La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, M. Mathieu Darnaud, M. Stéphane Le Rudulier, Mme Lana Tetuanui, M. Jean-Pierre Sueur, Mme Marie-Pierre de La Gontrie et M. Teva Rohfritsch, comme membres titulaires, et de Mme Catherine Di Folco, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, Mme Marie Mercier, M. Hervé Marseille, M. Jérôme Durain, M. Jean-Yves Roux et Mme Éliane Assassi comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2021-1605 du 8 décembre 2021 étendant et adaptant à la fonction publique des communes de Polynésie française certaines dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.
Mes chers collègues, nous sommes douze à avoir participé à un « stage d'immersion » en juridiction entre septembre 2021 et juin 2022. Nous avons sollicité à cet effet six tribunaux judiciaires du groupe 1, c'est-à-dire des tribunaux avec un contentieux important et diversifié : Paris, Lyon, Rouen, Lille, Marseille et Bordeaux. L'initiative du Sénat a été fortement appréciée par les chefs de juridiction ainsi que les directeurs de greffe, qui nous ont accueillis avec enthousiasme et sympathie. Le format d'une immersion sur deux jours, propre au Sénat, a été salué par nos interlocuteurs.
La rencontre, sur le terrain, entre sénateurs, magistrats et fonctionnaires de justice apparaissait d'autant plus nécessaire compte tenu du contexte actuel, marqué par une expression publique inédite des magistrats témoignant des difficultés de l'administration de la justice dans notre pays. L'idée d'une immersion en juridiction est née au moment de l'Agora de la justice que nous avons organisée au Sénat le 27 septembre 2021 et qui a mis en lumière la nécessité de restaurer un climat de confiance entre la justice et le reste de la société.
Ces stages avaient pour objectif de prendre connaissance des conditions de fonctionnement de la permanence du parquet, et d'assister à des audiences au pénal et de comprendre les conditions de fonctionnement de la justice aux affaires familiales, et le cas échéant d'assister à des audiences de cabinet, au civil. Plus généralement, il s'agissait de percevoir le fonctionnement concret de la juridiction et notamment de l'activité des services de greffe, trop souvent oubliée et pourtant essentielle à la bonne marche de l'institution.
Je crois que la situation de sous-effectif, tant en magistrats qu'en greffiers, est commune à toutes les juridictions. Les difficultés liées à l'informatique aussi, et nous les connaissons ici très bien ! Le décalage entre les annonces du ministère de la justice et la réalité sur le terrain est d'ailleurs patent.
Vous allez chacun pouvoir témoigner de vos constats et de vos réflexions sur le fonctionnement de ces juridictions, mais je souhaitais au préalable évoquer trois des séquences les plus notables de mon immersion au tribunal judiciaire de Lyon et au tribunal de proximité de Villeurbanne, en mars dernier.
Notre entretien avec le service de l'instruction a été fort intéressant sur les effets concrets des dispositions législatives que nous votons : elles peuvent parfois constituer des freins à une justice diligente. Les juges d'instruction nous ont expliqué comment le contentieux de la détention provisoire pouvait emboliser les cabinets d'instruction, notamment au moment de la grève des avocats, en 2021, par la multiplication des demandes de remise en liberté ou d'actes supplémentaires, juste avant les délais de clôture, ce qui entraîne un rallongement des procédures. Les juges d'instruction nous ont fait des propositions intéressantes pour cantonner les demandes de mise en liberté en allongeant, par exemple, le délai de traitement accordé aux juges d'instruction et de la liberté et de la détention.
Cet exemple met en exergue la problématique centrale que nous avons à nous poser à chaque réforme de la justice et plus spécifiquement de la procédure pénale : comment concilier la protection des libertés, à laquelle le Sénat est traditionnellement très attaché, avec l'objectif de bonne administration de la justice. Il nous faut trouver le bon équilibre et ces échanges très concrets et directs avec les juridictions peuvent nous y aider.
Autre échange intéressant, celui que nous avons eu avec le service du juge des libertés et de la détention. Ce juge qui avait à l'origine une vocation claire sur le plan pénal, celle d'autoriser les mesures privatives de liberté, a connu un accroissement très important du contentieux qui lui est confié sans bénéficier, pour autant, de moyens supplémentaires pour remplir son office. Il faut reconnaître qu'il est devenu la référence dès lors qu'il est question de restriction ou privation de liberté. Le dernier contentieux en date, celui de la contention et de l'isolement lors d'une hospitalisation sans consentement, que le législateur lui a confié suite à deux censures du Conseil constitutionnel, leur pose question : ils ne voient pas la plus value qu'ils peuvent apporter compte tenu des conditions dans lesquelles ils rendent les décisions. Ces interrogations pragmatiques sur la pertinence de cette intervention doivent pouvoir être prises en compte.
Dernier point, le rôle social de la justice. Si cela peut sembler une évidence, cela était tout à fait frappant au tribunal de proximité de Villeurbanne, lors des audiences des juges des tutelles ou du tribunal sur le surendettement auxquelles j'ai pu assister. J'ai pu mesurer à quel point la masse de ce contentieux du quotidien pesait sur le greffe du tribunal, très organisé, et sur les magistrats, très mobilisés.
Je cède désormais la parole à ceux d'entre vous qui ont participé à ces stages.
J'ai participé au stage en immersion au tribunal judiciaire de Rouen. Je connaissais déjà le fonctionnement de l'institution judiciaire, ayant présidé en 2016 la mission pluraliste de la commission des lois sur le redressement de la justice. Je remarque d'ailleurs que certaines des conclusions prometteuses des états généraux de la justice s'inspirent du rapport d'information « Cinq ans pour sauver la justice ! » que nous avions adopté à l'issue de ce travail de contrôle approfondi.
Pour autant, cette expérience a été extrêmement enrichissante car j'ai pu regarder par le trou de la serrure le fonctionnement de la justice. À la permanence du parquet, j'ai assisté à un échange téléphonique entre une magistrate et un officier police judiciaire. Elle a cadré les échanges pour faire en sorte que la procédure ne soit pas viciée. Le policier, pourtant très respectueux de la justice, s'en est agacé. Si ce cadrage n'avait pas eu lieu, il n'aurait pas pu y avoir de poursuites. Une heure plus tard, l'officier de police judiciaire a présenté le résultat de son enquête. La magistrate a voulu mettre sous écrous un individu qui, un an auparavant, avait fait l'objet d'une plainte de sa conjointe. L'enquête n'avait pas été faite. Il a fallu un an pour boucler l'affaire. J'étais alors convaincu du bien fondé de la décision prise par la magistrate du parquet.
L'après-midi, dans le bureau de la juge des libertés et de la détention, je pensais que la décision serait confirmée mais la magistrate du siège, après s'être plongée dans le dossier, a choisi de laisser l'individu en liberté. Elle m'en a donné les raisons et j'ai fini par me rallier à sa position.
Je tire plusieurs enseignements de cet épisode. D'abord, la justice n'est pas si mal faite car elle repose sur des magistrats remarquables. Mais elle est parfois soumise à des dysfonctionnements ; en l'occurrence, l'enquête aurait en effet dû être bouclée il y a un an. La justice est humaine car l'individu n'avait pas fait l'objet de nouveaux signalements depuis ces faits et il était devenu le père d'un bébé dont il aurait été privé s'il avait été placé en détention. La juge des libertés et de la détention a pris le recul nécessaire pour ne pas céder au réflexe répressif.
La justice s'immisce dans l'intimité des gens dans les affaires de divorce et de garde des enfants. Les couloirs du tribunal judiciaire ressemblent parfois à la cour des miracles. J'ai vu toute la misère du monde s'exprimer, notamment en comparution immédiate. Toute cette matière humaine terriblement exposée est prise en charge par la justice qui est submergée par les difficultés de la société. Les avocats, pas toujours au niveau, ne maîtrisent pas toujours les dossiers et les magistrats sont parfois agacés et submergés de travail. Mais la justice trouve en elle-même le recul nécessaire pour appliquer le droit avec rigueur tout en pétrissant cette pâte humaine. Les greffiers et les magistrats sont des gens confrontés à de grandes difficultés et à la saturation du prétoire. Il exercent des métiers de vocation. Tout comme aux urgences hospitalières, la justice fait ce qu'elle peut pour faire face et répondre aux pathologies de la société.
Mes chers collègues, je ne saurais que vous inciter à participer aux futurs stages en immersion qui permettent de toucher du doigt cette réalité très difficile. Il y a urgence à traiter les difficultés de la justice pour notre société.
J'ai visité le tribunal judiciaire de Paris qui, étant le plus grand tribunal de France, présente de nombreuses spécificités. Laurence Harribey et moi-même y avons été parfaitement accueillies. Nous avons pu observer le déroulement de la justice civile, mais aussi assister aux audiences de comparution immédiate et à la permanence du parquet qui gère les appels des officiers de police judiciaire. À cette occasion, j'ai constaté, comme Philippe Bas, que les magistrats du parquet étaient les garants des procédures et cadraient les échanges avec la police pour assurer le respect du cadre juridique.
J'ai constaté que le niveau des avocats, souvent commis d'office, était très hétérogène. Faute de temps, les juges, tant en comparution immédiate qu'aux affaires familiales, découvrent les dossiers au fur et à mesure et n'ont donc pas suffisamment de recul pour prendre leurs décisions. Cela provoque des renvois qui pourraient être évités.
Nous avons par ailleurs consacré une demi-journée à la question des problèmes informatiques, ce qui a été l'occasion, pour moi, d'approfondir ma compréhension des dysfonctionnements du logiciel Cassiopée. Je comprends mieux pourquoi les greffiers et les magistrats n'arrivent pas à se passer de Word Perfect : Cassiopée est lié à de nombreux fichiers, et il faudrait réécrire toutes ces liaisons pour pouvoir se passer de Word Perfect.
Cette visite m'a permis de comparer la situation du tribunal judiciaire de Paris à celle du tribunal judiciaire d'Auxerre dans mon département de l'Yonne. Je me suis rendu compte de la nécessité de renforcer le lien entre la police et la justice. Nous manquons d'officiers de police judiciaire tant au sein de la police que de la gendarmerie, ce qui entraîne un ralentissement de l'ensemble de la procédure judiciaire. Le ministère de l'intérieur fait également face à des difficultés informatiques dont on nous dit qu'elles seront totalement résolues par le passage à la procédure pénale numérique. Je n'y crois pas une seule seconde. La gendarmerie, d'ailleurs, s'est désolidarisée du déploiement de cette procédure. Cela entraîne une vraie souffrance pour les équipes qui sont obligées de bricoler des solutions.
Enfin, ce stage en immersion m'a permis de constater que, sur le terrain, les « sucres rapides », c'est-à-dire les emplois temporairement créés à l'initiative du garde des sceaux, n'ont pas permis de fluidifier le travail de la justice. Recruter demande du temps et les contractuels, entre temps, ont souvent trouvé mieux ailleurs. Ces personnels supplémentaires n'ont souvent pas pu trouver leur place dans les services.
