestées devant les tribunaux de l'Union européenne et britanniques. Tel est le sens de nos discussions avec le ministère de la pêche.

Madame Gréaume, la situation est compliquée pour beaucoup d'étudiants. L'Union européenne a insisté auprès du Premier ministre britannique pour inclure Erasmus dans le cadre de l'accord, ce qui a été refusé. Malheureusement, nous n'avons pas de cadre commun pour améliorer les échanges étudiants. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas d'intérêt du Royaume-Uni pour trouver une solution sur ces sujets. Selon moi, même si ce n'est pas pleinement satisfaisant, il faut aider nos étudiants actuellement sur place à achever leurs études au Royaume-Uni. Je rappelle que les étudiants britanniques ont eux aussi plus de difficultés à étudier en Europe. J'espère que nous arriverons à trouver une solution.

Sur la problématique sensible des migrants, les personnes risquant leur vie pour franchir la Manche sont souvent les victimes d'activités criminelles, dont les réseaux de passeurs, qui profitent de cette tragédie humaine, avec un mépris total des droits de l'Homme. Des familles sont séparées entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Comme vous le savez, le traité ne comprend pas de chapitre sur les migrations. Par ailleurs, si le Royaume-Uni n'était pas dans l'espace Schengen, il était partie aux accords de Dublin. Son retrait change la façon d'envisager la situation et les arrivées de migrants.

Toutefois, grâce au leadership français, la coopération sur le sujet au sein de l'Union européenne pourrait nettement s'améliorer, avec des réunions de ministres de l'intérieur se poursuivant au niveau des chefs d'État ou de gouvernement. Ainsi, la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, avec la Commission, Europol et Frontex, ont largement amélioré l'échange d'informations à l'échelle européenne et la lutte contre les passeurs. Pour la France, il est important que cette question prenne en compte les mouvements de migrations secondaires vers le Royaume-Uni.

Un autre élément fondamental est une meilleure coopération opérationnelle entre les forces de l'ordre françaises et britanniques. Les contrôles communs aux frontières, avec des partages de renseignements, donnent déjà des résultats positifs.

Je suis d'accord avec M. Jean-François Rapin sur le pacte européen sur la migration et l'asile. La présidence française est active : son approche graduelle, cherchant à établir la confiance, est importante. J'espère que cette ambition française aidera à trouver des solutions constructives.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Monsieur le commissaire, je vous remercie pour cet échange franc et courtois. Nous continuerons à intensifier nos échanges avec les instances européennes. Avec mes homologues d'autres parlements, nous sommes convenus que le dialogue régulier avec des commissaires était important, car il nous permet d'être plus en prise avec l'actualité.

Nous restons preneurs d'une relation de travail plus étroite et d'éléments supplémentaires sur la relation de l'Europe avec le Royaume-Uni : j'ai confiance en la précision et la sincérité de vos réponses.

Debut de section - Permalien
Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne, chargé des relations interinstitutionnelles et de la prospective

Je vous remercie pour votre accueil, vos questions et votre soutien, car aucune action européenne n'est possible sans le soutien des Parlements nationaux. Je demeure à votre disposition, de même que mes collègues.

Sur les développements à venir avec le Royaume-Uni, nous allons nous efforcer de vous transmettre les informations de la manière la plus fluide possible, dès les premières impressions et anticipations. J'espère que cela vous aidera à améliorer vos travaux.

Je serai ravi de revenir ou de vous accueillir à Bruxelles pour toute question supplémentaire. Nos services restent en contact avec les vôtres.

La réunion est close à 16 h 20.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir pour évoquer la situation au Mali et dans la bande sahélo-saharienne ainsi que l'avenir de l'opération Barkhane. Comme l'a annoncé le Premier ministre en réponse à ma question d'actualité de la semaine dernière, nous aurons au Sénat un débat au titre de l'article 50-1 sur ce sujet le 23 février ; cette audition contribuera à le préparer.

La liste des mesures hostiles prises par la junte militaire au pouvoir à Bamako à notre encontre - encore hier, le Premier ministre malien déclarait que la France cherchait à diviser le Mali, un comble ! - est longue, beaucoup trop longue : multiplication des provocations verbales au plus haut niveau, qui contribuent à alimenter un discours anti-français assez indécent, alors que cinquante-trois de nos soldats ont perdu la vie depuis 2013 et que de nombreux autres ont été grièvement blessés ; remise en cause de nos accords de coopération militaire ; interdiction de survol d'une grande partie du territoire malien, ce qui a évidemment des conséquences fâcheuses en termes de ravitaillement et de logistique ; renvoi du contingent danois qui avait répondu présent pour renforcer Takuba, ce qui posera problème à nos partenaires européens ; déploiement des mercenaires du sinistre groupe Wagner, sans doute plus pour protéger la junte que pour combattre les terroristes - même si le président Poutine a déclaré que leur présence était « absolument utile » ; enfin, l'expulsion de notre ambassadeur.

