Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 10 décembre 2008 à 16h00
Parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées — Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires culturelles :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis son adoption par une nuit de juillet 2004, l’article 89 de la loi du 13 août 2004 a éveillé bien des passions et bien des inquiétudes. Certains y ont vu des attaques rampantes contre la parité, d’autres une remise en cause directe de la laïcité ; tous, ou presque, s’en sont émus à un moment ou à un autre. C’est pourquoi le temps me semble venu, mes chers collègues, d’apporter un peu de clarté et de sérénité dans ces débats qui n’ont que trop duré.

Cette volonté, je la partage avec nombre de nos collègues, en particulier M. Yves Détraigne, auteur d’une proposition de loi qui, dans ses principes, rejoint celle dont nous débattons aujourd’hui. Cela a conduit notre collègue à accepter de cosigner ce dernier texte, ce dont je le remercie.

Il est en effet nécessaire de rendre enfin un peu de sérénité à nos débats. Pour ce faire, je souhaite que certaines choses soient enfin dites et assumées par tous : la guerre scolaire est terminée et nous sommes sortis de l’époque où l’école des bons pères et celle des hussards noirs de la République se livraient un combat sans fin.

Depuis la loi Debré, il y a, non plus deux, mais trois écoles : les écoles publiques, les écoles privées sous contrat qui sont assujetties au contrôle de l’État et qui remplissent des obligations de service public et, enfin, les écoles privées hors contrat. Cela même explique que le vieil adage : « à école privée, fonds privés ; à école publique, fonds publics » n’a plus grande pertinence. En effet, si les écoles privées sous contrat perçoivent des fonds publics, c’est précisément parce qu’elles remplissent des missions de service public et qu’elles délivrent un enseignement placé sous le contrôle de l’État.

Au demeurant – qui pourrait encore en douter ? –, voilà vingt ans, l’enseignement privé était sans doute largement confessionnel, mais, aujourd’hui, nombreux sont les parents qui inscrivent leurs enfants dans les écoles privées, non plus pour des raisons philosophiques ou religieuses, mais parce qu’ils apprécient la pédagogie qui y est proposée et la qualité de l’accueil.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je suis viscéralement attaché à ces deux principes fondamentaux que sont la liberté de l’enseignement, d’une part, et la parité entre public et privé, d’autre part.

Je tiens à la liberté de l’enseignement, car c’est elle qui offre aux parents un véritable choix entre des formes de pédagogie différentes dans le respect de la liberté de conscience. Telle est, au demeurant, l’exigence essentielle consacrée par la loi Debré en son article 1er : « L’établissement [privé sous contrat], tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyance, y ont accès. »

Mais cette liberté a un corollaire, mes chers collègues : elle suppose que nous acceptions tous de prendre en charge notre part des dépenses liées à l’exercice de cette liberté.

Que nous soyons maires d’une commune de résidence, d’une commune d’accueil, qu’il y ait ou non sur notre territoire une école publique ou une école privée, nous avons tous, à un titre ou à un autre, à assumer une part des conséquences financières de cette liberté fondamentale.

Il reste toutefois, monsieur le ministre, à préciser l’étendue de ces obligations. La proposition de loi clarifie celles qui pèsent sur les communes de résidence. Je souhaite que vous nous redisiez aujourd’hui quelles dépenses entrent dans le « panier » qui sert de base au calcul du forfait. Les investissements n’y ont déjà pas, et n’y auront pas à l’avenir, leur place. Pouvez-nous, monsieur le ministre, le confirmer très explicitement ? Cela serait de nature à apaiser des débats qui ne sont pas directement liés à ce texte.

Si donc je suis viscéralement attaché au libre choix de l’école, je tiens également au principe de parité, parce qu’il garantit, au-delà des convictions politiques affichées par les gouvernements successifs, que les élèves du public et du privé sous contrat seront traités de manière égale. La jurisprudence du Conseil constitutionnel l’a prouvé, en venant garantir successivement les droits de l’enseignement privé puis de l’enseignement public.

Il est donc temps de faire prévaloir la sérénité et de cesser de nous engager à toute occasion dans des combats d’arrière-garde : le public et le privé sous contrat ont toute leur place dans notre système d’enseignement.

Oui, mes chers collègues, le temps est venu de retrouver la sérénité en apportant un peu de clarté au régime de financement des écoles élémentaires sous contrat.