Je vais à présent vous rendre compte du stage que Jérôme Durain et moi-même avons eu l'opportunité d'effectuer au sein du tribunal judiciaire de Paris les 7 et 8 mars 2022.
Je tiens en tout premier lieu à saisir l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous pour remercier l'ensemble des équipes du tribunal judiciaire, à commencer par son président Stéphane Noël et la procureure de la République, Laure Beccuau, pour la qualité de l'accueil qui nous a été réservé. Si ce stage en immersion s'est avéré si riche, nous le devons en grande partie à la disponibilité des équipes du tribunal, qui ont su présenter avec une grande ouverture leur activité quotidienne et ses difficultés. Ces échanges à bâtons rompus avec les acteurs très divers qui font vivre la juridiction au quotidien ont été un réel privilège.
Comme vous le savez chers collègues, le tribunal judiciaire de Paris fait, parmi les juridictions du pays, figure d'exception. Hors-normes par le nombre et la diversité des affaires qu'elle doit traiter, la juridiction se distingue tant par les défis auxquels elle est confrontée que par l'organisation qu'elle a retenue, largement pensée pour répondre à ceux-ci.
En premier lieu, la compétence du tribunal judiciaire s'avère particulièrement étendue. Comme nous l'a rappelé le président Noël, au-delà de ses compétences de droit commun, le tribunal judiciaire de Paris dispose, d'une part, de compétences inter-régionales en matière de criminalité organisée et d'infractions économiques et financières complexes, d'affaires de santé publique, ou d'accidents collectifs et, d'autre part, de compétences nationales en des matières telles que les crimes contre l'humanité et crimes de guerre, les crimes et délits commis hors du territoire par les membres des forces armées françaises, les affaires de corruption ou de fraude fiscale ou, enfin, de terrorisme. Cette spécificité se traduit par la présence exceptionnelle de quatre parquets au sein du tribunal judiciaire de Paris : le parquet de Paris, sous l'autorité de la procureure de la République ; le parquet national anti-terrorisme (PNAT), le parquet national financier (PNF), ainsi que le parquet européen.
En second lieu, au-delà de leur diversité, les affaires traitées par le tribunal judiciaire se caractérisent par leur nombre : il constitue ainsi le premier des 164 tribunaux français en nombre annuel d'affaires traitées. Nous avons à cet égard pu constater l'ampleur du service d'accueil unique des justiciables (SAUJ), qui mobilise un nombre important d'agents de greffe.
L'organisation de la juridiction a naturellement été pensée pour répondre au défi que représente cette spécificité. La juridiction mobilise ainsi un nombre important de personnels, dont 516 magistrats au total, et des moyens conséquents dont le symbole demeure le bâtiment abritant le tribunal, largement critiqué par ses principaux usagers pour son défaut de fonctionnalité et ses diverses malfaçons. La juridiction s'organise au surplus selon des modalités spécifiques, permises ou rendues nécessaires par la volumétrie des affaires qu'elle traite : à titre d'exemple, la permanence « P12 » du parquet de Paris pratique le rappel à la loi par déferrement, présenté comme innovant à l'échelle des autres juridictions françaises.
Je voudrais témoigner du fait que, dans un tribunal, on est confronté à toute la misère du monde. Assistant à une audience de comparutions immédiates, j'ai été marquée par ce prévenu qui était jugé une fois de plus pour avoir frappé ses parents, chez qui il habite. Lorsque le juge lui a demandé pourquoi il restait vivre chez ses parents, il a affirmé qu'il ne pouvait faire autrement. C'était manifestement un individu qui aurait mérité de bénéficier de soins psychiatriques de longue durée.
Jugée privilégiée à certains égards, l'organisation du tribunal judiciaire de Paris n'en est pas moins confrontée à certaines difficultés propres : un turn-over important, notamment au sein du greffe qui connaît un taux de vacance de postes de l'ordre de 10 %, en raison du coût de la vie en région parisienne et du défaut d'accompagnement de la chancellerie ; l'inapplicabilité à la juridiction parisienne de certaines expérimentations : à titre d'illustration, l'expérimentation d'une nouvelle gestion des scellés, concluante dans des juridictions de petite taille, n'a pas fait ses preuves au tribunal judiciaire de Paris, comme nous l'a indiqué la directrice du greffe.
Pour autant, la visite de la délégation a également été l'occasion de renouveler certains constats généralement faits au sein de l'ensemble des juridictions françaises.
Comme Esther Benbassa, je souhaite remercier chaleureusement les chefs de juridiction et les personnels qui nous ont accueillis pendant ces deux jours d'immersion au tribunal judiciaire de Paris. Je crois que nous devons continuer à nous imprégner de l'expérience et des remarques de ces professionnels.
La juridiction parisienne n'échappe malheureusement pas à certaines difficultés plus habituellement rencontrées au sein des tribunaux judiciaires de notre pays. De ce qu'il nous a été donné de voir, elles s'articulent principalement autour de deux questions : l'inflation normative, d'une part, et la lancinante question des moyens accordés à la justice, d'autre part, notamment pour se doter d'outils informatiques performants.
En premier lieu, l'ensemble des acteurs rencontrés ont appelé à une modération normative, y compris de la part du législateur. Si les magistrats ont salué l'oeuvre constructive à laquelle peut procéder le législateur, s'agissant par exemple de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou, en matière de tutelles, de l'habilitation familiale, certaines innovations législatives ont été mises en question par les magistrats rencontrés. Il en est ainsi allé de la suppression au 1er janvier 2023 du rappel à la loi, prévue par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire. La disparition de cette mesure, qui constituait un outil couramment mobilisé par les magistrats au sein de la palette de la procédure pénale, au profit de l'avertissement pénal probatoire, semble conçue comme génératrice d'incertitude pour les magistrats du parquet rencontrés. Plus généralement, la complexité des procédures, dont les temporalités diffèrent souvent, tendent à compliquer le travail des magistrats.
En second lieu, sans nécessairement remettre en cause sur le fond des modifications législatives, les personnels rencontrés ont émis des réserves et critiques sur les modalités concrètes de leur conduite. À titre d'exemple, la pratique de réformes sans étude d'impact préalable, notamment par le biais de propositions de loi, a été perçue comme particulièrement problématique. Par ailleurs, la capacité des juridictions à contribuer efficacement à d'éventuelles études d'impact, antérieures ou postérieures à l'adoption d'une mesure, est gravement obérée par l'absence d'outils statistiques fiables et partagés entre les juridictions.
Par ailleurs, sans surprise, la visite de notre délégation a été l'occasion pour ses personnels de déplorer, à tous les échelons, le manque de moyens dont pâtit la juridiction parisienne, qui demeure confrontée à plusieurs anomalies. En matière de ressources humaines, la juridiction pourrait gagner en attractivité. Le ratio entre magistrats du parquet et du siège, d'environ un pour deux, témoigne d'un nombre insuffisant de magistrats du siège, un ratio normal pour une juridiction de cette taille devant se situer aux alentours d'un pour trois magistrats. S'agissant des services du greffe, l'attractivité de la juridiction gagnerait également à être renforcée notamment par un accompagnement social de la part de la chancellerie ; il peut ainsi paraître anormal que la construction de logements pour le personnel n'ait pas été prévue dans le cadre du partenariat public-privé ayant permis la construction du tribunal...
Par ailleurs, les services rencontrés par la délégation font état d'une très grave dégradation des conditions de travail des personnels en raison de systèmes d'information structurellement défaillants. En matière civile, les logiciels de suivi de la procédure ne sont pas harmonisés à l'échelle nationale et le ministère ne fournit pas nécessairement de consigne pour la migration de données d'un logiciel à l'autre. Certains logiciels ont été développés il y a plus de 30 ans et ne sont plus mis à jour ; ainsi en va-t-il de TUTI, le logiciel utilisé par le service des tutelles, dont la base de données est aujourd'hui saturée. Dans ces conditions, la mise en service annoncée mais sans cesse repoussée du logiciel Portalis est accueillie avec une vive circonspection par les personnels concernés. Au surplus, les nombreux dysfonctionnements informatiques empêchent de progresser sur la question de la dématérialisation des dossiers. Le service des tutelles, par exemple, est d'ores et déjà contraint de réquisitionner des bureaux pour stocker des dossiers.
Souvent décrit comme une juridiction privilégiée, le tribunal judiciaire de Paris n'en demeure pas moins confronté à des défis de taille, tenant à sa spécificité mais également à la situation propre à l'ensemble des juridictions françaises. Il nous revient désormais, forts du tableau que nous aurons brossé dans le cadre de nos divers stages, de prêter un regard particulièrement attentif au fonctionnement des juridictions de notre pays, au service des justiciables.
J'ai effectué mon stage en immersion les 4 et 5 avril au tribunal judiciaire de Lille. Les chefs de juridiction et les personnels ont fait part de leur gratitude à l'égard de notre commission des lois pour cette initiative. Ils ont particulièrement apprécié qu'un sénateur d'un autre département que celui du Nord s'intéresse à leur juridiction.
Cette juridiction a une activité pénale très lourde, notamment car elle a dans son ressort le port du Havre qui est un très important point d'entrée de stupéfiants en provenance de l'Amérique latine, et le Calaisis avec toutes ses problématiques de traite d'êtres humains liées au passage des migrants en Grande-Bretagne. Elle est également en pointe sur la cybercriminalité car l'hébergeur OVH est implanté à Roubaix.
Du point de vue de la délinquance du quotidien, c'est un « bassin de délinquance dynamique », selon l'expression de la procureure de la République, avec un nombre très important d'infractions liées aux stupéfiants. C'est un phénomène que l'on retrouve dans toutes les régions frontalières. Le parquet travaille au quotidien, dans le cadre des groupes locaux de prévention de la délinquance pour apporter des réponses localisées en coopération avec les bailleurs sociaux et éviter que des quartiers soient aux mains des trafiquants. Avec la difficulté toutefois que les réseaux se reconstituent très rapidement... Nous connaissons aussi ce phénomène à Marseille. Sauf changement dans la composition de leur famille, les locataires se voient refuser pas leurs bailleurs sociaux un logement dans un quartier plus tranquille. Il faut à tout prix éviter ces zones de non-droit.
Sur le plan civil, l'activité est également soutenue, le ressort comportant les sièges sociaux de très grandes entreprises telles La Redoute, le groupe Mulliez, Bonduelle, ce qui amène des contentieux en droit social, droit de la consommation ou même droit de la construction.
Une autre caractéristique du ressort est que le département du Nord est le plus peuplé de France, avec une population très jeune, souvent dans des situations de grande précarité, en échec scolaire ou au chômage, ce qui entraîne de nombreuses interventions des juges des enfants. Certains mineurs ont déjà à leur actif de nombreuses infractions commises en état alcoolique ou sous l'emprise de stupéfiants.
