… au beau milieu d’une réforme des retraites amplement contestée, sur un sujet pourtant crucial pour notre société.
Certes, le protocole national interprofessionnel auquel avaient abouti les partenaires sociaux le 11 septembre 2009 n’a pas été signé par l’ensemble des syndicats salariés en raison de points d’achoppement importants sur la question de la périodicité des visites médicales, de la procédure de constatation de l’inaptitude, du financement et de la gouvernance des services de santé au travail. Pour autant, l’importance de la médecine du travail aurait mérité que le Parlement se saisisse pleinement de cette question.
Face à la mobilisation générale des organisations syndicales et des professionnels, qui ont dénoncé, à juste titre, un tel passage en force, la commission des affaires sociales du Sénat n’a pas eu d’autre choix que de leur concéder quelques revendications.
Ainsi, la gestion paritaire a été introduite, de même que la pluridisciplinarité. Cette dernière ne peut toutefois constituer une réelle avancée que si le statut des médecins du travail est appliqué à l’ensemble des membres de cette équipe, pour que les uns et les autres puissent travailler en toute sécurité et de manière coordonnée. Vous savez pertinemment que, tout comme le médecin du travail, ces personnels se trouveront au cœur de l’affrontement de classes. C’est pourquoi cette protection statutaire est nécessaire pour leur permettre d’avoir une liberté de parole, et surtout une liberté d’action.
Or tel n’est pas le cas dans ce texte. En dépit de ces deux concessions, résultat d’une lutte sociale, l’introduction d’articles réformant la médecine du travail reflète un triple déni démocratique.
Déni, d’abord, des organisations représentatives de médecins, dont vous réduisez le rôle et la place. En effet, la question primordiale de l’indépendance du médecin du travail par rapport à l’employeur est mise à mal : il revient aux services de santé de définir les missions du médecin du travail, lequel n’a plus que des fonctions d’exécution. C’est donc son cœur de métier qui est touché, le médecin du travail étant en quelque sorte placé sous la tutelle d’un directeur de santé au travail chargé de chapeauter l’ensemble du service de santé au travail de l’entreprise.
Déni, ensuite, des autorités compétentes, car le texte va à l’encontre de la volonté exprimée par tous les professionnels de la prévention des risques professionnels, mais également par le Conseil national de l’Ordre des médecins, lequel a estimé dans un communiqué que « le texte voté ne répond pas […] aux nécessités de l’exercice des médecins du travail dans le respect de leur indépendance technique », avant de s’étonner « de l’absence de toute concertation […] alors qu’il demande depuis six mois à être reçu par le ministre du travail pour évoquer ce sujet ».
Déni, enfin, des parlementaires, car votre projet, monsieur le ministre, s’oppose aux conclusions de la mission d’information du Sénat sur le mal-être au travail, publiées le 7 juillet dernier, et qui, je vous le rappelle, recommandent de « conforter l’indépendance des médecins du travail ». Si nous souhaitons être crédibles, mes chers collègues, nous nous devons de rejeter cet article, ainsi que les suivants sur cette question, car tous vont à l’encontre de nos propres recommandations.
Vos propositions, monsieur le ministre, sont également loin d’être à la hauteur des enjeux à venir.
Ainsi, l’ensemble des articles passent sous silence le problème de la démographie médicale, alors que les différents rapports publiés soulignent l’urgence de remédier à la pénurie de médecins du travail. De même, ont été occultés le rôle et la place du médecin du travail, qui doit être au service de l’approche individuelle, mais qui doit également avoir une approche collective, au travers, notamment, de la connaissance des situations de travail ou de la question de l’aptitude. Ces problématiques auraient mérité, pour le moins, un projet de loi spécifique.
Au moment où les risques psychosociaux et les maladies professionnelles s’accentuent, nous sommes toutes et tous unanimes pour affirmer qu’une réforme de la médecine du travail est nécessaire. Mais elle doit être le fruit d’un débat national.
Rappelons-le, la médecine du travail est née en 1946 d’un vote unanime de la représentation nationale. Aujourd’hui, soixante-quatre ans après, votre réforme ne sera que le résultat d’un arbitrage entre le patronat et le Gouvernement !