Ce texte couvre un large périmètre qui va bien au-delà de la question du pouvoir d'achat. Si le titre Ier concerne la protection du niveau de vie des Français, le titre II concerne la protection du consommateur, tandis qu'un grand titre III concerne la souveraineté énergétique de la France et contient, par exemple, des dispositions qui modifient le code de l'environnement pour permettre l'installation d'un terminal méthanier flottant au Havre.
Notre commission des finances s'est donc intéressée principalement au titre Ier, plus centré sur le pouvoir d'achat. Je rappelle pour mémoire que la loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021 contenait déjà un chèque inflation de 100 euros et une majoration chèque énergie de 100 euros, pour un coût de plus de 4,4 milliards d'euros. Dans le projet de loi de finances pour 2022, nous avons adopté un bouclier tarifaire, dont le coût pour 2022 s'élève à 8,1 milliards d'euros. Le décret d'avance acte la mise en place du plan de résilience économique et sociale, pour un coût de plus de 5,9 milliards d'euros pour 2022. Avant même de commencer à discuter de ce texte, 18,4 milliards d'euros ont déjà été engagés en moins d'un an pour soutenir le pouvoir d'achat. Le PLFR pour 2022 contiendra d'autres mesures : la suppression de la redevance audiovisuelle, une aide exceptionnelle de rentrée, une remise sur le carburant, le prolongement du bouclier tarifaire.
Au sein du présent projet de loi figurent des dispositions relatives à la prime de partage de la valeur, des baisses de cotisations sociales pour les indépendants, un assouplissement du dispositif de l'intéressement, une revalorisation par anticipation des pensions de retraite et des prestations sociales, et la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Ces mesures devraient générer un coût pour les finances publiques de 7,21 milliards d'euros en 2022. Au total, si l'on additionne toutes les mesures annoncées depuis un an, le paquet pour le pouvoir d'achat devrait coûter plus de 40 milliards d'euros en 2022 ! Dans toutes les mesures que je vous ai citées, la dimension de soutien au pouvoir d'achat n'est pas toujours évidente, tant s'en faut...
J'ajoute que le Gouvernement s'en remet très largement aux entreprises pour soutenir le pouvoir d'achat de leurs salariés en leur versant des primes, mais ce sera à leur bon vouloir et tous les salariés n'en bénéficieront donc pas : si le dispositif repose uniquement sur des primes, certains travailleurs seront oubliés, à la différence de ceux qui touchent des revenus de transfert qui sont revalorisés. Ne faudrait-il pas réfléchir à un rééquilibrage au profit des travailleurs pauvres, qui perçoivent à peine plus que les minima sociaux ? Il me semble important d'éviter les trappes à inactivité. Il n'est pas normal que l'on gagne moins en travaillant, ne serait-ce qu'en raison des coûts pour utiliser sa voiture pour aller travailler.
L'appel aux entreprises est matérialisé par les articles 1er, qui concerne la prime de partage de la valeur, 3, relatif à la révision de la procédure d'intéressement, et 4, relatif à la révision des règles sur les accords de branche - la rédaction de ce dernier laisse à désirer et notre commission des affaires sociales devrait proposer, à raison, de le supprimer.
La sécurité sociale est aussi mise à contribution à travers la baisse des cotisations des indépendants ou la revalorisation des pensions et des prestations sociales. Il conviendra de veiller à ce que les compensations de l'État figurent bien dans le PLFR pour 2022, ce qui n'est pas, pour l'instant, le cas...
J'insisterai sur l'article 1er qui prévoit la création d'une prime de partage de la valeur. Je le dis clairement, cela relève grandement d'un effet d'affichage. Cette prime vise à prendre le relais de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA), sous la réserve d'ajustements majeurs relatifs à son caractère pérenne et à son régime social et fiscal. Ce dernier devrait varier en effet selon que la prime est versée avant ou après le 31 décembre 2023 et selon que la rémunération des salariés est ou non inférieure à trois fois la valeur annuelle du SMIC. Les principales différences avec la PEPA tiennent à l'absence d'exonération d'impôt sur le revenu et de CSG-CRDS - sauf pour les primes versées du 1er août 2022 au 31 décembre 2023 aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois la valeur annuelle du SMIC. On comprend mal le signal que le Gouvernement souhaite envoyer : alors que le Gouvernement précédent avait fortement soutenu le développement de l'intéressement, avec la loi Pacte notamment, cette prime risque de le phagocyter. Jean-Dominique Senard, qui a récemment publié un rapport sur l'intéressement au nom de l'Institut Montaigne ou les trois ambassadeurs à la participation et à l'intéressement sont à juste titre inquiets.
Je vous proposerai de laisser aux salariés le choix soit de bénéficier de la prime immédiatement, soit de percevoir ce montant de manière différée, sous la forme d'un supplément d'intéressement, car, en période de forte inflation, il est plus intéressant de placer son argent à terme que de le laisser sur son compte courant. Je vous proposerai aussi de rebaptiser la prime, qui serait appelée « prime de pouvoir d'achat », et de borner le dispositif au 31 décembre 2023, sauf pour les entreprises de moins de 50 salariés, car dans ces entreprises l'intéressement est plus difficile à mettre en place, même si l'article 3 apporte des simplifications en permettant au chef d'entreprise d'instaurer l'intéressement de manière unilatérale, en étendant la validité de l'accord d'intéressement jusqu'à cinq ans au lieu de trois, ou encore en permettant sa reconduction par décision unilatérale. Laissons-nous du temps pour apprécier l'efficacité de ces mesures. À cet égard, la demande de rapport au Gouvernement adoptée à l'Assemblée nationale concernant l'évaluation de l'effet de cette prime sur l'intéressement me semble utile ; on manque de données.