Comme tous les tribunaux de France, Lille est très mobilisé pour lutter contre les violences intrafamiliales. Le tribunal a cependant pour originalité d'accueillir en son sein des associations d'aide aux victimes, ce qui favorise leur prise en charge.
Un effort important a été fait pour fluidifier la chaîne de traitement de ces dossiers dès le signalement : les situations de violence intrafamiliales sont mieux détectées et évaluées dès la plainte. Les médecins du CHU de Lille sont incités à utiliser les possibilités que leur offre le code pénal pour révéler les faits et le conseil de l'ordre semble prêt à faire également évoluer les pratiques des médecins libéraux.
J'ai pu assister en comparution immédiate au jugement d'une affaire particulièrement édifiante en la matière où toute la famille était depuis une dizaine d'années sous l'emprise du père et minimisait l'importance des violences subies, par la mère principalement, mais également par la belle-mère et la fille. Aucune des victimes n'étaient d'ailleurs présentes ni représentées, à l'exception de la fille mineure représentée par un mandataire ad hoc. Cette affaire était l'illustration du déni et de la banalisation des faits de violences intrafamiliales que l'on peut constater chez les voisins et chez certaines victimes elles-mêmes.
J'ai assisté à une audience du tribunal pour enfants. Des jeunes étaient jugés pour des faits de vol en réunion avec effraction remontant à 2014 et étaient tous majeurs depuis de nombreuses années. Vous imaginez que les questions du président pour reconstituer les évènements ne recevaient que des réponses assez évasives. Par ailleurs, on peut douter du sens d'une sanction huit ans après l'infraction.
En matière de contentieux sur le droit des étrangers, j'ai pu constater que la préfecture de Lille est systématiquement représentée à l'audience, ce qui permet à l'étranger d'entendre les raisons pour lesquelles son maintien sur le territoire n'est pas souhaité.
S'agissant, pour terminer, du fonctionnement de la juridiction, nos interlocuteurs ont souligné l'importance des contractuels dont l'aide a été précieuse pour réduire tant les délais d'instruction que le nombre de dossiers en stock. Les chefs de juridiction et le directeur de greffe souhaitent que cette aide apportée à la juridiction soit pérennisée en donnant à ces contractuels un statut de droit commun. Enfin, un nouveau tribunal doit être construit, qui doit remplacer l'actuel, qui date de la fin des années 1970. Or il s'avère que la juridiction elle-même n'a pas été véritablement consultée sur ses besoins en amont du projet, qui se caractérisera par une baisse de superficie au profit de la juridiction. L'absence d'un véritable dialogue entre l'administration centrale (l'APIJ notamment) et les acteurs de terrain qui font fonctionner la juridiction au quotidien est pour le moins critiquable. Quel sera l'intérêt de cette opération s'il faut à terme louer des locaux complémentaires ?
La situation du tribunal judiciaire de Marseille, où je me suis rendu, montre bien les paradoxes de la situation dans laquelle se trouve notre justice aujourd'hui. Une justice à laquelle on demande énormément mais qui a besoin de reconnaissance et qui se sent incomprise et négligée. Une justice à laquelle on commence à donner des moyens humains mais qui attend toujours des moyens structurels et qui le vit mal.
L'accueil qui nous a été réservé par le président et la procureure générale, le directeur de greffe et l'ensemble des magistrats et personnels a été particulièrement attentif, avec le souhait de nous faire comprendre les difficultés quotidiennes auxquelles les magistrats et personnels sont confrontés.
J'ai pu voir l'action des parquets, les déferrements, l'action des juges des enfants, la permanence assurée par les procureurs. Outre les responsables de la juridiction, nous nous sommes entretenus avec la présidente de l'une des chambres criminelles et des représentants des syndicats des magistrats et des personnels de greffe.
Ils ont fait le constat unanime des difficultés de ressources humaines et des problèmes matériels, dont les problèmes informatiques dont nous avions déjà connaissance, mais aussi en matière de locaux, qu'ils rencontrent au quotidien pour exercer leurs missions.
Situé au coeur de Marseille et donc objectivement difficile à rejoindre du fait de l'encombrement de la circulation, le tribunal judiciaire se situe sur trois bâtiment : le bâtiment historique récemment rénové, un bâtiment construit dans les années 1980 et ayant indéniablement mal vieilli, et un troisième bâtiment loué à proximité.
Malgré cette extension, le tribunal manque toujours de salles d'audience. Cette archipélisation ne facilite ni le quotidien des magistrats et personnels du tribunal, ni surtout celui des justiciables, et pose en outre de nombreux problèmes pour sécuriser les locaux. Les difficultés immobilières sont particulièrement pesantes sur le quotidien et aucune solution n'est facile. Le rachat récent d'une ancienne caserne militaire par le ministère de la justice, outre qu'il crée encore un nouveau lieu éloigné des autres, se heurte à l'ampleur des travaux nécessaires pour réhabiliter un bâtiment non entretenu pendant plusieurs années.
En février, le Garde des Sceaux a promis une nouvelle cité judiciaire à Marseille sur un site unique de plus de 40 000 m² et qui ouvrirait ses portes en 2028. Le président du tribunal judiciaire est fortement mobilisé sur ce projet dont la réalisation reste toutefois très hypothétique. Outre les réticences locales à laisser le tribunal quitter le centre ville, il s'agit de trouver le foncier nécessaire, ce qui ne sera pas chose facile. Ceci d'autant plus que les relations entre magistrats et élus semblent difficiles et à reconstruire, voire à construire.
La juridiction doit également accueillir en septembre 10 nouveaux magistrats répartis entre le siège et le parquet. Ce renfort nécessaire est bienvenu. Il pose cependant quelques difficultés : il n'existe à l'heure actuelle pas de place pour accueillir ces nouveaux magistrats, ni d'équipe de greffe pour leur permettre de faire leur travail.
La situation du greffe est d'ailleurs particulièrement difficile. Pour faire face au manque de greffiers, des personnels contractuels sont engagés. Mais la durée de leurs contrats et le fait qu'ils soient encouragés à passer les concours impliquent que les autres personnels passent leur temps à former des nouveaux arrivants qui partent au bout de quelques mois. Il en est malheureusement de même avec les nouveaux personnels sortis d'école, qui restent peu de temps dans une juridiction jugée difficile. Le directeur de greffe nous a décrit un véritable phénomène d'épuisement lié à la gestion de cette situation. Il a également souligné le problème du niveau initial de ces personnels.
C'est dans ce cadre contraint que les magistrats doivent exercer leurs missions. Si nous avons concentré notre stage sur la matière pénale, nous avons aussi eu à coeur d'aborder la matière civile dans nos entretiens et pu constater que le délai d'audiencement des affaires est de plusieurs mois voire de plusieurs années, ce qui prive parfois les décisions de toute portée pratique pour les plaignants.
En matière pénale, le niveau de violence et de criminalité à Marseille rend particulièrement difficile la situation des parquetiers et magistrats du siège en matière criminelle. Ils font face à une multiplicité d'actes isolés mais aussi à l'action de la criminalité organisée, singulièrement en matière de narcotrafic et de proxénétisme. Les magistrats nous ont fait part de tensions importantes avec la police sur la gestion des affaires et la réponse pénale. Le nombre d'enquêtes ouvertes dans les commissariats, la qualité des procédures de police judiciaire, et en amont même celle des procès-verbaux suscite l'inquiétude du parquet.
Face à ces enjeux, l'implication des magistrats et des greffiers que nous avons vus en action force l'admiration. Que ce soit les magistrats du parquet ou les juges des enfants, leur implication dans les dossiers, leur attachement au fait de prendre la meilleure décision mais aussi la volonté pédagogique d'explication de la loi et des règles qui sont les leurs montrent la qualité de notre magistrature. Or la justice n'a ni les moyens ni les personnels qualifiés suffisants. Il faut le reconnaître et lui donner les moyens de fonctionner.
Au tribunal judiciaire de Marseille, nous avons entendu les plaintes des magistrats à propos de l'inflation législative causée par le vote de lois d'émotion qui viennent alourdir le code de procédure pénale. Ils ont aussi fait part de leur inquiétude quant aux dernières évolutions législatives sur le recours à l'isolement et à la contention avec la saisine obligatoire du juge des libertés et de la détention afin de maintenir ces mesures au delà d'une certaine durée.
Le parquet a un rôle essentiel pour rendre les procédures robustes juridiquement. Compte tenu de ce rôle primordial dans de nombreuses affaires, il serait opportun que la réforme constitutionnelle garantissant l'indépendance du parquet aboutisse.
Comme en témoignait tout à l'heure Philippe Bas, tous les dysfonctionnements de la société remontent jusqu'aux tribunaux. Il faut insister sur l'importance de relations fortes avec les élus de terrain, dans l'indépendance de chacun.
Nous avons assisté à une audience d'un juge d'application des peines. Nous avons besoin d'une justice humaine, même imparfaite, qui ne peut-être remplacée par l'intelligence artificielle.
Nous avons pu constater le manque de moyens alloués à la justice dont les réponses apportées, notamment pénales, sont soit trop lentes, soit improvisées lorsqu'il s'agit de comparutions immédiates. Les juges d'instruction sont en charge de 120 dossiers, ce qui est problématique. Certaines affaires civiles sont actuellement audiencées en 2025.
Pour conclure, je dirais qu'il faut s'interroger sur la place occupée par la lutte contre les stupéfiants qui mobilise de nombreuses forces de sécurité et de magistrats alors même que 10 % de la population est consommatrice. Une réflexion est à mener sur ce sujet.
J'ai participé, avec Éric Kerrouche et Guy Benarroche au stage d'immersion au tribunal de Bordeaux. Nous y avons été très bien accueillis. Nos interlocuteurs nous ont partagé leur sentiment d'être incompris et de constituer le dernier rempart contre certains phénomènes de société.
Par son activité, le tribunal de Bordeaux se situe au huitième rang au niveau national : en 2021, il a traité 105 500 procédures en matière pénale et a rendu 28 169 décisions en matière civile. Son ressort couvre la plus grande partie du département de la Gironde, deuxième département le plus étendu de France, et rassemble une population d'environ 1,5 million d'habitants. Le tribunal emploie un peu plus de 500 personnes. L'activité de la juridiction connaît une augmentation régulière du fait d'abord de l'accroissement de la population de la métropole bordelaise : 13,7 % entre 2008 et 2018, soit trois fois plus que la moyenne nationale.
Cette évolution démographique s'est accompagnée d'une hausse de la délinquance violente et des atteintes aux personnes, qui ont augmenté de 17 % en zone police entre 2019 et 2020. La hausse est particulièrement sensible en ce qui concerne les violences sexuelles (28 % en zone gendarmerie et 37 % en zone police) et les homicides et les tentatives d'homicides. En conséquence, le nombre de plaintes et de procès-verbaux enregistrés en 2021 par le parquet de Bordeaux a crû de 18,3 % par rapport à l'année précédente. En matière civile, les renforts accordés à la juridiction au travers du plan d'action pour la justice de proximité ainsi que les réformes législatives concernant les procédures de divorce et de surendettement ont permis de stabiliser l'activité. Le contentieux de l'exécution des décisions civiles et le contentieux civil du juge des libertés et de la détention connaissent toutefois une forte hausse.
