La situation du tribunal judiciaire de Marseille, où je me suis rendu, montre bien les paradoxes de la situation dans laquelle se trouve notre justice aujourd'hui. Une justice à laquelle on demande énormément mais qui a besoin de reconnaissance et qui se sent incomprise et négligée. Une justice à laquelle on commence à donner des moyens humains mais qui attend toujours des moyens structurels et qui le vit mal.
L'accueil qui nous a été réservé par le président et la procureure générale, le directeur de greffe et l'ensemble des magistrats et personnels a été particulièrement attentif, avec le souhait de nous faire comprendre les difficultés quotidiennes auxquelles les magistrats et personnels sont confrontés.
J'ai pu voir l'action des parquets, les déferrements, l'action des juges des enfants, la permanence assurée par les procureurs. Outre les responsables de la juridiction, nous nous sommes entretenus avec la présidente de l'une des chambres criminelles et des représentants des syndicats des magistrats et des personnels de greffe.
Ils ont fait le constat unanime des difficultés de ressources humaines et des problèmes matériels, dont les problèmes informatiques dont nous avions déjà connaissance, mais aussi en matière de locaux, qu'ils rencontrent au quotidien pour exercer leurs missions.
Situé au coeur de Marseille et donc objectivement difficile à rejoindre du fait de l'encombrement de la circulation, le tribunal judiciaire se situe sur trois bâtiment : le bâtiment historique récemment rénové, un bâtiment construit dans les années 1980 et ayant indéniablement mal vieilli, et un troisième bâtiment loué à proximité.
Malgré cette extension, le tribunal manque toujours de salles d'audience. Cette archipélisation ne facilite ni le quotidien des magistrats et personnels du tribunal, ni surtout celui des justiciables, et pose en outre de nombreux problèmes pour sécuriser les locaux. Les difficultés immobilières sont particulièrement pesantes sur le quotidien et aucune solution n'est facile. Le rachat récent d'une ancienne caserne militaire par le ministère de la justice, outre qu'il crée encore un nouveau lieu éloigné des autres, se heurte à l'ampleur des travaux nécessaires pour réhabiliter un bâtiment non entretenu pendant plusieurs années.
En février, le Garde des Sceaux a promis une nouvelle cité judiciaire à Marseille sur un site unique de plus de 40 000 m² et qui ouvrirait ses portes en 2028. Le président du tribunal judiciaire est fortement mobilisé sur ce projet dont la réalisation reste toutefois très hypothétique. Outre les réticences locales à laisser le tribunal quitter le centre ville, il s'agit de trouver le foncier nécessaire, ce qui ne sera pas chose facile. Ceci d'autant plus que les relations entre magistrats et élus semblent difficiles et à reconstruire, voire à construire.
La juridiction doit également accueillir en septembre 10 nouveaux magistrats répartis entre le siège et le parquet. Ce renfort nécessaire est bienvenu. Il pose cependant quelques difficultés : il n'existe à l'heure actuelle pas de place pour accueillir ces nouveaux magistrats, ni d'équipe de greffe pour leur permettre de faire leur travail.
La situation du greffe est d'ailleurs particulièrement difficile. Pour faire face au manque de greffiers, des personnels contractuels sont engagés. Mais la durée de leurs contrats et le fait qu'ils soient encouragés à passer les concours impliquent que les autres personnels passent leur temps à former des nouveaux arrivants qui partent au bout de quelques mois. Il en est malheureusement de même avec les nouveaux personnels sortis d'école, qui restent peu de temps dans une juridiction jugée difficile. Le directeur de greffe nous a décrit un véritable phénomène d'épuisement lié à la gestion de cette situation. Il a également souligné le problème du niveau initial de ces personnels.
C'est dans ce cadre contraint que les magistrats doivent exercer leurs missions. Si nous avons concentré notre stage sur la matière pénale, nous avons aussi eu à coeur d'aborder la matière civile dans nos entretiens et pu constater que le délai d'audiencement des affaires est de plusieurs mois voire de plusieurs années, ce qui prive parfois les décisions de toute portée pratique pour les plaignants.
En matière pénale, le niveau de violence et de criminalité à Marseille rend particulièrement difficile la situation des parquetiers et magistrats du siège en matière criminelle. Ils font face à une multiplicité d'actes isolés mais aussi à l'action de la criminalité organisée, singulièrement en matière de narcotrafic et de proxénétisme. Les magistrats nous ont fait part de tensions importantes avec la police sur la gestion des affaires et la réponse pénale. Le nombre d'enquêtes ouvertes dans les commissariats, la qualité des procédures de police judiciaire, et en amont même celle des procès-verbaux suscite l'inquiétude du parquet.
Face à ces enjeux, l'implication des magistrats et des greffiers que nous avons vus en action force l'admiration. Que ce soit les magistrats du parquet ou les juges des enfants, leur implication dans les dossiers, leur attachement au fait de prendre la meilleure décision mais aussi la volonté pédagogique d'explication de la loi et des règles qui sont les leurs montrent la qualité de notre magistrature. Or la justice n'a ni les moyens ni les personnels qualifiés suffisants. Il faut le reconnaître et lui donner les moyens de fonctionner.