Intervention de Éric Danon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 février 2022 à 9h30
Audition de M. éric daNon ambassadeur de france en israël

Éric Danon, ambassadeur de France en Israël :

Je suis très heureux d'intervenir devant vous quelques jours avant votre déplacement en Israël, à Jérusalem et dans les Territoires palestiniens. Nos équipes et celles du consulat général à Jérusalem sont mobilisées.

Le Moyen-Orient a évolué : il n'a plus rien à voir avec celui d'il y a vingt-cinq ans, et il a encore changé récemment. Je mettrai en avant quelques événements. Les Américains sont moins intéressés qu'auparavant par la zone. Certes, ils ne vont pas en partir, mais ils s'impliquent moins. En raison de ce vide, les grandes puissances - la Turquie, la Russie, et même la Chine qui arrive lentement mais sûrement - rebattent les cartes. Israël a vécu une période de paix relative, sans guerre longue, ce qui a permis un développement économique considérable. Lentement, le pays est devenu une puissance régionale économique - avec un PIB supérieur à la somme de ceux de ses voisins - et militaire.

L'Iran est monté en puissance, avec une triple déstabilisation nucléaire, balistique et régionale. Il y a aussi une conjoncture nouvelle avec les accords d'Abraham, événement majeur de ces trois dernières années, qui a modifié l'image d'Israël dans les pays arabes et qui a eu une influence considérable sur les relations israélo-palestiniennes.

Quelle est la situation de la Palestine actuellement ? Les Palestiniens n'ont jamais été aussi faibles de leur histoire. C'est d'abord lié à des causes exogènes : les accords d'Abraham ont fait sauter le verrou de 2002 de la Ligue arabe qui estimait qu'il n'y aurait pas de normalisation tant que la question palestinienne ne serait pas réglée. Il y aussi des éléments endogènes : les élections reportées puis annulées et la montée en puissance du Hamas, qui accroît son influence en Cisjordanie en combattant Israël.

C'est une situation relativement nouvelle : Israël affiche désormais sa volonté de soutenir l'Autorité palestinienne, qui lui est préférable au Hamas.

La politique d'Israël par rapport à la Palestine est compliquée. La politique de Naftali Bennett est différente de celle de Benyamin Netanyahou.. Sous Netanyahou, environ 2 000 nouveaux logements étaient construits chaque trimestre. L'écart de développement entre Israël et la Palestine devait rester le plus élevé possible pour maintenir le contrôle.

M. Bennett a une approche différente. il est dans une logique de développement économique de ces territoires pour que les populations aient une autre perspective, que l'affrontement violent vis-à-vis d'Israël. Il appelle l'Union européenne à accompagner les gestes initiés.

De nombreux membres du gouvernement ont rencontré leurs homologues palestiniens. La circulation des personnes est facilitée, des permis de travail et de construction sont octroyés aux Palestiniens et des échanges techniques se développent sur les questions financières et économiques.

En même temps, il reste des situations inacceptables : des colonies continuent d'être construites y compris aux abords de Jérusalem-Est, tendant à rompre la contiguïté avec les territoires palestiniens ; et l'impunité des violences commises par les colons perdure.

À long terme, il semble que plus personne n'aborde la question de la solution politique à ce conflit. M. Bennett estime que tant qu'il est là, il n'y aura pas d'État palestinien. Et même M. Lapid, s'il devient effectivement Premier ministre après l'alternance de 2023 a marqué ses réserves à y travailler La phrase fétiche, c'est « shrinking the conflict », réduire pas à pas le conflit à sa seule dimension socio-économique.

Le gouvernement israélien est hétéroclite, un peu improbable de l'aveu même de ses membres, et n'a été mis en place que pour faire tomber Benyamin Netanyahou. Il ne tient que par la crainte des élections. On compare souvent le régime parlementaire israélien à celui de la IVe République, mais il y a une différence majeure : les gouvernements de la IIIe et de la IVe République tombaient, car il y avait une possibilité de dissolution de l'Assemblée qui n'a jamais été utilisée, sauf en 1877 et en 1955. En Israël, c'est le contraire : la menace de la dissolution par le gouvernement empêche la Knesset de le faire chuter. Le régime parlementaire est proche de celui de la IVe République, mais les gouvernements sont stables, ils tiennent trois à quatre ans - hormis durant ces deux dernières années.

L'actuel gouvernement est composé de représentants de partis très opposés. Pour prendre une image, c'est comme les pompiers qui tirent sur une toile pour sauver des gens sautant d'un immeuble, chacun tirant de son côté, à force égale : la toile ne bouge pas. Le budget et les lois sont votés.

Il y a pour la première fois un parti arabe au gouvernement, qui choisit de se concentrer sur le développement des villes et villages arabes, qui était très limité durant ces huit dernières années. Dans les villes arabes et « mixtes », les violences entre communautés lors de l'escalade israélo-palestinienne de mai 2021 ont laissé des traces. La relation franco-israélienne est bonne, mais elle reste difficile politiquement, et sensible. Cela se passe très bien au travers du soft power, avec la coopération culturelle, scientifique et technique. Il existe une importante communauté française et franco-israélienne, et il y a une grande demande de culture française. La partie consulaire se passe bien. Les Français et les Franco-israéliens ont redécouvert la France durant le covid, lorsqu'ils avaient besoin d'une carte d'identité ou d'un passeport français pour s'y rendre. Nous avons eu une augmentation de 25 % des inscrits au consulat en 2021. Il y a eu aussi une dimension sociale avec la crise économique. Nous avons dû aider nos concitoyens : ces deux dernières années, 95 % des aides sociales ont été accordées à des gens qui n'étaient auparavant pas inscrits au consulat. Nous avons modifié les relations entre les autorités françaises - ambassade, consulat, Institut français et Business France - et les populations israélienne et franco-israélienne. Il y a eu la visite du Président de la République, et le président Isaac Herzog se rendra en France dans les prochaines semaines.

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