Par ailleurs, les interlocuteurs de la délégation ont beaucoup insisté sur le manque de moyens : effectifs insuffisants, outils informatiques obsolètes et locaux trop exigus. Concernant les effectifs, les critiques ont d'abord porté sur le nombre insuffisant de magistrats, dont le rythme de travail est soutenu et les journées parfois très longues. Un juge aux affaires familiales ne doit pas consacrer plus d'un quart d'heure d'audience à chaque dossier s'il veut tenir les délais. Les audiences de comparution immédiate se terminent parfois très tard. La procureure de la République considère qu'il faudrait affecter un magistrat supplémentaire au service de traitement direct (STD) majeurs et un autre au STD mineurs pour que les conditions de travail deviennent plus satisfaisantes. L'École nationale de la magistrature va accueillir dans les prochaines années des promotions particulièrement importantes, ce qui permet d'envisager à moyen terme l'arrivée de renforts dans les tribunaux. Le manque de personnel paraît encore plus criant s'agissant des greffiers. Des postes de greffiers ou d'agents administratifs restent vacants, le coût du logement à Bordeaux rendant la juridiction peu attractive pour ces personnels. Les contractuels qui ont été recrutés depuis deux ans ont renforcé les équipes mais les juristes assistants ont davantage aidé les magistrats à traiter des questions juridiques complexes qu'à réduire le stock d'affaires en souffrance. Se pose maintenant la question de leurs perspectives de carrière. Des contractuels de catégorie C, recrutés pour un an, dont le contrat arrivait à échéance en juin ne savaient toujours pas, au moment de notre visite au mois de mai, s'ils allaient être renouvelés.
Le fonctionnement de la juridiction dépend finalement beaucoup du professionnalisme et de l'engagement des magistrats et des greffiers qui ne comptent pas leurs heures. Cette situation crée une véritable souffrance au travail ; la directrice des services de greffe l'a même qualifiée de « maltraitance institutionnelle ». Des pistes de réflexion ont été évoquées par les chefs de juridiction : augmenter le nombre de juges placés, ce qui donnerait plus de souplesse au niveau de la cour d'appel pour répondre aux besoins d'une juridiction ; mieux anticiper l'évolution des besoins dans les territoires dans lesquels la démographie est dynamique. À cette situation délétère s'ajoute, sans surprise, des difficultés liées à des outils informatiques obsolètes.
Par ailleurs, le tribunal judiciaire de Bordeaux est pénalisé par le manque d'ergonomie de son site principal situé sur l'îlot judiciaire qui abrite également la Cour d'appel, le conseil de prud'hommes, le tribunal de commerce et l'école nationale de la magistrature. Le Palais Rogers, construit en 1998 par l'architecte Richard Rogers, créateur avec Renzo Piano du Centre Pompidou, est ambitieux sur le plan esthétique mais peu fonctionnel et sous-dimensionné. Les locaux du Palais Rogers ne permettant pas d'accueillir l'ensemble des services, le tribunal judiciaire s'étend sur trois autres sites, ce qui entraîne des difficultés de coordination. Malgré la dispersion des sites, le tribunal judiciaire ne dispose pas suffisamment d'espace pour répondre à ses besoins. Une prospection immobilière a donc été lancée pour rechercher de nouveaux locaux destinés à accueillir une partie des services civils, dans un contexte de forte augmentation des prix de l'immobilier dans l'agglomération.
Enfin, les magistrats du parquet ont attiré notre attention sur la surpopulation préoccupante de la maison d'arrêt de Gradignan. Son taux d'occupation atteint 230 % et risque d'atteindre 250 % dans les prochains mois, contre une moyenne de 117 % au niveau national. Une nouvelle prison, comptant deux fois plus de places, devrait cependant ouvrir ses portes en 2023.
L'observation du travail des magistrats a permis de mieux comprendre les procédures parfois complexes qu'il leur revient de mettre en oeuvre. Dans le champ pénal, la permanence parquet recourt largement aux alternatives aux poursuites et à la composition pénale, qui permettent d'éviter la tenue d'une audience de jugement, ainsi qu'à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), qui fait intervenir le juge du siège uniquement pour homologuer la peine. Les affaires simples pour lesquelles les faits ne sont pas contestés sont jugées en comparution immédiate dans des délais extrêmement rapides, qui laissent peu de temps à l'avocat pour préparer la défense de son client. La plupart des prévenus pourtant ne demandent pas le report de leur jugement, préférant être fixés immédiatement sur leur sort. La procureure de la République a souligné qu'un dossier correctionnel comporte beaucoup de procès-verbaux qui ne sont pas véritablement utiles au déroulement de l'enquête mais visent à respecter le formalisme de la procédure, ce qui décourage les officiers de police judiciaire. Si beaucoup d'affaires sont traitées rapidement, les dossiers à l'instruction peuvent attendre des années avant d'être jugés. Une juge d'instruction a indiqué que sa procédure la plus ancienne avait été ouverte en 2012. Le respect scrupuleux du contradictoire conduit les greffiers à multiplier les actes qui ont pour objet d'informer les parties de chaque mesure prise par le juge d'instruction.
Concernant la justice des mineurs, l'entrée en vigueur du nouveau code a doublé le nombre d'audiences et conduit à la coexistence entre deux procédures, ce qui a beaucoup compliqué la tâche des juges des enfants. La protection judiciaire de la jeunesse peine à mettre en place les mesures éducatives et à évaluer l'évolution du mineur dans les délais prévus par les textes.
Les deux journées d'immersion ont également permis de mesurer à quel point le juge des libertés et de la détention est devenu un véritable « couteau suisse », tant les dossiers qu'il traite sont variés : contrôle judiciaire ou détention provisoire en matière pénale, prolongation de rétention administrative, et depuis peu contentieux de l'isolement et de la contention dans le cadre des hospitalisations psychiatriques sans consentement. Les magistrats nous ont expliqué que cela avait entraîné une surcharge de travail inutile puisqu'ils allaient rarement à l'encontre de l'avis des médecins. Le Conseil constitutionnel a estimé nécessaire, pour sauvegarder la liberté individuelle, de prévoir que le maintien au-delà d'une certaine durée de ces mesures d'isolement ou de contention devait être soumis au contrôle du juge judiciaire. La loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique a confié au juge des libertés et de la détention le contrôle de ces mesures, avec l'obligation de statuer dans un délai de 24 heures. Il en a résulté une explosion de ce contentieux, passé de 178 affaires en 2021 à 528 affaires entre janvier et mai 2022 ! Les magistrats ont déploré que l'accroissement de ce contentieux ne se soit pas accompagné de moyens supplémentaires. Ils ne perçoivent pas la « valeur ajoutée » du contrôle qu'ils exercent, limité à la vérification du respect des délais et des formalités prescrits par le code de la santé publique. On ne peut cependant exclure que le renforcement du contrôle du juge des libertés et de la détention ait permis de mettre un terme à des abus ou des dérives, ce que les magistrats ne sont pas forcément en position d'apprécier depuis la position qui est la leur.
En conclusion, les professionnels rencontrés ont souligné que des réformes législatives trop fréquentes compliquent leur tâche, d'autant que l'intendance ne suit pas : les applicatifs métiers ne sont pas à jour quand les changements entrent en vigueur et la charge de travail en découle n'est pas évaluée de manière réaliste. Ils ont donc adressé au législateur un souhait de stabilité et l'envie d'une pause dans les réformes.
Ce stage d'immersion m'a permis de mesurer les difficultés générées, dans certains cas spécifiques, par la mise en oeuvre de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Il est en effet difficile de faire comprendre au mis en cause que la décision proposée par le parquet peut n'est pas être homologuée par le juge qui la trouve trop sévère. La conséquence immédiate de cette décision est que la personne mise en cause peut être placée en détention provisoire en attendant son audience correctionnelle. Je ne remets évidemment pas en cause le bien fondé de cette procédure qui est utile et très souvent utilisée mais je m'étonne des effets induits qu'elle peut générer.
J'ai aussi pu constater, sur le terrain, que le fonctionnement de la justice dépend essentiellement du professionnalisme et de l'engagement des greffiers qui ne comptent par leurs heures et qui ne sont pas rémunérés à la hauteur de leur travail. La justice, l'hôpital et l'école sont les piliers de notre société. Sans cet engagement, tout peut craquer à n'importe quel moment. Peut-on accepter, dans notre société, une situation pareille ? Non, c'est pourquoi nous faisons des efforts pour essayer de trouver une solution. Il est temps de mener une véritable réflexion sur la manière dont l'État traite ces éléments essentiels de notre vivre ensemble qui sont mis à mal.
J'ai constaté, lors de ce stage, un double défaut de planification. D'une part, le Palais Rogers est très beau architecturalement mais pas du tout adapté aux besoins de la justice. Il s'agit d'une performance architecturale qui nuit à l'efficacité du service public.
À cette première difficulté s'ajoute un deuxième constat, celui de deux courbes qui divergent : celle, d'une part, des effectifs du tribunal judiciaire et celle, d'autre part, de la croissance démographique de son ressort géographique qui entraîne une augmentation de l'activité délictuelle.
Le tribunal judiciaire fonctionne malgré tout grâce à la force de l'engagement des jeunes magistrats, notamment au service de traitement direct, qui subissent un rythme de travail très important. C'est d'ailleurs très impressionnant à voir. En définitive, la justice s'appuie sur la bonne volonté des personnels mais jusqu'à quand cette situation peut-elle perdurer ? Le pays connaît de fortes évolutions sociales en ce moment. Se dessine, dans notre société, la recherche d'une autre relation au travail. Ce qui était accepté jusque-là ne le sera sans doute plus.
J'ai enfin assisté à une audience de comparution immédiate qui a été longuement interrompue du fait de difficultés techniques et de procédures rencontrées par les greffiers, trop peu nombreux. Le recrutement à venir dans le cadre de l'École nationale de la magistrature ne pourra pas générer un renforcement des effectifs à court terme. En attendant, l'institution, déjà fragilisée tant humainement que par ses outils informatiques obsolètes, se retrouve dans une situation délicate. Je dresse donc le même constat que mes collègues : il est urgent de donner à l'institution judiciaire les moyens nécessaires pour exercer sa mission.
Je remercie les collègues qui ont pris l'initiative de suivre ces stages. Leurs témoignages correspondent à ce que j'ai vécu dans ma vie professionnelle au tribunal judiciaire de Lille. Cette juridiction s'inscrit dans un bassin de population très marqué par les violences intrafamiliales. Les magistrats devraient donc être recrutés localement pour avoir cette connaissance fine du terrain.
