Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
Audition de M. Bruno Lasserre candidat proposé par le président de la république aux fonctions de président de la commission d'accès aux documents administratifs

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, président, rapporteur :

Mes chers collègues, nous sommes saisis, dans le cadre de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, de la candidature de M. Bruno Lasserre, candidat présenté par le Président de la République pour présider la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA). M. Lasserre prendrait ainsi la suite de M. Jean-Luc Nevache, que nous avions entendu en juillet 2020 pour ces mêmes fonctions.

Comme vous le savez, c'est à l'initiative du Sénat que la nomination du président de la CADA est soumise à la procédure de l'article 13.

Je rappelle que la CADA est une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté d'accès aux documents administratifs. Elle rend des avis lorsqu'elle est saisie par un citoyen qui se voit opposer un refus d'accès, et elle conseille les administrations. Depuis sa création en 1978, l'institution a vu ses missions évoluer à travers le développement du numérique et de l'open data. La réutilisation des données publiques, désormais également de sa compétence, soulève de nouveaux enjeux économiques ainsi que sur le plan des libertés publiques.

Cette autorité administrative indépendante est soumise à une augmentation du nombre de ses saisines. En 2021, celles-ci se sont élevées à 8 417 dossiers alors qu'elles étaient relativement stables depuis 2017 - environ 7 000 dossiers - et même en légère baisse en 2019 et 2020, pour des raisons que nous pouvons imaginer. Cette augmentation pose la question de l'appropriation, par les administrations, de la doctrine de la CADA alors même que cette autorité fournit, sur son site internet, des dispositifs d'information qui leur sont destinés : rappel des règles applicables, fiches thématiques selon le type de document concerné - urbanisme, santé, budget, comptes des collectivités territoriales -, simulateur sur le caractère communicable d'un document.

À cet égard, la CADA connaît un phénomène, en expansion, de « requêtes multiples ». Il s'agit de requêtes émanant de journalistes ou d'organisations non gouvernementales (ONG) adressées conjointement à de multiples administrations. Selon son rapport d'activité de 2021, la Commission a reçu l'an dernier seize séries de demandes représentant à elles seules 15 % du total des demandes reçues.

Enfin, lorsque la CADA notifie un avis favorable au demandeur et à l'administration en cause, cette dernière est tenue d'informer la Commission, dans un délai d'un mois, de la suite qu'elle entend donner à cet avis. Or ce taux de réponse, constant depuis plusieurs années, n'est que de 61,5 %. De plus, parmi ces réponses, seules 70 % font part d'une intention de suivre l'avis favorable, même partiellement. Ce taux est en baisse constante depuis cinq ans.

C'est donc une institution bien ancrée dans le paysage institutionnel et juridique français, mais qui connaît un certain nombre de défis.

Pour présider son collège, dont les membres sont nommés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale, le Président de la République envisage de nommer M. Lasserre, qui présente un profil proche de celui de son prédécesseur, celui d'un haut fonctionnaire à forte compétence juridique.

M. Lasserre est en effet conseiller d'État, et il a même été, de mai 2018 à janvier 2022, le vice-président du Conseil d'État, à la suite de Jean-Marc Sauvé. Il y a fait une grande partie de sa carrière, mais il a aussi fait un long passage au Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence : de 1998 à 2004 comme membre du collège, puis de 2004 à 2016 comme président de cette Autorité.

M. Lasserre est, depuis février dernier, président de la Commission des participations et des transferts (CPT).

La question qui nous est posée est celle de savoir si le « profil » de M. Lasserre est compatible avec les fonctions de président de la CADA, et l'objet de l'audition de ce jour est de nous en assurer.

Au vu des états de service de M. Lasserre, il me semble indéniable qu'il est suffisamment familier des procédures administratives pour que nous n'ayons pas de doute sur son appréhension de l'objet et des enjeux d'une institution comme la CADA. Reste la question, que certains d'entre vous ne manqueront pas d'évoquer, des poursuites pénales pour harcèlement moral dont il fait l'objet, pour des événements survenus lorsqu'il était président de l'Autorité de la concurrence. La presse s'en est fait l'écho, chacun sait de quoi il s'agit.

Le parquet a demandé le renvoi devant la juridiction pénale de M. Lasserre au début du mois de juillet, non pour infraction directe mais pour complicité. Sur ce point, il me semble qu'il faut que la procédure se poursuive de son côté, sans qu'elle hypothèque à elle seule la candidature de M. Lasserre.

Une fois que la justice aura tranché, il reviendra à M. Lasserre d'en tirer les conséquences, le cas échéant. Toutefois, à mon sens, il serait prématuré de tirer des conclusions définitives de la demande du parquet pour la procédure de nomination qui nous concerne, d'autant que cette affaire date de 2014 et qu'entretemps M. Lasserre a pu occuper utilement des fonctions de vice-président du Conseil d'État sans que cela ait posé de difficultés particulières.

J'ajoute enfin que j'ai reçu, comme nous tous, semble-t-il, un courrier d'un particulier, qui se présente comme étant lanceur d'alerte et plaignant, et nous demande de ne pas voter en faveur de la nomination de M. Lasserre. N'ayant pas la possibilité d'assurer un débat contradictoire sur le sujet, j'émets par principe les plus grandes réserves à l'égard de ce type de document.

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