Cette prime prend la suite de la prime PEPA qui avait été instaurée en réponse au mouvement des gilets jaunes, puis renouvelée plusieurs fois durant la crise du covid. Elle était plafonnée à 1 000 euros, ou 2 000 euros en cas de signature d'un accord d'intéressement. Ces seuils sont portés respectivement à 3 000 et 6 000 euros. Mais c'est de l'affichage ! Il ne faut pas que tous les salariés croient qu'ils vont toucher 6 000 euros. Les statistiques sont claires, le montant moyen versé actuellement est de 500 euros, tandis que le nombre de salariés bénéficiaires diminue : on comptait 3,38 millions de bénéficiaires en 2021, contre 5,21 millions en 2020.
Il ne faut pas non plus que cette prime se substitue au salaire. Certains proposent de la mensualiser ; cela aboutirait à transformer cette prime en un complément de salaire précaire, susceptible d'être supprimé à tout moment... La rédaction de l'Assemblée nationale autorise un versement en onze fois. Je vous proposerai de conserver la possibilité laissée aux entreprises de procéder au versement de la prime en plusieurs fois, pour permettre de lisser l'effort de trésorerie, tout en limitant à quatre le nombre de versements.
Enfin, la rédaction actuelle crée une inégalité devant l'impôt puisqu'il n'est tenu compte que du revenu imposable du salarié, et non de celui de son conjoint dans le cas d'une imposition commune, pour l'application de l'exonération d'impôt sur le revenu, de CSG et de CRDS sur la prime. Comment comprendre cette dérogation au régime commun alors que les déclarations de revenu se font par ménage ? C'est une source de distorsions fiscales entre ménages. Comment comprendre qu'une personne célibataire gagnant 2 500 euros bénéficierait de la même exonération qu'une personne touchant un salaire de 4 000 euros et qui serait mariée à quelqu'un gagnant 6 ou 7 fois le SMIC ? Je vous proposerai de prendre en considération les revenus du ménage pour le calcul de l'exonération fiscale ; le plafond de revenus serait porté à six fois le SMIC pour un couple, contre trois SMIC pour un célibataire.
L'article 3 vise à assouplir l'intéressement, dispositif qui nous est cher au Sénat.
L'article 2 prévoit une baisse des cotisations des indépendants afin d'augmenter leur rémunération : 44 % des indépendants classiques, hors praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés, et 90 % des autoentrepreneurs ont des revenus moyens inférieurs au SMIC. Mais là encore, le gain de pouvoir d'achat semble relever de l'effet d'annonce. Un indépendant dont la rémunération atteint le SMIC bénéficierait ainsi d'un gain de pouvoir d'achat effectif d'environ 46 euros par mois avant impôt, soit une augmentation de son revenu de 3,5 %. Cette progression reste inférieure à l'inflation constatée en 2022. Ce montant devrait cependant être plus faible, la hausse du revenu net entraînant mécaniquement une majoration de l'impôt. Le gain moyen pour l'ensemble des indépendants concernés est chiffré à 20 euros par mois, avant impôt. Ce coup de pouce reste donc assez limité.
Il faut aussi relativiser les revalorisations des prestations sociales et des aides personnelles au logement (APL). Le taux de revalorisation des prestations sociales serait de 4 %, inférieur à l'inflation actuelle estimée par l'Insee à 5,5 %. Le Gouvernement procède par anticipation sur les augmentations attendues au 1er janvier et au 1er avril prochains. Il s'agit d'aider ces ménages à surmonter la hausse de l'inflation ; pour eux, en effet, il existe une forte contemporanéité entre le moment où ils perçoivent leurs revenus et celui où ils consomment. Le coefficient de revalorisation prévu par le projet de loi sera imputé sur celui de 2023, ce dernier ne pouvant conduire à une diminution de la prestation si l'inflation venait à baisser fortement. L'idée est de faire correspondre les revenus présents à la situation actuelle. Ces revalorisations de 4 % sont toutefois supérieures au gain de pouvoir d'achat enregistré par les indépendants avec l'allègement des cotisations sociales, à la revalorisation de 3,5 % du point d'indice des fonctionnaires et à la progression des salaires relevée par l'Insee au premier trimestre 2022 qui s'élève à 2,4 % sur un an.
On ne peut que se féliciter de la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) que le Sénat appelait de ses voeux.
Enfin, l'annonce d'une « revalorisation » des aides personnelles au logement doit également être précisée. Il s'agit d'une réévaluation, de 3,5 % également, des paramètres, ce qui signifie que l'aide ne devrait pas augmenter dans les mêmes proportions pour tous les bénéficiaires. Il ne s'agit en aucun d'une revalorisation automatique de toutes les APL.
Je conclus en évoquant les articles 9 bis A et 9 bis introduits par voie d'amendements à l'Assemblée nationale et qui prévoient de modifier le code monétaire et financier afin de mieux sanctionner les prestataires de services de paiement (PSP) en cas de non-remboursement de sommes prélevées indûment. Mon amendement COM-312 augmente les pénalités financières en cas de manquement des PSP à leur obligation de remboursement.