Dès lors, les trois piliers de la stratégie que vous nous avez présentée à plusieurs reprises, et dont vous aviez souligné les premiers succès devant notre commission en janvier 2021, ne sont-ils pas en train de s'effondrer ?

D'abord, la mise en oeuvre de l'accord d'Alger, le retour de l'État dans le Nord et le développement du Mali ne sont plus à l'ordre du jour avec ce gouvernement de fait, qui semble uniquement préoccupé par sa survie. Quelle que soit la durée de la transition, personne ne croit que la junte l'emploiera à résoudre les grands problèmes du pays et à faire avancer l'accord de paix. Ensuite, la formation, le renforcement et le soutien de l'armée malienne sont fortement compromis par le départ probable d'une partie des formateurs fournis par nos alliés, par le coup d'arrêt mis à Takuba et par l'arrivée du groupe Wagner. Enfin, la relève progressive de nos troupes par le G5 Sahel n'est plus une perspective crédible du fait non seulement de la situation au Mali, mais aussi du coup d'État au Burkina Faso.

Tant sur le plan politique que sur le plan logistique et militaire, les conditions ne semblent plus réunies pour que nous continuions à combattre efficacement les terroristes depuis le sol même du Mali.

Or il est évident qu'il ne peut être question d'opérer une simple translation de notre dispositif militaire dans un pays voisin : le Niger ne l'accepterait sans doute pas, trop jaloux de sa souveraineté, le Tchad est sans doute trop loin de l'épicentre des attaques terroristes et la situation au Burkina Faso reste par trop incertaine.

Ainsi, c'est un changement stratégique profond qui s'impose si la France souhaite prolonger son combat contre le terrorisme au Sahel. Le Sénat a toujours approuvé cette orientation.

Dès lors, pouvez-vous nous dire quelles sont les hypothèses à l'étude ? Est-il exact, comme le suggérait la presse dès jeudi dernier, qu'un retrait complet du Mali est sur la table et que le sort de Takuba est d'ores et déjà scellé ? Vous avez échangé avec vos interlocuteurs de Takuba. Le cas échéant, quelles sont les modalités de la reconfiguration envisagée ? Celle-ci prendra-t-elle suffisamment en compte le risque d'extension du djihadisme vers le golfe de Guinée, que nous redoutons tous ? Ou sera-t-elle un dispositif d'éclatement avec des unités réparties dans différents pays ?

Enfin, quelle est la position actuelle de nos principaux alliés au Sahel ainsi que des Nations unies, un éventuel retrait de notre part ne pouvant rester sans effet sur la mission EUTM - European Union Training Mission - et sur la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ?

Vous avez souhaité que cette audition se tienne à huis clos, afin de pouvoir vous exprimer librement et informer au mieux la commission.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre des armées

Je vous remercie de me fournir l'opportunité d'aborder la situation militaire et politique au Sahel. De profonds bouleversements traversent l'Afrique de l'Ouest, notamment le Sahel, sur les plans politique et sécuritaire. Cela pose question quant à notre engagement au Sahel. Quand des milliers de Français sont engagés là-bas au péril de notre vie, il est de notre responsabilité collective de réévaluer la nature de notre engagement.

Je commencerai par rappeler le sens de notre engagement et les résultats obtenus dans la lutte contre le terrorisme.

Si la France est intervenue au Sahel, c'est d'abord à la demande des États sahéliens, au premier rang desquels le Mali en 2013, pour repousser les colonnes djihadistes qui se dirigeaient vers Bamako. Sans les forces françaises de Serval, le Mali aurait peut-être connu un destin similaire à celui de l'Irak ou de la Syrie à partir de 2014, quand Daech a réussi à construire un sanctuaire du terrorisme islamiste.

Dans les années 2010, il y a eu plusieurs attaques terroristes contre des citoyens français et européens au Sahel. En 2013, cela faisait cinq ans que l'iconique course du Paris-Dakar n'était plus organisée dans la région, du fait de la menace terroriste.

Lorsque Serval laisse place à Barkhane un an plus tard, pour lutter contre le terrorisme avec les cinq pays de la zone - Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad -, c'est pour éviter la création d'un État terroriste tout puissant dans une zone aussi grande que l'Europe : il s'agissait de protéger les citoyens français et européens.

Au Sahel, la communauté internationale a deux ennemis : Daech et Al-Qaïda - peu importe les acronymes exacts de leurs filiales locales. Ce sont deux multinationales du djihad, qui n'hésitent pas à déstabiliser l'État, à soumettre les populations, et à commettre des exactions contre les civils. Ils veulent combattre la France et les Français partout, comme le prouvent leurs publications haineuses.

Quel est notre bilan au Sahel ? Je vous avais montré, avec force cartes, comment nous avons endigué l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), et favorisé le retour de l'État malien dans certaines régions. Aux aspects sécuritaires s'ajoutent des enjeux de développement.