Bien des choses ont été dites sur l’article 89. Je m’en tiendrai, pour ma part, aux intentions de son auteur, notre collègue Michel Charasse, qui, pour défendre son amendement, affirmait en séance : « À partir du moment où, quoi que l’on en pense sur le fond, on a voulu, à travers les conventions, aligner complètement enseignement public et enseignement privé, je suggère tout simplement que les règles de participation des communes à la scolarisation des enfants dans les écoles privées soient les mêmes que si les enfants sont scolarisés dans les écoles publiques. »

Voilà ce que déclarait en juillet 2004 notre collègue Michel Charasse, et c’est cette volonté que la Sénat a faite sienne en adoptant cet amendement avec l’avis favorable du Gouvernement, représenté à l’époque par M. Jean-François Copé.

Pour des raisons techniques sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, cette volonté s’est perdue dans des sables rédactionnels, contraignant ainsi les ministères concernés à élaborer toute une construction juridique pour redonner à l’article 89 son sens originel : celui d’une disposition paritaire, alignant le régime applicable au privé sous contrat sur celui de public.

Rapportant devant vous en février dernier une proposition de loi d’abrogation, j’affirmais que cette construction était juridiquement fondée et politiquement équilibrée.

Cette position, je la fais toujours mienne, et c’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose aujourd’hui de la graver dans la loi. Par nature, une construction juridique est toujours fragile ; il faut donc désormais lui assurer l’assise solide de la loi.

C’est l’objet de l’article 1er du texte, qui pose un principe simple : une commune de résidence n’aura jamais à prendre en charge les dépenses de fonctionnement liées à la scolarisation dans le privé sous contrat d’un élève dans un cas où elle n’aurait pas dû le faire pour un élève scolarisé dans le public.

Pour que les choses soient plus claires encore, les quatre cas en question sont nettement explicités. Une commune de résidence n’aura donc à acquitter cette contribution pour un élève du privé sous contrat que si l’une de ces quatre conditions suivantes est remplie.

Première condition, la commune ne dispose pas des capacités d’accueil dans l’école publique de sa commune.

Deuxième condition, les obligations professionnelles des parents sont telles qu’elles imposent la scolarisation dans une autre commune, ce qui suppose que la commune de résidence n’ait organisé ni service de garde ni service de restauration.

Troisième condition, des raisons médicales imposent la scolarisation de l’enfant dans une autre commune.

Enfin, quatrième condition, le frère ou la sœur de l’enfant est déjà scolarisé dans cette autre commune.

Ces conditions, mes chers collègues, sont les mêmes que celles qui valent pour le public, à une exception près : l’accord du maire n’a en effet pas à être recherché pour l’inscription dans le privé, alors qu’il doit l’être pour le public.

La formulation est importante : certains ont regretté que l’accord préalable du maire de la commune de résidence ne soit pas requis pour l’inscription dans le privé. Ces regrets appellent d’avance trois remarques.

Tout d’abord, cette procédure d’accord préalable ne serait pas conforme à la Constitution, le Conseil constitutionnel ayant déjà eu l’occasion de juger en 1985 que l’exercice effectif de la liberté garantie par la Constitution qu’est la liberté de l’enseignement ne pouvait être soumis à l’accord préalable d’une quelconque autorité locale.

Ensuite, il n’est pas besoin de poser le principe de l’accord du maire pour garantir l’information de ce dernier. L’article R. 131-3 du code de l’éducation consacre d’ores et déjà le principe d’une transmission par le chef d’établissement, public ou privé, de la liste de ses élèves aux maires de la commune où ceux-ci résident. Cette disposition figure dans les textes ; il conviendrait donc, monsieur le ministre, de la faire systématiquement appliquer.

Enfin, quand bien même le législateur passerait outre la Constitution, ce que personne ne peut imaginer, il se devrait de constater que l’absence d’accord préalable pour la scolarisation dans le privé n’est pas une disposition favorable en soi au privé.

La raison en est simple : dans le public, l’accord du maire est obligatoire et, si ce dernier accepte la scolarisation hors de la commune en dehors des quatre cas obligatoires, il est alors obligé de participer au financement de la scolarité de l’élève en question. Tel n’est pas le cas dans le privé, puisque, en dehors des quatre cas précités, la commune de résidence peu, si elle le souhaite, participer au financement de la scolarité, sans qu’aucune obligation pèse pour autant sur elle.

C’est donc un régime autonome, mais paritaire, que je vous propose de créer aujourd’hui. Un régime autonome, parce qu’il tient compte de la singularité de l’enseignement sous contrat. Un régime paritaire, parce que le public et le privé y sont traités de manière égale compte tenu de leurs spécificités respectives.