J'ai travaillé toute ma vie à la faculté et j'aurais voulu que le lien soit plus étroit entre les universités qui doivent former les futurs magistrats et les besoins locaux des territoires. J'ai le souvenir qu'à Lille, un magistrat avait dit que les enfants étaient trop souvent placés en famille d'accueil. Il était déterminé à changer les choses mais s'est vite rendu compte qu'on ne pouvait pas faire autrement. Le département du Nord est très touché par le phénomène des mineurs isolés. La justice n'a donc plus les moyens de s'occuper des mineurs victimes de violences et les foyers d'accueil sont saturés.
L'intérêt de ces stages, c'est de mobiliser cette connaissance du terrain à l'occasion de l'examen des prochains textes qui toucheront l'institution judiciaire. Au mois de septembre, Jean-Marc Sauvé viendra présenter les conclusions du rapport du comité des états généraux de la justice devant la commission des lois, puis nous organiserons des stages d'immersion dans des plus petites juridictions.
Mes chers collègues, nous sommes saisis, dans le cadre de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, de la candidature de M. Bruno Lasserre, candidat présenté par le Président de la République pour présider la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). M. Lasserre prendrait ainsi la suite de M. Jean-Luc Nevache, que nous avions entendu en juillet 2020 pour ces mêmes fonctions.
Comme vous le savez, c'est à l'initiative du Sénat que la nomination du président de la CADA est soumise à la procédure de l'article 13.
Je rappelle que la CADA est une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté d'accès aux documents administratifs. Elle rend des avis lorsqu'elle est saisie par un citoyen qui se voit opposer un refus d'accès, et elle conseille les administrations. Depuis sa création en 1978, l'institution a vu ses missions évoluer à travers le développement du numérique et de l'open data. La réutilisation des données publiques, désormais également de sa compétence, soulève de nouveaux enjeux économiques ainsi que sur le plan des libertés publiques.
Cette autorité administrative indépendante est soumise à une augmentation du nombre de ses saisines. En 2021, celles-ci se sont élevées à 8 417 dossiers alors qu'elles étaient relativement stables depuis 2017 - environ 7 000 dossiers - et même en légère baisse en 2019 et 2020, pour des raisons que nous pouvons imaginer. Cette augmentation pose la question de l'appropriation, par les administrations, de la doctrine de la CADA alors même que cette autorité fournit, sur son site internet, des dispositifs d'information qui leur sont destinés : rappel des règles applicables, fiches thématiques selon le type de document concerné - urbanisme, santé, budget, comptes des collectivités territoriales -, simulateur sur le caractère communicable d'un document.
À cet égard, la CADA connaît un phénomène, en expansion, de « requêtes multiples ». Il s'agit de requêtes émanant de journalistes ou d'organisations non gouvernementales (ONG) adressées conjointement à de multiples administrations. Selon son rapport d'activité de 2021, la Commission a reçu l'an dernier seize séries de demandes représentant à elles seules 15 % du total des demandes reçues.
Enfin, lorsque la CADA notifie un avis favorable au demandeur et à l'administration en cause, cette dernière est tenue d'informer la Commission, dans un délai d'un mois, de la suite qu'elle entend donner à cet avis. Or ce taux de réponse, constant depuis plusieurs années, n'est que de 61,5 %. De plus, parmi ces réponses, seules 70 % font part d'une intention de suivre l'avis favorable, même partiellement. Ce taux est en baisse constante depuis cinq ans.
C'est donc une institution bien ancrée dans le paysage institutionnel et juridique français, mais qui connaît un certain nombre de défis.
Pour présider son collège, dont les membres sont nommés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale, le Président de la République envisage de nommer M. Lasserre, qui présente un profil proche de celui de son prédécesseur, celui d'un haut fonctionnaire à forte compétence juridique.
M. Lasserre est en effet conseiller d'État, et il a même été, de mai 2018 à janvier 2022, le vice-président du Conseil d'État, à la suite de Jean-Marc Sauvé. Il y a fait une grande partie de sa carrière, mais il a aussi fait un long passage au Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence : de 1998 à 2004 comme membre du collège, puis de 2004 à 2016 comme président de cette Autorité.
M. Lasserre est, depuis février dernier, président de la Commission des participations et des transferts (CPT).
La question qui nous est posée est celle de savoir si le « profil » de M. Lasserre est compatible avec les fonctions de président de la CADA, et l'objet de l'audition de ce jour est de nous en assurer.
Au vu des états de service de M. Lasserre, il me semble indéniable qu'il est suffisamment familier des procédures administratives pour que nous n'ayons pas de doute sur son appréhension de l'objet et des enjeux d'une institution comme la CADA. Reste la question, que certains d'entre vous ne manqueront pas d'évoquer, des poursuites pénales pour harcèlement moral dont il fait l'objet, pour des événements survenus lorsqu'il était président de l'Autorité de la concurrence. La presse s'en est fait l'écho, chacun sait de quoi il s'agit.
Le parquet a demandé le renvoi devant la juridiction pénale de M. Lasserre au début du mois de juillet, non pour infraction directe mais pour complicité. Sur ce point, il me semble qu'il faut que la procédure se poursuive de son côté, sans qu'elle hypothèque à elle seule la candidature de M. Lasserre.
Une fois que la justice aura tranché, il reviendra à M. Lasserre d'en tirer les conséquences, le cas échéant. Toutefois, à mon sens, il serait prématuré de tirer des conclusions définitives de la demande du parquet pour la procédure de nomination qui nous concerne, d'autant que cette affaire date de 2014 et qu'entretemps M. Lasserre a pu occuper utilement des fonctions de vice-président du Conseil d'État sans que cela ait posé de difficultés particulières.
J'ajoute enfin que j'ai reçu, comme nous tous, semble-t-il, un courrier d'un particulier, qui se présente comme étant lanceur d'alerte et plaignant, et nous demande de ne pas voter en faveur de la nomination de M. Lasserre. N'ayant pas la possibilité d'assurer un débat contradictoire sur le sujet, j'émets par principe les plus grandes réserves à l'égard de ce type de document.
Je vous remercie, monsieur le président, d'avoir fait état de nos interrogations concernant les procédures dont M. Lasserre fait l'objet. Il en existe en effet une deuxième qui n'a pas donné lieu à une mise en examen. Il s'agit d'une plainte déposée par le vice-président du tribunal administratif de Paris.
Je précise par ailleurs que l'affaire que vous avez mentionnée a entraîné une condamnation de l'État pour faute lourde. Elle n'est donc pas le fruit du délire d'un plaignant quelconque.
La question qui me préoccupe est celle des conséquences éventuelles de cette situation sur l'image de la CADA, qui est une institution respectée. Je ne partage donc pas votre avis à ce sujet.
Je vous propose à présent d'accueillir M. Lasserre.
(M. Lasserre est introduit dans la salle de commission)
Monsieur Lasserre, nous sommes saisis, dans le cadre des dispositions de l'article 13 de la Constitution, de votre candidature, candidat proposée par le Président de la République, pour présider la Commission d'accès aux documents administratifs. Si vous étiez nommé avec l'aval du Parlement, vous prendriez ainsi la succession de M. Jean-Luc Nevache.
Je rappelle que cette nomination ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et ouverte à la presse. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Les délégations de vote ne sont pas autorisées et le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale.
En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Comme je le disais ce matin devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, la présente audition constitue un moment important, non seulement pour vérifier que le candidat proposé présente les mérites requis par le poste auquel il se destine, mais aussi pour les candidats eux-mêmes. C'est en effet devant la représentation parlementaire que l'on réfléchit à ses priorités et au mandat qui nous serait confié.
Cette rencontre est d'autant plus importante que le Parlement, et le Sénat en particulier, a joué un rôle fondamental dans l'instauration de la liberté d'accès aux documents administratifs. La loi du 17 juillet 1978 est en effet entièrement d'initiative parlementaire. Elle a été portée et adoptée par l'Assemblée nationale et le Sénat, contre l'avis du Gouvernement de l'époque.
Cette loi, conçue et adoptée d'une manière inédite, dessinait de façon généreuse les contours d'une nouvelle transparence. Je salue notamment le travail mené par le sénateur Jacques Thyraud, qui en a été l'un des principaux artisans. Comme il le soulignait lui-même, cette loi marquait l'entrée dans l'ère du contrôle citoyen, qui s'ajoutait aux contrôles hiérarchique et politique, ainsi que l'avènement d'une société fondée sur la considération et la confiance, et non sur le soupçon.
Cette loi nouvelle m'a immédiatement intéressé. J'ai d'ailleurs été rapporteur de la CADA en 1979, puis rapporteur général. C'était un véritable combat. L'administration affirmait en effet qu'elle n'appliquerait pas cette loi, dont elle n'avait pas voulu. Il a donc fallu faire oeuvre de pédagogie, surmonter les résistances, ce à quoi j'ai pris beaucoup d'intérêt. J'ai d'ailleurs accepté d'assurer par suppléance la présidence de la CADA en cas d'indisponibilité du président à mon retour au Conseil d'État.
J'y ai laissé un peu de mon coeur et serais très heureux, étant à la retraite depuis janvier, de pouvoir me consacrer de nouveau à cette cause. Tous les espoirs de cette loi n'ont pas été remplis. La transparence a certes fait du chemin, mais le paysage n'est pas parfait. Le seul fait que la CADA statue sur environ 8 500 demandes d'accès non satisfaites et prononce seulement 12 % d'avis défavorables sur les demandes reçues montre l'étendue des progrès à réaliser. Les administrations craignent notamment que les documents demandés ne soient utilisés contre elles. La société de la transparence et de la confiance n'a pas encore été apprivoisée par tous.
Permettez-moi d'expliquer les priorités qu'il conviendrait de développer à la tête de la CADA si le mandat m'en était confié.
Certains points peuvent tout d'abord être améliorés, qui ne dépendent pas uniquement de la CADA. Il faut notamment développer l'open data. L'ouverture des données publiques imposée par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique est loin d'être effective, de nombreuses collectivités n'ayant pas encore engagé ce chantier. L'absence de publication de nombreuses données oblige les citoyens à demander l'accès à des documents qui devraient être en accès libre. De plus, les répertoires des documents détenus par les administrations ne sont pas, pour beaucoup, mis à la disposition du public, ou sont incomplets.
Les personnes responsables de l'accès aux documents administratifs (Prada), chargées d'accompagner les décideurs publics et de servir d'interface avec le public, ne sont en outre pas toujours désignées dans les administrations et les collectivités.