J'insisterai sur deux aspects particuliers. Il n'y a pas, actuellement, de sanctuaire terroriste au Sahel. C'est un véritable succès stratégique des armées françaises, sahéliennes et des autres partenaires. Barkhane et ses partenaires ont empêché la territorialisation des groupes armés terroristes, qui ont cherché à créer des citadelles imprenables pour renforcer leurs capacités d'action, notamment l'EIGS dans la zone des trois frontières. Grâce à nos multiples actions conjointes, nous avons empêché qu'il y ait soit une filiale de Daech, soit une filiale d'Al-Qaïda qui y soit installée pour mener ensuite des opérations d'envergure internationale.

Deuxième point, qui est trop peu mis en avant : nous avons éliminé les chefs internationaux des filiales sahéliennes de Daech et d'Al-Qaïda ; en plus d'affaiblir durablement les organisations terroristes, cela peut modifier l'ampleur de leur ambition. Ce qui rend très dangereux l'EIGS, ce sont ses liens directs avec les états-majors de Daech au Moyen-Orient. Adnan Abou Walid al-Sahraoui, de nationalité marocaine, a été éliminé par Barkhane en septembre 2021. Fondateur et dirigeant de l'EIGS au Mali, au Niger et au Burkina Faso, il était en liaison permanente avec l'État islamique en Syrie et en Irak. Le neutraliser, c'est comme couper le fil reliant l'EIGS à Daech - et si ce n'est le couper, c'est le distendre durablement.

Actuellement, l'EIGS est dirigé par des terroristes maliens. Cela change la donne. Cela ne signifie évidemment pas que le groupe n'est pas dangereux, mais cela rebat les cartes : les chefs sont influencés par des logiques locales, notamment d'ethnies. Cela amoindrit l'envergure de leurs ambitions. Il en va de même pour le Rassemblement pour la victoire de l'Islam et des musulmans (RVIM), qui a déploré de lourdes pertes.

Ces succès opérationnels sont dus à l'opération Barkhane, mais aussi à nos partenaires sahéliens, associés dès le début, et dont la montée en puissance a franchi un cap au cours des dernières années. Sous l'impulsion du Président de la République, il y a eu un sursaut de mobilisation de l'ensemble des acteurs de la région en 2020, avec le sommet de Pau, au cours duquel les pays du Sahel ont réaffirmé leur adhésion et leur détermination politique pour lutter contre le terrorisme avec l'aide de la communauté internationale, dont la France. De solides partenariats ont été renforcés : depuis 2014, Barkhane a formé plus de 18 000 militaires sahéliens - sans compter ceux qui ont été formés par la mission EUTM. Nous sommes allés plus loin avec de l'accompagnement au combat, au contact direct de l'ennemi. C'est tout le sens de la force Takuba, composée de forces spéciales européennes qui accompagnent les forces armées maliennes sur le terrain. Depuis le sommet de Pau, les armées sahéliennes sont montées en puissance. Nous l'avons toujours dit : la France n'a pas vocation à être une armée de substitution. La paix du Sahel appartient aux États du Sahel. Nous voulons mettre la menace à la portée des armées sahéliennes, et leur donner les clefs d'un combat qui est le leur, et qui ne peut être réussi que s'il existe une volonté politique affirmée et renouvelée de gagner ce combat.

Dans cet esprit, en juin 2021, le Président de la Répulique a annoncé la transformation du dispositif militaire au Sahel en renforçant encore davantage la logique de coopération et de partenariat avec nos partenaires sahéliens et ouest-africains. Cela nous a conduits au désengagement des emprises du Nord Mali. Cette manoeuvre sensible s'est déroulée avec précision, grâce au grand professionnalisme de nos armées.

J'insiste sur la prise de conscience internationale, notamment européenne, qui s'est opérée ces dernières années sur la sécurité au Sahel. Il y a neuf ans, le Sahel n'était pas une préoccupation majeure des Européens - ou alors, à mots comptés. Peu à peu, il y a eu une prise de conscience, les Européens comprenant que, aux portes de l'Europe, c'est aussi leur sécurité qui est en jeu. Actuellement, tous sont convaincus que l'intérêt de l'Europe repose sur la stabilisation de notre frontière sud. Le Sahel est désormais l'une de leurs priorités stratégiques, et nous nous en félicitons.

Dans le champ opérationnel, cette dynamique s'est traduite par la montée en puissance de la force Takuba - une première en son genre - et l'élargissement de la mission EUTM-Mali. Au total, toutes forces confondues, si l'on agrège Barkhane, la Minusma, l'EUTM et Takuba, 25 000 militaires sont déployés.

Notre action s'inscrit dans le cadre de la coalition pour le Sahel, qui a donné un cadre à l'aide internationale, allant du volet militaire à celui du développement : la solution au Sahel n'est pas seulement militaire.