Chacune des parties concernées y gagnera : les maires sauront désormais dans quels cas ils auront à verser la contribution prévue par la loi. Quant aux établissements, ils se verront garantir que les financements qui leur sont dus leur seront effectivement versés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Jusqu’à présent, le flou régnait : si les circulaires étaient claires, leur contestation latente, entretenue de tout côté, nourrissait l’insécurité juridique.

Certes, aucune décision de justice n’est venue invalider au fond la position adoptée par les ministères, la seule conforme à l’intention initiale du législateur. En effet, si le Conseil d’État a annulé la première circulaire d’application, c’est pour un motif de pure forme. Quant aux tribunaux administratifs, ils n’ont jamais eu à connaître que de délibérations manifestement illégales des conseils municipaux. Les uns refusaient en effet d’appliquer la loi ; les autres s’abritaient derrière la nécessité d’un accord préalable du maire, qui ne pouvait, à l’évidence, être requis pour le privé sous contrat.

Rien ne nous empêche donc, mes chers collègues, de dissiper l’insécurité juridique qui règne encore et de le faire en consacrant le principe d’un traitement paritaire du public et du privé.

Cela suppose toutefois de garantir aux établissements sous contrat qu’ils ne seront plus victimes, comme c’est encore parfois le cas aujourd’hui, d’un refus de paiement plus ou moins justifié.

L’article 2 de la proposition de loi pose donc le principe d’une intervention préfectorale dans un délai de trois mois : si le préfet est saisi, il devra arbitrer rapidement l’éventuel différend, permettant ainsi aux établissements et aux communes d’être rapidement fixés.

Quant à l’article 3, il procède, par coordination, à la suppression des dispositions existantes. Sur ce point, à tout le moins, nous ne pourrons que nous retrouver, mes chers collègues, puisque l’article 89 sera ainsi abrogé. De même, le premier alinéa de l’article L.442-9 du code de l’éducation sera supprimé. Il prévoyait en effet, depuis 1985, la participation de la commune de résidence aux dépenses de fonctionnement du privé sous contrat.

À cet égard, mes chers collègues, permettez-moi de faire un bref rappel historique.

L’histoire de l’article 89 ne commence pas en 2004. Ses premières racines remontent à 1985. À l’époque, le Sénat avait en effet souhaité poser le principe d’une participation de la commune de résidence au financement du privé en confiant au préfet le soin de trancher les éventuels conflits.

Notre regretté collègue Paul Séramy, alors rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, soulignait que l’absence de recours possible à un arbitrage en cas de désaccord entre les communes sur la répartition des dépenses ne pouvait qu’inciter les communes à ne pas acquitter ces contributions.

Vingt-trois ans après, les faits lui ont donné raison et tout a démontré depuis combien le gouvernement d’alors avait eu tort de refuser cet arbitrage préfectoral, ce refus revenant à vider de son sens le principe de parité.

C’est donc à un feuilleton vieux de près de vingt-trois ans que je vous propose, mes chers collègues, de mettre aujourd’hui un terme. Il revient au demeurant au Sénat de le faire, non pas parce qu’il aurait introduit de la confusion en adoptant l’article 89, mais parce que, depuis vingt-trois ans, il a su repérer les difficultés liées à ces articles et qu’il est donc à même de leur apporter enfin une réponse.

La commission des affaires culturelles a donc adopté la proposition de loi qu’elle vous soumet aujourd’hui.

Ce faisant, elle a ainsi reconnu qu’il s’agit là d’un texte équilibré, qui respecte le libre choix des familles et la stricte parité public-privé, d’un texte aisément applicable qui sera donc facilement appliqué, les préfets se voyant reconnaître toutes les prérogatives nécessaires pour ce faire, et d’un texte que je qualifierais de « gagnant-gagnant ». Les maires connaîtront leurs obligations et les possibilités que leur ouvre la loi. L’enseignement privé saura enfin sur quels financements il peut compter.

Avec Yves Détraigne et l’ensemble de mes collègues qui l’ont cosignée, je vous propose donc d’adopter cette proposition de loi, qui a fait l’objet d’une large concertation avec l’ensemble des formations représentant les maires - l’Association des maires de France, l’AMF, l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, ou l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM -, avec, bien sûr, les ministères concernés, le vôtre, monsieur le ministre, et le ministère de l’intérieur, et avec l’enseignement privé, tout particulièrement l’enseignement catholique.

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