Il y a donc beaucoup à faire. S'ajoutent à cela les délais qui ne sont pas toujours compatibles avec les besoins, marqués par une certaine urgence, de ceux qui souhaitent accéder à tel ou tel document - en cas de scandale sanitaire ou environnemental, par exemple. Aux délais nécessaires pour obtenir une réponse de l'administration concernée, puis requis par la saisine de la CADA en cas de refus s'ajoute en effet le délai de traitement des saisines, qui est de 82 jours en moyenne, encore loin du délai d'un mois fixé par la loi. De remarquables efforts ont néanmoins été fournis pour réduire ce délai, qui était encore de 182 jours en 2020.
Si l'administration ne suit pas l'avis de la CADA, un nouveau combat s'ouvre pour le citoyen concerné qu'il ne peut porter que devant le tribunal administratif.
Il demeure donc un long combat à mener. Des signes positifs sont toutefois à noter. Par la conviction dont elle fait preuve dans ses avis favorables, la CADA arrive souvent à surmonter les obstacles rencontrés par les citoyens. Elle est parvenue ainsi à conduire le Gouvernement à décider d'ouvrir intégralement à la consultation les cahiers citoyens du grand débat national organisé dans le cadre de la crise des gilets jaunes, après le refus opposé à un journaliste souhaitant y accéder. La CADA a en effet jugé irréalisable une anonymisation de l'ensemble des données privées contenues dans ces cahiers, et estimé que la liberté d'informer commandait de faire prévaloir le droit d'accès sur la protection du secret.
Par ailleurs, la demande d'accès aux documents administratifs change de nature. Au départ, les citoyens souhaitaient surtout avoir accès aux dossiers individuels les concernant, dans une approche précontentieuse, pour comprendre certaines décisions qui leur étaient opposées. Or depuis quelques années, le droit à la transparence est utilisé par de nouvelles forces - militants, journalistes, ONG, lanceurs d'alerte, chercheurs - qui utilisent ce droit pour investiguer et contrôler l'action publique, et l'emploient donc d'une façon plus conforme à l'esprit dans lequel il a été construit, à la décision du Conseil constitutionnel d'avril 2020 qui a constitutionnalisé ce droit en tant qu'auxiliaire de la démocratie et de la liberté d'émettre et de recevoir des informations, ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'homme et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Inspirée par la jurisprudence européenne et par celle du Conseil d'État, la CADA se trouve poussée à mettre davantage en balance les intérêts en présence dans le traitement de ses saisines. Elle se demande ainsi dans quel but et quel contexte les documents sont demandés, quel est le sens de la démarche, et si celle-ci risque de porter atteinte à des intérêts protégés. Cette mise en balance a été particulièrement manifeste au Conseil d'État même, lorsqu'il a fallu traiter la demande d'un chercheur d'accéder aux archives personnelles du président François Mitterrand relatives aux événements du Rwanda alors que le délai requis pour leur consultation n'était pas écoulé. Le Conseil d'État a jugé que l'intérêt de la recherche devait en l'occurrence primer la protection du secret.
J'en viens aux priorités qui seraient les miennes si j'étais nommé à la tête de la CADA.
Il faut porter la cause de la transparence et faire vivre l'équilibre voulu par le législateur de 1978 dans la société d'aujourd'hui, plus numérique, qui produit davantage de documents. Ma priorité majeure sera donc de faire vivre cet équilibre, y compris en interprétant, au cas par cas, les secrets protégés par la loi, et en n'hésitant pas, au-delà des avis individuels, à publier des lignes directrices, à guider l'administration, et à faire de la prévention pour réduire autant que possible le nombre de refus d'accès injustifiés.
La deuxième priorité est d'aller plus vite dans le traitement des saisines. La CADA ne rassemble cependant que dix-sept emplois, et dispose d'un budget assez faible, de 1,5 million d'euros. Si l'on peut se réjouir de la faiblesse de ce montant pour la sobriété de la dépense publique, il semble insuffisant compte tenu du nombre de saisines reçues. Une revalorisation des moyens est sans doute nécessaire. Il faudra toutefois explorer tous les moyens d'agir par la prévention des refus d'accès et la pédagogie préalable.
La troisième priorité est d'investir résolument dans le numérique. De nouveaux sujets surgissent en effet, comme l'accès aux codes sources, aux algorithmes et aux programmes informatiques qui commandent de plus en plus les décisions prises par l'administration. La CADA y travaille de plus en plus. Saisie de plusieurs demandes d'accès aux algorithmes du logiciel Parcoursup, elle a ainsi rendu des avis intéressants dans lesquels elle fait prévaloir la nécessité de la transparence, ces éléments commandant les décisions individuelles prises par le logiciel. Toutefois, elle se montre aussi attentive à la protection de la sécurité des systèmes d'information, et s'interroge sur les risques d'utilisation malveillante potentiellement induits par la révélation de telle ou telle faille ou insuffisance.
Je pense qu'il faut toujours préférer la transparence à l'obscurité, et dire la vérité plutôt que de cacher des failles éventuelles. La CADA a d'ailleurs joué un rôle actif pour convaincre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche de la nécessité de réparer, au préalable, les failles pour garantir la sûreté du système Parcoursup.
Enfin, une autre priorité est de ne pas rendre uniquement des avis depuis Paris, mais d'animer un réseau territorial. Les administrations et les collectivités doivent désigner des responsables en leur sein, chargés d'accompagner les décideurs publics. Or ce réseau des personnes responsables n'est pas vraiment animé. Elles sont livrées à leur libre arbitre une fois nommées, sans avoir le sentiment d'avoir été formées ni même informées des évolutions de la doctrine de la CADA.
Je compte aller davantage sur le terrain, rencontrer les responsables publics, et animer ce réseau pour faire vivre la loi sur le terrain et faire en sorte que la garantie de l'accès aux documents administratifs soit effective et ressentie comme telle.
Je ne m'étendrai pas sur mon parcours antérieur, que vous connaissez. J'ai servi l'État durant quarante-quatre ans. Je n'ai jamais quitté le service de l'État depuis que j'y suis entré le 1er janvier 1976. J'ai toujours décliné les propositions qui ont pu m'être faites de rejoindre le secteur privé. Je n'ai pas voulu non plus m'engager sur le plan politique, en dépit des propositions que j'ai reçues en ce sens, et ai refusé également d'entrer dans des cabinets ministériels, car j'ai voulu fonder ma carrière sur la compétence, l'indépendance et l'impartialité.
À présent que je dispose de plus de temps, je souhaite m'engager de nouveau en faveur de la cause de la transparence et lui consacrer toute mon énergie et mon expérience, en me tenant prêt, bien sûr, à revenir devant vous pour rendre compte de mon action.
Nous sommes tous informés de la demande de renvoi devant le tribunal correctionnel dont vous faites l'objet. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur une démarche de l'autorité judiciaire. Cependant, cette situation ne risque-t-elle pas d'avoir des effets sur l'institution que vous pourriez être amené à présider ?
Par ailleurs, n'est-il pas étonnant, à 68 ans, alors que vous vous trouvez à la retraite après avoir atteint la limite d'âge en vigueur dans la haute fonction publique, de prendre la présidence d'une institution comme la CADA, qui ne dispose pas de limite d'âge ?
La CADA semble parfois regretter de ne pas disposer de procédure permettant d'accélérer les temps de réponse des administrations. Avez-vous déjà fait le bilan des outils procéduraux dont elle dispose pour surmonter les refus de communication et pensez-vous formuler des propositions de modifications sur ce point ?
Par ailleurs, j'ai découvert récemment la place prise dans la gestion des établissements de l'éducation nationale par un indice de position sociale (IPS), élaboré par des sociologues au sein du ministère et dont il est impossible de connaître la configuration. Cet indice détermine les choix d'attribution de certains moyens, voire d'orientation des élèves. Il est établi à partir de la situation individuelle, intime, de chaque famille. Or lorsque j'ai demandé à l'administration du ministère de l'éducation nationale comment il était fabriqué, on m'a renvoyé vers un article paru dans une revue de sociologie dans lequel l'auteur principal du système justifiait son existence, mais qui ne permettait pas d'en comprendre les modalités de calcul.
Je crois que la CADA a été récemment saisie de cette question, ce qui démontre une certaine détermination à faire de la rétention d'informations du côté du ministère de l'éducation nationale.
Lorsqu'une administration ne se soumet pas à un avis de la CADA, les juridictions administratives traitent, le cas échéant, les demandes de recours. Comment aborderez-vous ce nouveau rôle compte tenu de celui que vous avez assuré au Conseil d'État sur ce même type de dossier ?
S'agissant de la procédure judiciaire en cours, c'est l'image de l'institution qui nous intéresse, non votre situation personnelle. L'instruction se poursuit, néanmoins l'État a été condamné pour faute lourde dans cette affaire. De plus, à l'occasion de l'affaire Mathieu Gallet, en 2018, le Conseil d'État a lié le principe d'exemplarité des dirigeants publics à l'objectif de confiance des administrés, et souligné l'importance des enjeux de déontologie et de moralisation de la vie publique.
Il y a là un point délicat par rapport à la proposition de nomination dont vous faites l'objet, ce type d'affaire pouvant apparaître comme n'ayant pas grande importance, puisqu'elle n'empêche pas un haut fonctionnaire de poursuivre une carrière prestigieuse. Comment vivez-vous cela ? Si vous deviez être condamné, quelle serait votre décision ? Comment rendez-vous cela compatible avec l'exigence que vous avez manifestée sur la qualité de votre service ?
J'ai présidé l'Autorité de la concurrence pendant douze ans, de 2004 à 2016. Je suis venu à trois reprises devant le Parlement pour défendre le mandat qui m'a été confié par trois Présidents de la République successifs. Il me semble que j'avais alors obtenu l'unanimité, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. J'ai beaucoup développé cette institution, en n'hésitant pas à affronter des intérêts puissants. Plusieurs milliards d'euros de sanctions ont ainsi été prononcés à l'égard d'entreprises pour l'organisation, par exemple, de cartels secrets.
L'affaire que vous évoquez est née de méthodes de management mises en oeuvre au sein du service juridique de cette institution, qui dépend du président. Au cours de ma présidence, trois chefs de service juridique se sont succédé. Pendant sept ans, tout s'est bien passé, puis est arrivé le chef de service accusé à titre principal de harcèlement moral, auquel a succédé un troisième chef de service avec lequel tout s'est bien passé.
En septembre 2019, alors que j'étais vice-président du Conseil d'État, j'ai été mis en examen par deux juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris pour complicité de harcèlement moral. On a alors confondu les choses, et il a été dit sur les réseaux sociaux que je harcelais mon personnel. Or personne ne soutient dans ce dossier que j'ai agi de manière malveillante envers qui que ce soit. On ne me reproche pas des agissements caractérisés de harcèlement moral, mais l'on me reproche, en tant que président et dans l'exercice de mes pouvoirs de direction de l'Autorité de la concurrence, de ne pas avoir mis fin plus tôt aux fonctions de la personne mise en cause. Ce n'est pas mon intégrité qui est mise en question, ni le respect des règles des marchés publics - comme dans l'affaire Gallet -, mais la façon dont j'ai présidé cette institution, ainsi que le retard que j'aurais pris, en tant qu'employeur, à mettre fin aux fonctions du chef de service concerné.