Quelle est la portée réelle de Takuba ? Tactiquement, les résultats obtenus moins d'un an après la pleine capacité opérationnelle de la force ont dépassé les prévisions initiales dans de multiples domaines. C'est surtout un succès politique : en un an, onze pays se sont engagés au combat de façon pragmatique. Un vrai « club » Takuba est né. Takuba représente ce que les Européens sont capables de réaliser ensemble dans un environnement sécuritaire compliqué. Nous devons capitaliser sur cet esprit qui participe à l'édification de l'Europe de la défense. Il me semblait important de remettre ces éléments en perspective pour comprendre notre action.

J'aborderai l'actualité et le contexte très dégradé. Depuis le début de notre engagement, et de tout temps, il y a une réalité implacable et évidente : on ne peut collectivement réussir au Sahel et lutter efficacement contre le terrorisme sans un investissement massif de l'État qui est aidé et sans la détermination de ses autorités. C'est pour cela que le sommet de Pau a été aussi important.

Actuellement, nous faisons face à une rupture des autorités maliennes - la junte - avec l'ensemble de leur environnement et de leurs partenaires. Cette rupture de confiance globale se fonde sur trois faits principaux. Le premier, c'est que pendant plusieurs mois, la junte malienne a assuré à l'ensemble de ses partenaires que la société de mercenaires russes Wagner ne se déploierait pas au Mali. Or actuellement, Wagner s'est déployé, ce qui compromet fortement la parole de la junte et sa prétendue détermination à lutter contre le terrorisme. Nous avons vu ce qu'était le modèle Wagner en République centrafricaine : pillage des ressources, mise en coupe réglée du pays, et surtout exactions sur les populations. Wagner se nourrit de l'insécurité et de la guerre, et ses mercenaires sont rémunérés par la junte. Quel intérêt à payer ces mercenaires alors que toute la communauté internationale est au chevet du Mali, de façon gratuite ? Je vous laisse tirer vos propres conclusions.

Second fait, la rupture des engagements de la junte sur l'échéance de la transition démocratique. Par ce choix, elle dévoile sa vraie volonté : rester au pouvoir à tout prix. C'est pourquoi, après de multiples provocations, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont décidé, le 9 janvier, d'accroître substantiellement les sanctions économiques et financières à l'encontre du Mali, afin de provoquer un électrochoc devant une situation inacceptable. Nous soutenons clairement leur décision - et nous sommes loin d'être les seuls.

Troisième fait, le Mali a achevé de consommer la rupture avec tous ses partenaires en entravant les capacités d'action des militaires européens sur tous les plans.

Sur le plan politique, la junte a annoncé vouloir revoir le traité qui régit notre coopération de défense, pour remettre en cause l'accord sur le statut des forces françaises dans des pays souverains. Quelques jours plus tard, ils ont exigé le départ des Danois de Takuba, ce qui a entraîné par ricochet la suspension du déploiement des Norvégiens.

Sur le plan militaire, les tensions ont continué avec la mise en place d'une zone d'interdiction temporaire de survol au-dessus du centre du Mali, avec des contrôles de plus en plus tatillons aux frontières terrestres du pays, et avec l'annonce de l'interdiction de survol du Mali aux aéronefs de la Minusma, partiellement levée après des négociations au plus haut niveau. Le point d'orgue pour la France a été le renvoi de notre ambassadeur au Mali, un symbole très fort. Quel sens donner au combat quand nous ne sommes plus les bienvenus ? Quand bien même le Mali serait dirigé par une junte illégitime, il est un État souverain. Nous prendrons donc acte de ses choix.

Malgré ce contexte difficile, en particulier sur le terrain, nos opérations de lutte contre le terrorisme continuent. Il y a quelques jours, Takuba a conduit une opération portant un coup à l'un de ces groupes. Une unité franco-estonienne, accompagnée de forces armées maliennes, qui bénéficient de cet accompagnement au combat de Takuba, a neutralisé une trentaine de terroristes dans le Liptako malien. Ils ont aussi saisi du matériel de combat et du carburant, lors d'une opération qui s'est étalée sur plusieurs jours, et qui a bénéficié d'un appui aérien - un drone et une patrouille de Mirage 2000 sont venus en appui des troupes européennes et maliennes au sol.

Quelles sont nos perspectives ? Comme je l'ai dit à mes homologues européens, nous devons continuer le combat contre le terrorisme au Sahel. Nous ne devons pas déserter, sinon Al-Qaïda et l'État islamique vont renforcer leurs actions. Nous devons aider nos partenaires de la façon la plus imbriquée possible et leur donner des capacités critiques en matière de renseignement, de connaissance du terrain, des capacités à planifier, à gérer des ressources humaines, en particulier dans la chaîne de commandement.

Nous voulons mener ce combat, et en Européens. Nous avons réussi plus qu'une opération multinationale : une fédération de volontés et la conscience de la nécessité d'agir ensemble. L'esprit de Takuba perdurera au-delà de l'engagement militaire.

