Intervention de Éric Danon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 février 2022 à 9h30
Audition de M. éric daNon ambassadeur de france en israël

Éric Danon, ambassadeur de France en Israël :

M. Gontard a évoqué le rapport d'Amnesty International et l'effacement - en fait, il s'agit plutôt d'une perte de centralité - de la question israélo-palestinienne dans les débats. Le rapport d'Amnesty a été considéré comme outrancier par les autorités israéliennes Ici, lorsque vous parlez d'« apartheid », les gens ferment les écoutilles ; même ceux qui ne contestent pas les discriminations. Les États-Unis et l'Allemagne l'ont catégoriquement rejeté, et le Royaume-Uni a suivi. La position de la France sur le sujet étant bien connue, notre pays n'a pas à commenter les rapports des ONG.

Je n'ai pas dit que la solution à deux États était enterrée ou que la question nationale aurait disparu. Simplement, que sa dimension politique n'est plus centrale dans les débats.

Comme je l'évoquais, il y a des gestes socio-économiques (y compris par exemple par des prêts israéliens de. 600 millions de shekels, soit environ 150 millions d'euros, à l'Autorité palestinienne). Pour Israël, la question centrale est de contenir la poussée du Hamas et du Jihad islamique palestinien.

Joe Biden va effectivement essayer de renouer une relation plus classique avec Israël. Je ne suis pas sûr que cela marche, car il apparaît très faible ici. Les Iraniens considèrent que les Américains se détournent des sujets du Moyen-Orient , et le retrait d'Afghanistan n'a pas amélioré l'image des États-Unis auprès des populations du de la région. Naftali Bennett ne veut pas d'un retour à la relation qui était en vigueur à l'époque de Barack Obama.

La conférence du Sénat au mois de mai sur les accords d'Abraham sera importante. Je me réjouis qu'elle se tienne.

Israël a proposé de l'aide, y compris humanitaire, et de l'eau au Liban. Pour l'instant, les Libanais ont refusé. Je vous rappelle que les deux pays se considèrent en guerre. . Israël refuse d'investir les mécanismes multilatéraux d'aide, de par son refus traditionnel d'internationaliser quoi que ce soit des conflits avec ses voisins. Les Israéliens mettent en avant leur rôle de dissuasion par rapport au Hezbollah, auquel ils font régulièrement passer le message qu'ils savent parfaitement où se trouve Nasrallah et qu'ils pourraient envoyer un tapis de bombes sur Beyrouth en cas de provocations militaires très fortes de la part de l'Iran.

Israël devrait faire partie de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Il y a environ un million de vrais francophones. Mais les statuts de l'OIF prévoient qu'il faut l'unanimité pour accueillir un nouveau membre. Or le Liban fait blocage. Et quand bien même le Liban lâcherait prise, l'Algérie se tient en embuscade pour faire blocage à sa place.. C'est évidemment une décision politiquement très sensible. En attendant, Israël travaille de différentes manières sur la francophonie ; je considère qu'il a sa place au sein de l'OIF. Aujourd'hui, 25 % des parlementaires de la Knesset sont francophones.

La relation entre Israël et la Chine est forte et ancienne. Et le modèle des start-up israéliennes est complètement différent de celui des start-up françaises. En Israël, le rêve des entrepreneurs, c'est de vendre à l'étranger. Cela intéresse énormément la Chine, qui y fait son marché. Mais les Américains s'y opposent, car certaines ventes d'Israël à la Chine portent sur des éléments extrêmement sensibles, y compris d'un point de vue militaire, pour les États-Unis. C'est une source de tensions avec Israël, y compris à l'époque où Donald Trump et Benyamin Netanyahou étaient simultanément au pouvoir.

En dépit des questions politiques et de la clause territoriale, Israël est un marché très porteur pour les entreprises françaises, notamment dans les secteurs des infrastructures, de l'énergie et des nouvelles technologies. Au cours des six derniers mois, nous avons gagné un certain nombre de contrats, certes à bas bruit, afin d'éviter de déclencher l'ire de plusieurs groupes sur internet. Les contrats remportés concernent la coordination des lignes du métro de Tel-Aviv, la plus grande centrale solaire d'Israël. Nous avons également une coopération spatiale. Le fait qu'Israël ait été admis au titre de pays associé dans le cadre d'Horizon Europe et fondamental pour lui et pour nous. Contrairement au Royaume-Uni ou à la Suisse, Israël a réussi son examen de passage, ce qui est intéressant pour le spatial, la coopération universitaire ou les grands programmes d'ordinateur quantique. J'en viens à la question la plus politique. Même si les ambassadeurs ne sont jamais censés donner leur opinion personnelle, je vous fais part de ma conviction profonde. Je suis profondément pour la solution à deux États. Mais je constate que celle-ci ne marche pas avec la méthode et les paramètres qui sont utilisés aujourd'hui. Alors que le Moyen-Orient a profondément changé au cours des vingt-cinq dernières années, nous en sommes restés aux paramètres de 1967 mâtinés par les accords d'Oslo. À titre strictement personnel, je pense que ce ne sont plus les bons paramètres.

Si les Occidentaux, qui n'ont pourtant de cesse de se prononcer en faveur de la solution à deux États, ne reconnaissent pas l'État palestinien, c'est tout simplement qu'ils savent - les Palestiniens l'ont également intégré - qu'un tel État n'aurait ni armée, ni contrôle du ciel, ni contrôle de l'immigration, ni contrôle de la monnaie... Si nous attendons que toutes les conditions de la pleine souveraineté d'un État palestinien soient réunies, nous risquons de ne pas le voir de notre vivant. Mais je pense sincèrement qu'il y a d'autres moyens d'arriver au résultat par des voies différentes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, qui parmi vous pense que la solution à deux États va être mise en oeuvre à échéance raisonnable dans les paramètres de 1967 ? Qui pense qu'il puisse y avoir une autre capitale pour Israël que Jérusalem ?

Bien entendu, tout cela relève d'une décision politique. Ce n'est pas l'ambassadeur qui va faire bouger les choses. Mon rôle est de décrire les évolutions qui sont intervenues depuis que les paramètres de 1967 ont été définis. C'est ensuite au politique d'agir.

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