Comme tout le monde, je me suis demandé pourquoi on réforme la médecine du travail au moment même où l’on engage un débat sur la pénibilité.
Quoi qu’on pense des conclusions du rapport Poisson, celui-ci est très intéressant dans la mesure où il abat les cartes et nous donne exactement la raison pour laquelle vous avez décidé de procéder à cette réforme.
Ce rapport répond, sur le fond, à la question que nous nous posons : doit-on lier la pénibilité à l’espérance de vie ?
Un ouvrier qui a une espérance de vie inférieure de sept ans à celle d’un cadre touche sept ans de retraite en moins ! Il faudrait qu’il puisse bénéficier d’une retraite avant 60 ans, enfin, avant 62 ans désormais !
Mais M. Poisson nous répond : non, non et non ! Prendre en compte l’espérance de vie dans le calcul des retraites, c’est de l’égalitarisme. Il faut, selon lui, calculer les retraites sur la base des principes fondateurs de l’assurance vieillesse, c’est-à-dire le droit, à partir d’un certain âge, à recevoir une pension dont le calcul repose sur des éléments de carrière professionnelle, sans référence aucune à la pénibilité. « L’égalisation de l’espérance de vie en pleine santé ne peut, à l’évidence, faire l’objet d’aucune garantie de quelque ordre que ce soit. Faire de cette intention un objectif en tant que tel des politiques publiques serait, pour cette raison, excessif en regard des responsabilités normales de l’État et ne pourrait conduire qu’à des confusions de tous genres », ajoute-t-il.
Il poursuit : « [S’il] est indubitable que des différences réelles en matière d’espérance de vie sont constatées entre les ouvriers et les cadres, il demeure impossible de considérer que la seule cause de cet écart provient des conditions de travail. » Écoutez bien, mes chers collègues, selon lui, « la santé est une réalité suffisamment personnelle pour que soient également évoquées des considérations qui touchent au mode de vie des personnes, et en particulier à la qualité de leur accès aux soins, non moins qu’à leurs habitudes ».
On ne peut donc pas lier l’espérance de vie aux conditions de travail parce que d’autres facteurs font que les ouvriers meurent plus vite. Mais quels sont-ils ? Le mode de vie ? Voilà qui me rappelle le xixe siècle, quand on mettait en avant l’hygiène de vie de l’ouvrier, arguant du fait que l’alcoolisme dans lequel il sombrait, le tabagisme ou tout autre abus ne faisaient qu’altérer sa santé et écourter sa vie. Vous vous demandez sans doute où je veux en venir ! Tout simplement au texte dont nous discutons !
Il est bizarre que le Gouvernement soutienne de façon si partisane le point de vue de l’entreprise. Il veut étendre la mission de la médecine du travail à une mission de santé publique, évacuant les risques professionnels. Ainsi, les effets des conditions du travail sur la santé du travailleur ne seront plus pointés du doigt, puisque la question sera traitée dans sa globalité. On est donc bien là, monsieur le ministre, au cœur de votre projet et on comprend mieux pourquoi vous faites cette réforme de la médecine du travail : pour exonérer l’employeur…