Nous sommes en train de déterminer une nouvelle stratégie d'engagement au Sahel, en n'oubliant pas que la menace s'étend au golfe de Guinée. Nous devons changer d'échelle et faire différemment à l'échelle régionale. Nous allons poursuivre la transformation de notre dispositif militaire au Sahel et étudier les moyens d'élargir notre action collective à l'Afrique de l'Ouest. La France n'envisage pas cela en solitaire, mais veut construire avec les Africains, les Européens et les Anglo-saxons. C'est tout le sens des concertations que Jean-Yves Le Drian et moi-même menons depuis plusieurs semaines. Toutes les options sont sur la table, dont celle de quitter le Mali. La décision qui sera prise fera vivre ce que nous avons construit avec nos partenaires européens et sahéliens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Actuellement, l'opinion publique ne perçoit pas cette situation comme vous l'avez présentée. Elle croit que la France est obligée de partir, car elle est chassée du Mali. Dernier exemple en date, l'ambassadeur a dû partir. Certains de nos soldats sont morts au Mali, le pire serait de laisser croire qu'ils sont morts pour rien.

Vous dressez un tableau différent : nous sommes en négociation, le Président de la République décidera. Mais par rapport aux décisions de Pau, le Président de la République avait annoncé la transformation du dispositif militaire, avec une logique de coopération et de partenariat renforcé. Cela s'est traduit par une diminution des effectifs. Quel était précisément le calendrier, et où en sommes-nous ? Est-ce que nous subissons les événements et sommes obligés de temporiser, ou sommes-nous restés maîtres du calendrier ?

La force Takuba a été beaucoup critiquée ; quel est l'état réel de cette force - effectifs par pays, matériel à disposition ?

Nous devons rester au Sahel pour lutter contre le terrorisme, mais la France doit être bien accompagnée. Quelles sont les montées en puissance possibles ?

Les éléments de l'armée de l'air sur place travaillent à plus de 50 % au profit des forces maliennes. Comment celles-ci pourront-elles s'en sortir si nos avions ne sont plus là pour lutter contre le terrorisme ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Vous avez évoqué le succès de la politique de Takuba, symbole de l'engagement opérationnel européen, qui rassemble plus d'une douzaine pays européens, et pas des moindres : Pays-Bas, Suède... Certains pays ne sont pas encore engagés, même s'ils en ont exprimé le désir.

La junte malienne a demandé le renvoi des unités danoises de la task force. Quel est l'avenir, notamment militaire, de cette task force européenne ? Takuba restera-t-elle au Mali d'un point de vue opérationnel ? Comment maintenir des effectifs des forces spéciales pour accompagner une armée malienne parmi les plus faibles et les plus corrompues du monde ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Le Nay

Vous avez insisté sur l'importance de Takuba dans le dispositif, mais quel soutien réel avons-nous reçu de nos partenaires européens ? Les pays qui devaient envoyer des contingents - Portugal, Roumanie, Hongrie, Slovaquie - prévoient-ils toujours de tenir leurs engagements, et en ont-ils la possibilité ? Dans quel cadre juridique se ferait un éventuel redéploiement des forces françaises dans d'autres pays sahéliens ? Dans le contexte actuel, les missions de l'ONU et de l'Union européenne au Mali sont-elles dans le viseur de la junte ? Que faire pour éviter le pire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Vous avez dressé un bilan que nous connaissons pour une grande part. Nous poursuivons le même objectif : lutter contre le terrorisme, mais il faut trouver le bon chemin. Sauf que le postulat de base a changé : nous étions intervenus à la demande des Maliens, qui actuellement veulent s'éloigner de nous. Ils n'ont pas envie de basculer dans une démocratie vers laquelle nous les poussons, eu égard au gouvernement qui s'est mis en place.

Dans ce contexte, il est très difficile de rester quand le gouvernement malien fait tout pour nous mettre en difficulté dans notre mission de lutte contre le terrorisme.

Quels sont nos vrais alliés africains ? Vous avez rencontré le président du Niger. Pouvons-nous nous appuyer sur lui ? Nos troupes doivent-elles se replier sur le Niger ?

Avec l'Algérie qui interdit le survol de son espace aérien par des avions militaires, peut-on retrouver d'autres formes d'actions pour montrer que nous sommes présents ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Cela rejoint mes interrogations sur les différents scénarios...

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

En 2013, le gouvernement malien nous appelait à l'aide. Ce matin, son Premier ministre demande à Takuba de partir, et qualifie nos militaires de mercenaires. La limite est déjà dépassée depuis quelque temps...

Il n'y a plus de sanctuaire terroriste, nous dites-vous ; cette information est fondamentale. Alors que la menace terroriste est quasiment uniquement endogène, la raison d'intervenir n'est plus la même, indépendamment des humiliations subies depuis quelques semaines.

La question n'est pas que faire, mais comment le faire, pour protéger au maximum la vie de nos soldats encore sur le terrain. Et avec qui ?