Je réfute entièrement cette analyse. J'ai été informé de la situation à la fin du mois de janvier 2013 par le médecin de prévention, après avoir d'ailleurs pris les devants et l'avoir appelé moi-même, sachant qu'il souhaitait me contacter. Il a alors fait état de corrections multiples et inutilement vexatoires pratiquées par ce chef de service. J'ai réuni dès le lendemain le service juridique et les syndicats pour comprendre ce qu'il se passait. Puis a eu lieu, quelques jours plus tard, une réunion du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), au cours de laquelle un audit a été demandé, principe que j'ai soutenu. Cet audit a été conduit par une société extérieure pour permettre aux agents de s'exprimer librement.
Dans les huit jours ayant suivi la remise du rapport de cette société qui faisait état d'un management toxique et disqualifiant, j'ai mis fin aux fonctions du chef de service. La personne concernée par les faits de harcèlement évoqués a ensuite été retrouvée morte à son domicile, quelques mois plus tard. Sa famille réfute le terme de suicide. Cette affaire m'a bouleversé, comme de nombreuses autres personnes au sein de l'institution.
Je réfute énergiquement l'idée même de complicité. Je l'ai d'ailleurs dit, par écrit, aux membres et aux agents du Conseil d'État ainsi qu'aux syndicats et aux présidents de tribunaux administratifs et de cours administratives d'appel. Dès que j'en ai été informé, j'ai fermement condamné les méthodes de management pratiquées, que je n'ai ni mises en place ni demandées. La meilleure preuve du fait que je me suis désolidarisé immédiatement de ces méthodes est que j'ai mis fin aux fonctions du chef de service concerné. Le terme de complicité est donc injuste, inexact, et contraire à la chronologie des faits. Je continuerai à contester fermement cette affirmation.
J'ai quarante-quatre ans de service de l'État à mon actif. Or personne n'affirme que j'ai manqué de respect à qui que ce soit dans toutes les fonctions que j'ai occupées, où je me suis attaché systématiquement à impulser des réformes.
La meilleure preuve du fait que je peux faire face à cette accusation et au risque d'un procès sans entamer ma sérénité et mon indépendance est que, lorsque j'ai pris les devants et annoncé moi-même ma mise en examen, avant que la presse n'en fasse état, j'ai reçu un soutien massif au sein du Conseil d'État.
Il est à noter que, pendant les quatre années de ma vice-présidence, alors que ce dernier a été fortement mobilisé au cours de la crise sanitaire, durant laquelle il a dû examiner de nombreux textes en moins de deux ou trois jours, le baromètre social établi en son sein n'a jamais montré une adhésion aussi forte au management qui y est pratiqué. Une étude extérieure a en effet montré que plus de 90 % de ses membres et agents considéraient que le Conseil d'État avait été bien managé pendant cette période et faisaient preuve de leur adhésion, y compris à mon égard. Nous n'avons jamais autant fait en matière de dialogue social et de signatures d'accords en faveur de l'égalité professionnelle. Je suis fier de ce bilan social.
Je ferai donc face à l'accusation qui m'est présentée, que je conteste, car je la considère comme inexacte, injuste et non conforme aux faits. Je vis cette épreuve comme elle survient, mais j'y ferai face, et cela n'entamera en rien mon énergie ni la confiance que peut placer le public dans un responsable d'autorité administrative.
Si la confiance qui m'est accordée n'a pas été entamée lorsque j'étais vice-président du Conseil d'État, je vois mal comment cette accusation pourrait entamer la confiance accordée à une autorité comme la CADA.
Par ailleurs, la loi ne prévoit effectivement pas de limite d'âge pour la présidence de cette institution. Dites-moi néanmoins si je vous parais diminué ou presque gâteux ! La CADA a été par le passé présidée tant par des personnes à la retraite que par des personnes en activité, et dans les deux cas cela a bien fonctionné. Il me semble difficile de me faire un procès en incapacité au motif que j'ai 68 ans. Je ne suis pas en état de dire que je n'ai pas l'énergie et la santé requises pour porter des ambitions à la tête de cette institution.
Il ne me semble pas souhaitable d'aller plus loin dans les outils dont dispose la CADA, notamment pour lui donner un pouvoir d'injonction forçant l'administration à suivre ses avis. La transparence doit être en effet d'abord l'affaire des administrations. Il est important qu'elles prennent les décisions elles-mêmes. Elles ne doivent pas se défausser sur une autorité indépendante, mais être responsables de la transparence. Or un pouvoir d'injonction donnerait aux avis de la CADA une force obligatoire, et ils seraient alors susceptibles de recours. La CADA devrait donc se défendre devant la juridiction administrative à la place des administrations. Compte tenu des faibles moyens dont elle dispose, je ne crois pas que cela lui rendrait service. Elle doit être en effet un pédagogue, non décider à la place des administrations.
J'en viens à la question relative à l'IPS. Dès lors que le ministère de l'éducation nationale trie des informations pour mesurer la position sociale des familles, ces dernières ont le droit de connaître les méthodes et les algorithmes employés pour ce faire. La règle devrait donc être l'ouverture et la publicité. La CADA s'est d'ailleurs prononcée en ce sens.
Le Conseil d'État est juge suprême s'agissant de la communicabilité des documents administratifs. Sa jurisprudence fournit des orientations en la matière, et inspire d'ailleurs les avis de la CADA. Il n'y a donc pas là, pour moi, de contradiction. Connaître la jurisprudence du Conseil d'État me semble plutôt constituer un avantage.
La Commission des participations et des transferts, que vous présidez, gère des informations spécifiques couvertes par des protections légales touchant au droit des affaires. Comment prévoyez-vous de recevoir, en tant que président de la CADA, des critiques ou des demandes émanant d'observateurs ou de forces économiques sur une position prise au sein de la CPT ?
La Commission des participations et des transferts est le nouveau nom donné à la Commission de la privatisation instaurée en 1986 pour évaluer de manière indépendante les actifs cédés par l'État, via des participations ou des cessions de gré à gré. Elle rend des avis, qui lient l'administration sur un prix plancher en deçà duquel telle ou telle entreprise ne peut être vendue par l'État ou par une entreprise publique. De nombreuses informations confidentielles lui sont communiquées. Si des demandes d'accès à ces informations étaient présentées, je ne siégerais pas en tant que président de la CADA. De même, je ne siégerais pas en tant que président si le moindre conflit d'intérêts se présentait avec des fonctions que j'aurais occupées par le passé.
Instruit des faits qui ont été évoqués tout à l'heure, quels outils mettriez-vous en oeuvre en tant que président de la CADA pour éviter qu'ils ne se reproduisent ?
La CADA est une petite institution, où les rapports sont très confiants. Pour avoir présidé de nombreuses institutions, je n'ai jamais eu la réputation d'un tyran. Je crois être assez proche des gens, ma porte est ouverte. J'essaie d'emmener les équipes avec moi pour impulser des réformes. Chaque fois que la République m'a confié un mandat, j'ai d'ailleurs été l'artisan de transformations profondes, et je l'ai toujours fait en association non seulement avec les parties prenantes, mais avec l'ensemble du personnel.
Je crois aux méthodes de management reposant sur la confiance, l'écoute et la simplicité des rapports. Le personnel de la CADA n'a d'ailleurs aucune inquiétude à ce sujet.
Je vous remercie de votre présence et des informations que vous nous avez données.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
L'audition de M. Bruno Lasserre étant achevée, nous allons maintenant procéder au vote.
Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.
Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Bruno Lasserre aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs, simultanément à celui de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de l'Assemblée nationale.
Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 24
Bulletins blancs : 3
Bulletins nuls : 0
Suffrages exprimés : 21
Pour : 10
Contre : 11
Agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale, le résultat est le suivant :
Nombre de votants : 76
Bulletin blanc : 4
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 72
Seuil des trois cinquièmes : 44
Pour : 42
Contre : 30
La commission donne un avis défavorable à la nomination, par le Président de la République, de M. Bruno Lasserre, aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs.
La réunion, suspendue à 12 h 20, est reprise à 14 h 15.
Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid 19.
EXAMEN DE LA MOTION
Exception d'irrecevabilité
Je suis défavorable à la motion n° 70 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 70 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité au projet de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Article 1er
Nous proposons de supprimer les alinéas 4 à 15, car nous ne sommes pas favorables à la prolongation jusqu'au 30 juin 2023 du système d'information SI-DEP.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 39.
Après l'article 1er
L'amendement n° 37 semble irrecevable en application de l'article 41 de la Constitution.
La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 37 en application de l'article 41 de la Constitution.
Article 2
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 28 rectifié.
J'émets un avis défavorable à l'amendement n° 68, mais favorable à l'amendement n° 66. Par ailleurs, je suis défavorable aux amendements identiques n° 7, 30 rectifié, 38 et 62.
La Haute Autorité de santé (HAS) a une fonction institutionnelle dans le domaine de l'épidémiologie. La nouvelle instance qui remplacera le conseil scientifique sera plus adaptée pour évaluer le mécanisme de contrôle sanitaire des personnes en provenance de l'étranger. Comme nous sommes tous d'accord - pour une fois ! - pour respecter l'avis du Conseil d'État sur le caractère réglementaire de cette instance, il est compliqué de l'introduire dans la loi.
Cela va être un choc, mais nous voterons cet amendement, qui est pertinent.
Mon amendement n° 7 vise à exclure les mineurs de moins de 18 ans de l'exigence de présenter un certificat sanitaire de voyage. La Défenseure des droits a rappelé que les restrictions de liberté doivent s'apprécier en considération de l'âge des personnes, d'autant que les mineurs ne font pas partie des populations à risque de développer une forme grave du covid. Dès lors, pourquoi leur imposer des restrictions d'accès au territoire ?
Vous êtes tous d'accord pour accepter le transfert de la mission de la HAS vers la nouvelle structure scientifique dont la composition sera déterminée par décret.
Concernant la question des 12-18 ans, le seul critère que je retiens est celui du risque de contagion, qui est identique entre un adulte et un mineur de 12 à 18 ans. Il ne serait donc pas pertinent de demander un test préalable à l'embarquement aux seuls majeurs, car cela n'a pas de sens médical.
Avis favorable à l'amendement n° 65, de même qu'à l'amendement n° 55, sous réserve de rectification. L'amendement n° 65 prévoit la possibilité de recourir au certificat sanitaire de voyage pour les déplacements depuis les territoires ultramarins en cas d'apparition d'un variant préoccupant, ainsi que la consultation de l'exécutif et des parlementaires de la collectivité concernée avant toute application du dispositif.
Je rectifierai mon amendement pour le rendre identique à celui de mon collègue.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 65, de même qu'à l'amendement n° 55, sous réserve de rectification.
