Intervention de Guy Benarroche

Réunion du 26 juillet 2022 à 14h30
Diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne — Vote sur l'ensemble

Photo de Guy BenarrocheGuy Benarroche :

Sur le fond de ce texte, nous pouvons rappeler l’analyse de notre groupe : s’il est clairement nécessaire d’adapter notre droit pour appliquer le règlement relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne, nous regrettons tout d’abord la forme retenue.

Le Gouvernement, de manière aussi habile que cynique, a choisi de faire déposer une proposition de loi au lieu de présenter lui-même un projet de loi. Les parlementaires n’ont ainsi pas pu disposer de l’avis du Conseil d’État et d’une étude d’impact, éléments d’autant plus importants compte tenu de la censure historique de la loi Avia par le Conseil constitutionnel. Nous regrettons ce tour de passe-passe, qui entache la sincérité du processus démocratique.

Pour autant, le sujet des contenus terroristes mérite une réponse à la fois pratique, forte et efficace. Nous ne le savons que trop : la haine prolifère en ligne, et nous devons nous doter de l’arsenal le plus efficace possible pour limiter cette propagande terroriste et ces méthodes de recrutement qui ont pour but de nous nuire.

Le terrorisme tue, et internet demeure le terreau fertile permettant à la fois la diffusion de certaines idéologies macabres et le recrutement comme le financement des terroristes. Il est essentiel de se doter d’outils de droit freinant cette utilisation d’internet.

Le règlement européen auquel nous devons adapter notre droit est le fruit d’une réflexion sereine. Applicable depuis le 7 juin dernier, il distingue de manière sensée la diffusion de certains de ces contenus à des fins journalistiques, pédagogiques ou artistiques.

La définition des contenus nécessitant d’être retirés est plus restreinte et plus équilibrée que celle qui se trouvait dans la loi Avia, la possibilité de maintenir des contenus dans le cadre du débat public étant par exemple garantie. Ce règlement constitue ainsi un outil majeur et nécessaire pour notre législation.

Néanmoins, ce texte comporte aussi des limites.

Comme nous l’avons rappelé, le choix de déposer une proposition de loi ne semble pas le plus sécurisant pour évaluer les conséquences du texte, notamment sur les libertés publiques et individuelles.

La censure de la loi Avia rappelait que la détermination du caractère illicite des contenus à caractère terroriste ne devait pas être soumise à la seule appréciation de l’administration. L’absence du juge judiciaire lors des procédures de recours nous paraît préjudiciable, tant pour l’équilibre de notre société que pour l’exercice des libertés publiques, qui relève du juge judiciaire.

Depuis la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi sur le séparatisme, l’Arcom est désignée comme l’opérateur traitant la haine en ligne. Sa conservation démontre une cohérence, mais suscite de nombreuses interrogations.

J’ai entendu le Gouvernement dire que nous entrions dans un quinquennat sans hausse d’impôts ni accroissement de la dette… Aussi, je suis impatient de voir comment, à fonds constants, le Gouvernement dotera l’Arcom des moyens nécessaires pour mener à bien cette nouvelle mission, notamment en lui affectant les agents dont cette instance a besoin et en organisant leur formation.

Si j’insiste sur ce point, c’est que le drame de l’assassinat de Samuel Paty a montré que, alors que le circuit de signalement existait et fonctionnait correctement, le manque de personnels et les délais de traitement ont entraîné la funeste conséquence que nous connaissons tous.

Trois autres points majeurs demeurent.

Tout d’abord, l’urgence du délai d’une heure représente un risque selon de nombreuses associations de protection des libertés. Notre groupe souhaite relayer les inquiétudes de la Quadrature du Net ou d’autres ONG, qui craignent notamment la mise en place de « filtres de téléchargement » permettant à l’hébergeur d’interdire à un utilisateur de poster du contenu, mais aussi la possibilité d’erreurs techniques inhérentes à des processus automatisés dans la sélection des contenus à supprimer.

Ensuite, la subjectivité des éditeurs ou hébergeurs dans l’évaluation du contenu constitue un autre risque. Il s’agit d’un point essentiel, eu égard aux démarches à géométrie variable des opérateurs privés selon le sujet qu’ils pensent devoir être retiré. L’exemple récent de la différence de traitement par Facebook entre deux contenus jugés tous deux illégaux doit nous interroger : un post sur la pilule abortive a été censuré en une minute, alors qu’un autre sur les armes à feu est resté intouché pendant plusieurs jours.

Cette différence d’appréciation chez les opérateurs privés pourrait également se retrouver parmi les autorités compétentes équivalentes à l’Arcom. Ce n’est faire offense à aucun de nos voisins européens que de percevoir les nuances dans l’indépendance de ces agences administratives ou de pointer qu’elles ne partagent pas toujours le même point de vue sur ce qui caractérise un terroriste.

L’aspect transfrontalier des demandes de retrait constitue un sujet majeur, compte tenu de la montée de régimes aux valeurs parfois très éloignées des nôtres au sein même de l’Union européenne. Le règlement auquel nous adaptons aujourd’hui notre droit permet des demandes transfrontalières de retrait de contenus qui pourraient être litigieuses.

Comment, sans contrôle d’un juge judiciaire, garantir la liberté d’expression sur notre territoire face à des gouvernements parfois totalitaires, caractérisant de manière caricaturale leurs opposants comme des terroristes ?

Notre groupe aurait préféré un meilleur équilibre entre une lutte juste, ferme et efficace contre la dissémination des contenus terroristes sur internet et la protection de la liberté d’expression. Aussi, toutes ces réserves nous empêchent de soutenir pleinement la démarche de la loi présentée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion