Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 juillet 2022 à 9h05
Mission d'information sur l'avenir institutionnel de la nouvelle-calédonie — Examen du rapport d'étape

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Après cette allusion à Jules Romain, je résumerai mon sentiment en disant que nous sommes dans un entre-deux : ce n'est plus « Nouméa » et ce n'est pas encore « l'après-Nouméa ». Nous sommes dans une période de tous les risques, qui ne doit pas s'éterniser. L'incertitude entraîne un marasme économique : une partie de la population a quitté le territoire et les acteurs économiques hésitent à investir. Mais elle a aussi un effet politique : les référendums que l'on a devant soi unissent les parties calédoniennes dans une perspective politique, mais une fois qu'ils ont eu lieu ils divisent la Nouvelle-Calédonie suivant des clivages qui recouvrent largement le périmètre des communautés ethniques.

Dès juin 2021, le Gouvernement a choisi de s'inscrire dans un calendrier volontariste en annonçant un référendum de projet avant juin 2023. Pour cela, deux conditions doivent être remplies : il faut un projet et il faut pouvoir organiser un référendum ! Or ces deux points soulèvent de nombreuses interrogations.

S'agissant du projet, le Gouvernement le prépare-t-il avec des interlocuteurs qu'il choisit ou anime-t-il un dialogue entre parties calédoniennes ? Une fois qu'on a posé la question, on a la réponse : la solution ne peut être durable si elle est une décision unilatérale du Gouvernement. Le projet doit forcément reposer sur un accord, qu'il faut préparer par le dialogue. Or il n'y en a pas eu, ni avant le référendum du 13 décembre 2021, pour cause de campagne électorale, ni après, en raison des élections législatives et présidentielle. Le gouvernement nommé avant les élections législatives a compris qu'il était plus que temps d'agir s'il voulait tenir le calendrier : il a donc annoncé un déplacement de la ministre de l'outre-mer, mais elle n'est pas restée en fonctions. Le nouveau ministre a annoncé sa venue, avant de reporter son voyage.

On aurait pu imaginer que, sans visite ministérielle, des relations soient nouées avec les loyalistes et avec les indépendantistes, avant que l'ensemble des parties prenantes soient réunies. Mais le Gouvernement a annoncé unilatéralement la tenue d'une réunion du comité des signataires de l'accord de Nouméa. Est-ce l'instance la plus appropriée pour négocier ? Une partie des signataires n'est plus en fonctions, voire est décédée. La convocation de cette instance n'a pas été préparée par un dialogue bilatéral avec chacune des parties.

Les indépendantistes considèrent qu'après le troisième référendum, dont ils ont contesté la tenue, le Gouvernement a pris fait et cause pour l'une des parties contre l'autre : ils ne veulent pas participer à la réunion sans avoir au préalable dialogué directement avec l'État. Le calendrier annoncé, avec une excellente intention, par le gouvernement de l'époque est de plus en plus difficile à tenir. L'écriture du projet n'a pas encore commencé, et les positions sont plus antagoniques qu'elles ne l'ont jamais été.

Imaginons néanmoins que le Gouvernement engage une discussion respectueuse sur le projet avec chaque partie calédonienne et que cette discussion aboutisse en temps utile pour organiser un référendum en juin 2023 : nous sommes alors confrontés à un autre problème. Il faut que le référendum soit constitutionnellement possible, mais on ne trouve pas de terrain solide pour organiser cette consultation si elle devait prendre une autre forme qu'un référendum national.

Pas de projet, pas de référendum : comment tenir le calendrier du « référendum de projet » ?

Difficulté supplémentaire, des élections provinciales ont lieu en 2024, avec un corps électoral restreint, dont une partie des inscriptions est « gelée » depuis plusieurs décennies. Ce corps restreint se justifiait par le fait que les élections provinciales informaient la composition du Congrès de Nouvelle-Calédonie et, donc, du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, trois institutions qui « détermineront » l'avenir du territoire. L'accord de Nouméa prévoit que la citoyenneté calédonienne devait s'exprimer pour les élections déterminant la composition des organes de la collectivité néo-calédonienne. Le corps électoral restreint pour les élections provinciales a été conçu dans le cadre du processus d'autodétermination, qui est juridiquement clos. La dérogation constitutionnelle au principe de l'universalité du suffrage peut-elle survivre à l'achèvement de ce processus ? La question n'est pas simple à résoudre. Si le projet, qui devra notamment permettre de définir le corps électoral des élections provinciales, n'a pas fait l'objet d'un consensus à une date permettant d'organiser celles-ci en 2024 comme prévu, les difficultés seront encore accrues.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de faire ce rapport d'étape : il est temps de tirer la sonnette d'alarme. Nous risquons en effet de nous retrouver dans une impasse si des initiatives ne sont pas prises très rapidement pour rétablir un processus de négociation.

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