Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 16 octobre 2010 à 22h00
Réforme des retraites — Article 25 quater

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le ministre, lors des débats à l’Assemblée nationale, vous avez orchestré un véritable coup de force par le biais de l’amendement « surprise » n° 730 rectifié du Gouvernement, portant un mauvais coup à la médecine du travail.

On nous avait effectivement annoncé une réforme du secteur, mais le sujet de la médecine du travail a été « glissé », scandaleusement et en catimini, par cet amendement surprise.

Une levée de boucliers s’est opérée depuis, et à juste titre. On vous a même taxé de commettre un hold-up sur la santé au travail. Voyez si les conséquences sont outrageusement graves ! Dans un texte aussi controversé que celui des retraites, pensiez-vous vraiment que cette manœuvre allait passer inaperçue ? Si vous n’écoutez pas le peuple, le peuple et les élus, eux, vous écoutent !

Le professeur Desoille, fondateur de la chaire de médecine du travail, l’énonçait déjà en 1949 dans sa leçon inaugurale : « Certains redoutent-ils qu’un médecin à l’œil trop critique ne circule dans l’entreprise, ne relève les fautes d’hygiène et n’en avertissent les intéressés ? »

Vous souhaitez que les médecins du travail, placés sous l’autorité d’un chef de service en santé au travail, deviennent les médecins de l’entreprise, asservis à elle et non au service des salariés en souffrance ! Sous prétexte d’une adaptation du rôle des services de santé au travail au volet « pénibilité » de la réforme, vous abandonnez, en fait, le système de santé au travail au patronat ! C’est inadmissible !

Dans une interview au quotidien Le Monde daté du 19 septembre dernier, un médecin du travail rappelait déjà : « La tentative du MEDEF sur les députés UMP et sur Éric Woerth, le ministre du travail, a réussi, puisqu’ils présentent textuellement la demande du MEDEF qui avait été présentée il y a deux ans aux organisations syndicales et que toutes avaient refusée à l’unanimité. »

Créée en 1946, la médecine du travail est exclusivement préventive : elle a pour objet d’éviter toute altération de la santé des salariés, du fait de leur travail.

Le médecin du travail est lié à l’employeur ou au président du service de santé au travail interentreprises, par un contrat de travail qui en fait un salarié, mais un salarié au statut particulier.

Il ne doit agir, dans le cadre de l’entreprise, que dans l’intérêt exclusif de la santé et de la sécurité des travailleurs, son rôle principal restant l’amélioration des conditions de travail, ce qui ne peut être garanti que par la préservation de son indépendance dans la définition des objectifs de ses missions.

Au contraire, le texte institue un transfert de pouvoir et de mission du médecin du travail vers l’employeur via le directeur du service de santé au travail. De nouveaux professionnels de la santé au travail, infirmiers, intervenants en prévention des risques professionnels, sont mis en place sans protection légale ni indépendance statutaire. Le statut des médecins du travail est remis en cause puisque celui-ci devient dépendant de l’employeur par le biais du directeur du service de santé au travail.

Si l’on ajoute l’absence complète de propositions pour remédier à la pénurie croissante en médecins du travail, on voit bien que c’est à une démédicalisation programmée de la santé au travail que nous sommes en train d’assister.

Si ces dispositions sont votées, comment le rôle spécifique du médecin du travail pourra-t-il être assumé ?

Les médecins du travail seront écartelés entre un rôle spécifique pour lequel ils n’auront aucun moyen et les injonctions de leurs employeurs à agir dans le cadre contractualisé des missions du service de santé au travail, auquel il faut absolument associer la profession d’infirmier, service qui ne vise pas tant à éviter qu’à gérer les risques et leurs effets. Comment les salariés pourront-ils dorénavant leur faire confiance ?

À une époque où les collectifs de travail se morcellent, où la grande majorité des entreprises ne dispose pas d’un CHSCT ou même de délégué du personnel, le médecin doit rester un acteur indépendant pour assurer non seulement sa mission de préservation de la santé de l’individu au travail, mais aussi son rôle de veille et d’alerte sanitaire devant les risques persistants ou émergents.

En somme, que devient le droit à la protection de la santé garanti par la Constitution ?

L’Ordre des médecins proteste, les syndicats protestent, les associations et différents collectifs protestent.

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