Madame la ministre des armées, vous avez sous votre responsabilité la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Il y a eu deux coups d'État successifs au Mali et un putsch au Burkina Faso. Nos services de renseignement avaient-ils des informations laissant présager ces événements ? Si oui, quelles décisions ont-ils prises au Mali ? Ne voulaient-ils pas de confrontation avec la milice Wagner ? S'ils ne disposaient pas de telles informations sur les trois putschs, sont-ils suffisamment dotés en matériel technologique et en personnel au Sahel ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Nous devons revenir à des idées simples : la France s'est initialement déployée au Mali pour lutter contre le terrorisme. Si nous avons pu empêcher la création d'un califat territorial ou d'un sanctuaire pour les groupes djihadistes, le terrorisme continue à y faire de très nombreuses victimes, tant civiles que parmi les forces de sécurité. Le combat n'est donc pas terminé ; si nous ne le poursuivons pas, le risque de constitution d'un sanctuaire redeviendrait important. Il n'y a donc pas de débat entre les pays européens sur la nécessité de le mener.

Mais les conditions au Mali rendent ce combat difficile, puisque la source même de notre intervention, l'appel à l'aide du Mali, n'est pas formellement remise en cause, mais on s'en approche et on nous montre la sortie...

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Oui, et l'expulsion de notre ambassadeur est un message sans équivoque.

La question n'est donc pas : que faire ? Mais comment et avec qui ?

Ce que nous devons faire, c'est combattre le terrorisme en élargissant la focale, pour prendre en compte la dynamique de descente vers le sud des groupes terroristes que nous observons à la frontière nord des pays du golfe de Guinée, où des attaques ont lieu. Combattre le terrorisme en Afrique de l'Ouest, voilà la cible.

Avec qui ? Nous avons construit pas à pas l'internationalisation de ce combat. On a souvent fait le reproche à la France d'être seule ; ce n'est pas ou du moins ce n'est plus la réalité. La prise de conscience de la part des États européens est un atout qu'il ne faut pas dilapider. Nous multiplions donc des concertations avec nos partenaires tant européens qu'africains.

Faire évoluer le dispositif a été un processus permanent. Le sommet de Pau a été un moment très important pour le réengagement de nos partenaires autour de la zone des trois frontières, qui nous a permis de sahéliser et d'européaniser le conflit.

Après ce sommet, cet été, nous avons procédé à une première reconfiguration d'importance : le Président de la République nous a demandé de faire évoluer Barkhane d'une présence lourde, avec 5 000 militaires, vers une présence plus mobile, plus agile, plus capable de coopérer y compris au niveau le plus profond des armées sahéliennes.

C'est dans ce contexte que nous avons libéré trois emprises dans le nord du Mali entre octobre et décembre dernier, conformément au calendrier prévu et en bon ordre - sans incident majeur, même si chacun se souvient de celui ayant touché un convoi logistique en novembre.

La remise de ces emprises de Tessalit, Kidal et Tombouctou à la Minusma et aux forces armées maliennes s'est aussi déroulée en bon ordre. À l'époque, nos relations avec ces dernières étaient normales.

Takuba est un capital précieux qui a permis aux Européens d'incarner leur volonté de se battre contre le terrorisme. Ce n'est pas rien que des pays comme l'Estonie ou la République tchèque prennent le risque d'engager la vie de leurs soldats sur un terrain si éloigné.

C'est un capital militaire, mais aussi politique, sur lequel il faut s'appuyer pour construire un partenariat de combat qui fédère, autour des armées sahéliennes, des armées européennes qui ne font pas que de la formation, loin s'en faut.

Je comprends la frustration de certains d'entre vous par rapport à mes réponses qui restent assez conceptuelles.

Peut-on déployer tel quel notre dispositif dans d'autres pays ? Parmi les pays immédiatement voisins du Mali, le Niger semble le plus solide. Imaginer que le dispositif malien puisse être aisément redéployable dans un pays comme le Niger ne serait cependant pas réaliste. Il faudra cependant s'appuyer sur ce pays - c'est le sens de mon déplacement de la semaine dernière - et sur les coopérations bilatérales qu'il a développées avec la France, mais aussi avec d'autres pays européens et les États-Unis.

Le président Bazoum se montre dans ses prises de parole extrêmement engagé à poursuivre le combat contre le terrorisme et à le faire avec la France.

Nous avons basé nos drones et avions de chasse à Niamey. Je lui ai proposé de définir un point d'appui pour les forces nigériennes et les armées qui coopèrent avec elles plus près de la frontière avec le Mali - dont Niamey est assez éloignée. Le temps d'intervention dans la zone des trois frontières serait réduit.

Nous avons des conteneurs à Gao qu'il faut rapatrier vers la France ou déplacer. Ce point d'appui pourrait aussi être utile pour ce désengagement logistique.

Si les choses se passent comme nous le souhaitons, les partenaires européens déjà présents au Niger se coordonneront avec nous.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

On lit un peu partout que le Niger ne veut pas accueillir Takuba pour préserver sa souveraineté. Est-ce vrai ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Le Niger n'est pas favorable à ce qu'il appelle une approche multilatérale. C'est pourquoi j'ai insisté sur ses coopérations bilatérales.

Concernant les autres pays, le Burkina Faso a subi un coup d'État récemment, lequel n'a pas été une surprise pour nos services de renseignement, car on sentait la tension augmenter. Je le dis avec d'autant plus de regrets que nous avions fait des propositions au président Kaboré pour lutter contre le terrorisme, qu'il n'a acceptées que quelques jours avant sa chute - quelques jours pendant lesquels nous avons pu mener des opérations très efficaces. Quant à savoir si cela aurait pu changer le cours des choses...

Nous avons dénoncé le coup d'État, comme l'ont fait la Cédéao et tous nos partenaires. Désormais, tout dépend des décisions du lieutenant-colonel qui a pris le pouvoir. Celui-ci a déclaré à une mission de la Cédéao qu'il s'engageait à procéder à une transition démocratique dans un délai raisonnable, mais cette notion est on ne peut plus vague. Tant que nous ne disposerons pas d'un compte à rebours avant des élections, nous ne pouvons nous y fier. Mais il a voulu maintenir la relation partenariale de combat. Celle-ci dépendra donc de la définition d'un calendrier politique de retour vers la démocratie.

Avec les pays d'Afrique de l'Ouest, nous avons des échanges intenses. La France a des forces présentes dans au moins deux d'entre eux, le Sénégal et la Côte d'Ivoire. Cela fait partie des piliers sur lesquels nous pourrions bâtir un dispositif de lutte dans cette région.

Vous m'interrogez sur les conséquences sur la Minusma et l'EUTM. Tant que nous avons des forces au Niger, nous pourrons mener les missions de réassurance que nous leur fournissons. Ces missions dépendent cependant beaucoup de notre capacité à conserver une emprise au sol dans les pays du Sahel.

L'Algérie avait décrété des interdictions de survol, mais elles ont été levées récemment - c'est plutôt une bonne nouvelle, car la situation est compliquée.

Concernant les services de renseignement, il est difficile de refaire l'histoire. Au Burkina, nous avons vu le coup d'État arriver. Au Mali, la manière dont la junte s'est organisée a rendu impossible cette prévision. Cela tient moins aux moyens de nos services qu'aux précautions infinies prises par les organisateurs de ce coup d'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Si je vous comprends bien, vous inclinez maintenant pour des implantations plus légères que celle que nous avons à Gao ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

C'est l'esprit de ce que nous a demandé le Président de la République : une empreinte plus légère, plus agile et plus imbriquée, de manière à ne plus nous substituer aux armées locales, mais à construire des partenariats de combat avec elles.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Les forces armées allemandes sont présentes à nos côtés, que ce soit via Takuba, l'EUTM ou la Minusma. Je m'interroge sur le retrait de la Bundeswehr et sur la manière dont nous coordonnerons.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Quel est l'intérêt objectif du Mali de s'en remettre à lui-même et à Wagner ? Il n'y a plus d'opinion malienne : on voit des manifestations anti-françaises, mais elles semblent assez peu spontanées, et la junte ne veut pas organiser d'élection avant trois ou quatre ans.

L'implication de Wagner suit-elle ou précède-t-elle le coup d'État de la junte ? N'y a-t-il pas eu une forme d'entrisme pro-russe qui aurait agi en coulisse ? Je ne sais pas si nous sommes capables de le savoir...

Nous avons rencontré le représentant du Mali au Nations-Unies qui nous disait mi-décembre qu'il n'y avait aucune relation avec Wagner. Un tel déni est incroyable.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Vous avez bien décrit le fonctionnement de Wagner, qui a fait immédiatement des offres de services après le coup d'État au Burkina Faso. J'ai reçu il y a peu une vidéo de troubles à Niamey qui s'est révélé être une fausse nouvelle, relevant de techniques de désinformation. On sent qu'un plan général est à l'oeuvre et qu'il ne se limite pas au Sahel.

Un magazine africain titre : « Mali : le plan de Poutine en marche pour déloger la France. » L'article indiquait : « La France est le bouc émissaire idéal pour porter les accusations les plus grotesques de déstabilisation. Après avoir pris pied au Centrafrique, Poutine veut voir plus grand. »

À Dakar, il y a deux mois, nos forces nous ont décrit la pression sur les pays du golfe de Guinée.

