Intervention de Éric Danon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 février 2022 à 9h30
Audition de M. éric daNon ambassadeur de france en israël

Éric Danon, ambassadeur de France en Israël :

Nous en découvrons chaque jour davantage avec Pegasus. Lorsqu'il s'agissait d'événements extérieurs à Israël, on estimait que la société pouvait vendre le logiciel après passage devant une commission d'autorisation, ces logiciels étant considérés comme des armes. Désormais, l'affaire vire au scandale en raison d'une utilisation interne au pays, y compris avec un impact potentiel sur les procès de M. Netanyahou, dans l'hypothèse où certains opposants auraient été écoutés.. Ensuite, en matière de data, les Israéliens nous interrogent sur nos pratiques. La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) les intéresse beaucoup. Ils veulent travailler à une régulation internationale de la vente de ces logiciels. Pour l'instant, c'est embryonnaire. Cela débouchera peut-être sur une convention internationale ou une annexe au traité sur le commerce des armes. Nous ne sommes qu'au début du scandale.

Concernant l'Iran, les accords d'Abraham modifient l'équation régionale. Il n'y aurait probablement pas eu ces accords si l'Iran n'avait pas été si agressif envers Israël et plusieurs pays sunnites, en particulier dans le Golfe. Comme l'Iran veut étendre son influence sur la région, en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, plusieurs pays sunnites ont en partage une perception d'une menace accrue de la part de leur ennemi commun : l'Iran.

Les accords d'Abraham et la reprise des relations israélo-marocaines ont clivé le monde sunnite. L'arbitre des élégances restera l'Arabie saoudite où l'on sait que plusieurs lignes coexistent au sein des cercles dirigeants avec une rupture générationnelle entre ceux, les plus anciens, qui continuent de défendre la position saoudienne traditionnelle sur la question palestinienne, et d'autres qui se montrent plus ouverts à un rapprochement avec Israël...

Les relations avec les États arabes s'améliorent de plus en plus. Chacun y trouve un avantage réciproque. Alors que les Émirats arabes unis, le Maroc et Bahreïn sont partis à fond de train avec l'ouverture de représentations diplomatiques, avec des relations commerciales... De très nombreux Israéliens sont allés voir l'exposition universelle à Dubaï, dans des avions d'El Al qui survolaient l'Arabie saoudite... C'était impensable il y a quatre ou cinq ans.

Le gouvernement Netanyahou était publiquement opposé aux accords sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, ou JCPoA). La sortie du JCPoA de Donald Trump pour mettre une pression maximale sur l'Iran - « maximum pressure », « squeeze Iran » - a été une erreur que l'administration Biden a voulu corriger. Les Israéliens se sont adaptés à cette réalité nouvelle en étant prêts à tolérer le retour à l' accord selon des modalités très dures sur l'ensemble des sujets sur lesquels l'Iran représente une menace : le nucléaire, le balistique et l'influence militaire régionale. Quelle qu'ait été la nature et les objectifs des discussions de Vienne, les Israéliens ne s'y sont jamais sentis liés et feront ce qu'ils veulent, même dans l'hypothèse d'un retour au JCPoA,s'ils estiment que leur sécurité est menacée.

L'Iran joue la montre et poursuit ses avancées préoccupantes en matière d'enrichissement nucléaire, se rapprochant du seuil. Les Israéliens ne croient pas aux accords de Vienne, mais ils n'ont pas plus confiance dans l'administration Biden. Les Israéliens s'inquiètent d'un « deal » au rabais que les Américains seraient pressés de signer pour pouvoir se concentrer sur d'autres thématiques plus brûlantes pour leurs intérêts, à commencer par le dossier chinois. Tel-Aviv n'a donc cessé de passer des messages clairs à Washington pour rappeler l'importance vitale du dossier pour Israël et pour évoquer avec l'administration Biden des scénarios alternatifs à ceux d'un accord, afin de préparer les conditions de la coopération entre les deux pays sur le dossier dans l'hypothèse d'un l'échec des négociations de Vienne.

Mme Jourda a évoqué le sommet de l'Union africaine (UA). Il y a évidemment une dynamique de rapprochement entre Israël et l'UA depuis 2020 ; je pense notamment aux accords avec le Soudan et le Maroc. D'ailleurs, Israël bénéficie d'un statut d'observateur depuis juillet 2021. L'Algérie et l'Afrique du Sud ont essayé de rompre cette dynamique lors du dernier sommet. Il n'y a pas eu de vote sur le statut d'observateur ; cela aurait sans doute exposé l'UA à une scission. Le sujet est trop sensible. Le dossier sera réexaminé au prochain sommet.. Je pense qu'il y aura un rapprochement, mais les tensions sont réelles.

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