N'est-il vraiment pas possible de réintroduire soit le résultat négatif de l'examen de dépistage virologique, soit un justificatif du statut vaccinal, soit un certificat de rétablissement ? Telle était pourtant au départ votre position. Nous craignons que cela ne pose problème dans l'application de la loi.
Notre position a évolué, à l'image de celle du rapporteur.
Pendant deux ans, nous avons défendu le triptyque : justificatif du statut vaccinal, certificat de rétablissement ou résultat d'un test négatif. Même si le passe sanitaire n'est plus en vigueur, nos concitoyens ont toujours en tête ce triptyque. Si nous considérons aujourd'hui que seul un test négatif sera valable, je crains que nous ne prenions collectivement une responsabilité politique déraisonnable. Nos concitoyens pourraient en déduire que la vaccination n'a pas la même valeur que le fait de justifier d'un test négatif, ce qui mettrait à mal notre politique d'incitation à la vaccination pour des raisons de santé publique. Qui plus est, cela est de nature à renforcer la conviction de certains que le certificat de vaccination ne présente pas d'intérêt.
En l'état, je vous le dis de manière très directe, monsieur le président, monsieur le rapporteur, nous ne pourrons pas vous suivre en séance publique. La vivacité de la réaction de nos collègues socialistes hier matin nous a incités à débattre de ce sujet lors de notre réunion de groupe et nous a conduits à présenter un amendement.
Si nous voulons que le texte aboutisse, cela suppose que nous suivions la position du rapporteur. Au regard de la composition de l'Assemblée nationale, c'est la méfiance à l'égard de l'obligation vaccinale qui met en balance le vote de ce texte. Surtout, sur le plan sanitaire, c'est le résultat d'un examen de dépistage virologique qui est pertinent. Même si l'on est vacciné, on peut être porteur du virus. Je défendrai, par esprit confraternel, un amendement visant à rétablir le justificatif de statut vaccinal. Mais si nous voulons que le texte soit adopté in fine, il faudra sans doute le retirer.
Pour dire les choses simplement, le Sénat était favorable au vaccin. Il est donc curieux de défendre cette position, sachant que le conseil scientifique a de nouveau plaidé en faveur du vaccin. Ne devrions-nous pas maintenir à ce stade le justificatif de statut vaccinal afin de ne pas nous déjuger en quelque sorte, quitte à ce que cette question fasse l'objet de négociations lors de la commission mixte paritaire (CMP) ? En effet, nous l'avons bien compris, si nous voulons que le texte aboutisse - et tel est mon souhait -, une majorité ne pourra se constituer à l'Assemblée nationale que si le groupe LR l'approuve.
Je serai plus radical. Alain Richard a eu le mérite de parler vrai, et je l'en remercie. Nous sommes un certain nombre à avoir défendu le passe vaccinal contre vents et marées. Ce matin, nous avons été saisis en conseil de questure d'une demande de protection fonctionnelle de collègues sénateurs qui, outre-mer, ont défendu le vaccin, demande à laquelle nous avons évidemment accédé. Or nous allons renoncer au justificatif de statut vaccinal pour la seule raison de faire voter un texte, dans les conditions que nous savons. Si le prix à payer est de flatter un certain nombre d'antivax dans un groupe de l'Assemblée nationale, cela pose un véritable problème de fond.
Je partage la plupart des analyses de mes collègues. Aucune stratégie politique ne justifie que l'on sème la confusion auprès des Français qui se sont fait vacciner. Comment organiser une nouvelle campagne de rappel de vaccination si l'on dit dans le même temps que le vaccin présente moins d'intérêt qu'un test ?
Par ailleurs, ces tests obligatoires pour voyager sont, la plupart du temps, payants. Doit-on introduire une discrimination par le prix du test ? Je n'en suis pas certain.
Enfin, vous excluez aussi le certificat de rétablissement. Mais pour quelles raisons ?
« Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent », disait Edgar Faure. Monsieur Sueur, je mesure chaque jour un peu mieux la différence entre radicalité et radicalisme.
Il y a un an, lorsque l'on était vacciné, on avait 80 à 90 % de chances de ne pas être infecté. Aujourd'hui, quand on est vacciné, on a environ 30 % de chances de ne pas être infecté. Ce n'est pas moi qui ai changé, c'est le virus. Et ce changement implique que le vaccin n'élimine les risques de contagiosité que dans un cas sur trois. De plus, toutes les personnes vaccinées qui ont été malades mais qui peuvent se procurer un certificat de rétablissement ne sont nullement immunisées contre tout risque de contamination, ni celui de devenir elles-mêmes contagieuses.
En effet, j'ai modifié hier une disposition prévoyant la possibilité de produire un certificat de rétablissement, un justificatif de statut vaccinal à jour ou le résultat négatif d'un test, une disposition que vous avez approuvée. Mais dès lors qu'il s'agit de faire face à l'émergence, dans un pays lointain, d'un variant très dangereux dont on peut présumer que la vaccination ne sera pas une barrière efficace contre la contamination et le risque de contagiosité, j'estime que la seule mesure efficace de protection aux frontières est la preuve de la non-contamination par le test négatif.
Pour ma part, je ne fais pas de politique, contrairement à certains. Je m'appuie sur des arguments purement médicaux. Je vous le dis, si émerge un variant extrêmement contagieux, le moyen de protection le plus efficace est le test négatif.
Savez-vous pourquoi nous avions prévu trois possibilités, alors que le test négatif était médicalement justifié ? Simplement parce que le dépistage virologique est beaucoup plus pénible. Si j'étais démagogue et si je faisais de la politique, je proposerais aux voyageurs du Sri Lanka, du Sénégal ou du Guatemala de présenter un justificatif de vaccination plutôt que de subir un test aussi invasif.
Il y a là deux points de vue : l'un fait d'une mesure d'exception une véritable passoire, le vôtre, tandis que l'autre fait d'une mesure d'exception une mesure potentiellement efficace, le mien.
Nous sommes au stade où nous exprimons des convictions ; il conviendra ensuite de rapprocher les points de vue entre les députés et les sénateurs lors de la CMP - j'ai une certaine pratique en la matière.
Notre amendement est un amendement d'appel. Depuis deux ans, les Français de l'étranger rencontrent des difficultés pour se rendre sur notre territoire. Que prévoyez-vous ?
Il s'agit d'un amendement de repli. Ne pourrait-on pas prévoir une liste de pays où le certificat de voyage ne s'applique pas ? Ce n'est pas la même chose si l'on vient de Belgique, du Sri Lanka ou de Madagascar, par exemple ?
Comment savoir où pourrait émerger un nouveau variant ? Il est impossible de dresser une liste de pays préalablement à la mise en oeuvre de cette mesure.
Mais lorsque le virus est apparu, les pays étaient classés en zones rouge, orange et verte par le Quai d'Orsay.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 41, de même qu'aux amendements n° 51, 53 et 15.
La notion de « saturation du système de santé » est tout à fait imprécise. Un certain nombre d'hôpitaux, y compris dans la métropole, sont déjà saturés aujourd'hui. C'est pourquoi nous proposons la formulation suivante : « en cas d'apparition et de circulation d'un nouveau variant de la covid-19 susceptible de constituer une menace sanitaire grave. »
Ce sont les responsables de ces collectivités ou les parlementaires qui représentent ces dernières qui ont exprimé la mise en place de ces mesures. Un hôpital est saturé lorsqu'aucun lit n'est disponible et que les services de réanimation et des urgences sont submergés. Si cela se produit dans la métropole, il est possible de faire des évacuations sanitaires, mais pas outre-mer. Aussi, il est essentiel de maintenir ce critère qui permet d'ailleurs d'éviter d'accorder les pleins pouvoirs au Gouvernement.
Aussi, je vous demande à tout le moins, mes chers collègues, de bien vouloir retirer votre amendement n° 42, car son adoption mettrait en péril le dispositif que nous avons adopté hier en commission.
En revanche, je suis favorable à l'amendement n° 43 visant à faciliter la consultation des exécutifs des collectivités concernées.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 58.
Après l'article 2
L'amendement n° 21 apparaît irrecevable en application de l'article 41 de la Constitution.
La commission demande au Président du Sénat de se prononcer sur l'irrecevabilité de l'amendement n° 21 en application de l'article 41 de la Constitution.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 2 rectifié et, à défaut, y sera défavorable.
Les amendements n° 63 et 69 sont contraires à la position de la commission : avis défavorable.
Article 2 bis
Article 3
L'amendement n° 17 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 10.
Après l'article 3
Il ne vous aura pas échappé que vous avez accepté des rapports dans ce texte.
J'ai restreint le nombre de rapports prévus dans le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Je suis toujours hostile au vote de rapports qui comportent des injonctions au Gouvernement, que la Constitution ne nous permet pas de faire.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 47 rectifié.
Les amendements n° 9, 13 et 48 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Pourquoi l'article 45 s'applique-t-il à l'amendement n° 48 ? C'est une chose que de dire que le Sénat est contre les rapports, mais c'en est une autre que de refuser un amendement reprenant les recommandations de la mission d'information portant sur le covid-19.
Pour me prononcer sur cette irrecevabilité, je regarde si l'objet du rapport est conforme au périmètre retenu.
Non. Il ne s'agit pas d'une disposition relative aux systèmes d'information ni aux mesures contraignantes visant à lutter contre l'épidémie de la covid-19. Or c'est ce périmètre qui a été adopté hier par la commission. Mais si vous préférez, je peux invoquer l'article de la Constitution qui n'autorise pas le Parlement à faire des injonctions au Gouvernement...
Nous avons pris un soin particulier à rédiger cet amendement de manière à ce qu'il entre dans le périmètre défini. Vous avez souhaité parler de la notion de contrainte. Nous demandons que le rapport élabore des recommandations visant à imposer des standards à respecter pour accueillir du public ; cette disposition entre donc bien dans le périmètre.
Faisons preuve de modération. L'application de l'article 45 est à géométrie variable, monsieur le rapporteur, je persiste à le dire. Vous avez estimé que la disposition concernant la réintégration des infirmiers entrait dans le périmètre retenu, même si je ne comprends toujours pas pour quelle raison, tandis que celle que nous proposons y serait contraire.
L'amendement n° 12 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n 24.
L'amendement n° 25 est satisfait par le droit en vigueur. Retrait ou, à défaut, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 25 et, à défaut, y sera défavorable.
Les amendements n° 26, 46 et 49 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 59.
L'amendement n° 14 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Intitulé du projet de loi
L'amendement n° 50 est contraire à la position de la commission : avis défavorable.
Je m'étonne que le libellé du texte n'ait pas été modifié dans la version qui nous est soumise...
Je tiens à saluer la modération dont a fait preuve le Gouvernement dans la rédaction du libellé du titre. M. le rapporteur a fait preuve d'une radicalité qui peut paraître excessive quand on voit le contenu du texte.
La commission a donné les avis suivants :
La réunion est close à 14 h 50.