La Russie conduit les mêmes types d'opérations en Bosnie et au Venezuela. Si l'objectif est de circonscrire le développement de Wagner, comment envisagez-vous d'atteindre cet objectif ? Cela se limite-t-il à l'Afrique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

En vous écoutant, j'ai l'impression que tout change pour que rien ne change. Vous expliquez les difficultés par de grands changements récents. Mais les questions étaient déjà toutes là lorsque nous avions eu un débat sur ce sujet au Sénat à notre initiative. La cause de l'échec n'est-elle que militaire ? Vous avez rappelé comme toujours que la solution ne serait pas que militaire. Mais c'est pourtant la seule chose dont vous parlez - même si je conçois que ce soit la partie dont vous êtes en charge. Vous dites que toutes les hypothèses sont à l'étude ; mais y a-t-il une réflexion plus globale sur les causes de l'échec de Barkhane ? Quel est le calendrier de cette réflexion ? Il y a bientôt un sommet UE-Afrique ; sera-t-il l'occasion de faire des annonces ? Quelle est l'ampleur de la présence de Wagner au Mali et dans les autres pays ? Quid de la Minusma ? Continuera-t-elle sa mission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

C'est une bonne question : une bonne partie de la Minusma est protégée par la France ; nous avons pu constater combien son armement et sa préparation étaient perfectibles.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

L'Allemagne s'est beaucoup engagée au Sahel, notamment dans la Minusma, puisqu'elle compte 1 000 hommes à Gao ; elle a déployé un avion de transport au profit de Barkhane et des hélicoptères pour les évacuations sanitaires, et plus de 300 hommes dans l'EUTM. Enfin, l'Allemagne soutient Takuba, même si elle n'y participe pas.

C'est un des pays avec lesquels nous avons un dialogue nourri pour converger vers le dispositif le plus consensuel possible. La présence de nos partenaires est un élément crucial. Vu d'Allemagne, la présence au Sahel est sans doute l'un des plus importants engagements militaires actuels de la Bundeswehr. Je n'ai pas d'éléments sur un retrait. Si cela devait arriver, cela remettrait en question l'avenir de la mission onusienne.

Pourquoi le Mali s'en remet-il à Wagner ? Fondamentalement parce que, pour la junte, cette force est la plus capable d'assurer son maintien au pouvoir. C'est une assurance vie pour éviter la transition qui ne vient pas.

Lors du premier coup d'État, Wagner n'était pas dans le paysage. Puis il y a eu des divergences et une tendance a pris le pas sur l'autre lors du deuxième coup d'État. L'idée de faire venir Wagner, déjà présent en Libye, au Centrafrique, et qui a été présent au Mozambique, a dû germer à ce moment-là. C'est une conjecture.

Je partage votre sentiment qu'il y a eu une volonté de tromperie permanente accompagnée d'un déni puissant. On le voit bien avec le procès sur la légalité de la présence du Danemark, qui disposait de toutes les autorisations du Mali pour être sur son territoire.

L'un des problèmes les plus délicats est celui de la désinformation, qui contribue à la déstabilisation de la région. Nous ne sommes pas naïfs et avons pris la mesure des modes opératoires utilisés. L'amplification de ces procédés est d'ailleurs une partie de l'offre de Wagner. Nous y travaillons, mais ce n'est pas facile : comme l'un d'entre vous l'a dit, la France est un parfait bouc émissaire. Malgré cet état de fait, tous les pays européens sont logés à la même enseigne, l'expulsion mise à part de notre ambassadeur, à la portée symbolique forte.

Au Mali, nous avons recensé un peu plus de 700 mercenaires arrivés en décembre et en janvier. Il continue d'en arriver par rotations aériennes régulières. Ces mercenaires sont déployés principalement dans le centre du Mali et dans la zone proche de Tombouctou. Ils disposent de moyens logistiques et d'hélicoptères. Ils jouent sur une ambiguïté : il y a toujours eu au Mali des équipements militaires russes. Le ministre des affaires étrangères malien a ainsi répondu au Haut-représentant de l'UE à Bruxelles : il n'y a pas de mercenaires, mais des instructeurs de l'armée régulière russe. Il doit bien y avoir quelques uns de ces instructeurs, mais beaucoup moins que de mercenaires.

En Libye, le dispositif est en voie de diminution. En République centrafricaine, il est stable. Wagner a quitté le Mozambique.

Combien de temps cette société restera-t-elle ? Tout dépend de sa capacité à se payer, si j'ose dire, sur la bête. En République centrafricaine, elle est rémunérée par des concessions de mines de diamants, mais comme ce n'était pas suffisant, elle perçoit également une ponction sur les recettes douanières de l'État ! L'État malien a-t-il la capacité d'assurer la rémunération de cette société dans la durée ? Je ne le sais pas.

C'est une des raisons pour laquelle la Cédéao a pris des sanctions économiques très dures : la pression économique pourrait créer un goulot d'étranglement qui rende la vie plus difficile à l'État malien et accélère le départ de cette société. Mais nous n'en sommes pas là.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci de vos réponses, à une période où la réflexion du Gouvernement est en cours. Il est indispensable de partir du Mali : on ne reste pas dans un pays qui ne veut plus de vous. Merci de bien veiller à garder le Parlement informé. Nous sommes aussi responsables, puisque nous avons voté la prolongation de l'intervention après quatre mois. L'opinion est sans doute en train d'évoluer sur ces questions : la vision du public de notre présence au Mali n'est plus ce qu'elle était il y a un mois.

La réunion est close à 18 heures.