Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 23 juin 2010 à 14h30
Taxation de certaines transactions financières — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de nos collègues du groupe RDSE présente au moins un intérêt : elle met en lumière les enjeux véritables de la crise financière systémique que le monde traverse depuis l’été 2008, crise dont les tenants, les aboutissants et les répliques doivent être plus clairement identifiés.

Dans son rapport, notre collègue Charles Guené, arc-bouté sur la défense des positions les plus libérales, ne dit d’ailleurs pas autre chose. §

Il ne dit pas autre chose quand il indique que les périodes de crise sont propices à l’émergence de propositions tendant à mettre certains des acteurs et des « fauteurs de crise » face à leurs responsabilités.

Tout d’abord, les « fauteurs de crise » ont-ils effectivement pris leur part de responsabilité dans les solutions mises en place pour atténuer les conséquences de la crise et pour en sortir ? Vous savez bien que non ! Ils ont au contraire continué sur la même voie.

Les différentes décisions prises depuis le mois d’octobre 2008 – le plan de sauvetage des banques, la constitution de la Société de financement de l’économie française et de la Société de prises de participation de l’État, ainsi que, dernièrement, le plan dit « de sauvetage de la Grèce » – montrent bien que la crise n’a pas été enrayée, alors que ceux qui en portent la responsabilité s’en sortent plutôt bien.

Le « sauvetage » de la Grèce n’a servi qu’à garantir aux banquiers créanciers de la République hellénique qu’ils rentreraient dans leurs fonds, tandis qu’un plan d’austérité sans équivalent en Europe était imposé aux 11 millions d’habitants de ce pays.

En France, les établissements financiers et les banques n’ont pas eu à respecter – le Gouvernement a eu tort contre tous les autres – le moindre engagement ferme en contrepartie des dispositions qui ont été prises en leur faveur. En conséquence, leurs pratiques n’ont pas varié d’un iota.

Comme le rappellent nos collègues dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi, le Gouvernement avait indiqué que l’aide accordée par l’État aux banques devait s’accompagner d’une reprise des activités de crédit à destination tant des entreprises que des ménages. Or l’accès au crédit a été rendu de plus en plus difficile, pour les petites et moyennes entreprises comme pour les ménages, ce qui a entraîné en 2009 une récession économique près de quatre fois plus importante que la récession mondiale !

En outre, les pratiques de rémunération exorbitante n’ont pas disparu. En effet, moins d’un an après avoir perçu de l’État, via la Société de prises de participation de l’État, 5 milliards d’euros en quasi-fonds propres, la BNP a décidé de distribuer 1 milliard d’euros de bonus et de primes à ses traders et à ses cadres !

Enfin, profitant de la crise et tirant parti de la fragilisation des opérateurs concernés, le Gouvernement a décidé de fouler aux pieds les règles de fonctionnement spécifiques du réseau des caisses d’épargne et des banques populaires. Il est plus que temps que les banques et les compagnies d’assurance de notre pays soient soumises à de nouvelles obligations vis-à-vis de la société tout entière.

La commission des finances est majoritairement défavorable à cette proposition de loi, ce qui n’est guère étonnant compte tenu de l’attitude qui a été la sienne lorsque cette question a été soulevée à d’autres moments. En effet, pendant des années, la commission a défendu la disparition de toute fiscalité sur les opérations boursières. Elle a appelé de ses vœux la libéralisation des transactions financières, voire le développement de l’industrie financière.

Pourquoi refuser une telle taxation alors qu’elle ne vise tout simplement qu’à rendre le système bancaire plus efficace et à lui rappeler que nous ne voulons pas de la spéculation financière ?

Qui a envahi le marché avec des produits dérivés, encourageant une spéculation effrénée, toujours plus consommatrice de liquidités ?

Qui a inventé, perfectionné et mis en œuvre la titrisation ?

Qui, via l’intervention de filiales implantées à l’étranger, parfois dans des paradis fiscaux, spécule contre la dette publique des États, contre l’euro, cette monnaie unique qui devait nous protéger des crises monétaires ?

Qui propose à de généreux contribuables, émigrés fiscaux sans considération pour leur patrie d’origine, des produits financiers toujours plus rémunérateurs, comme le montre le recours croissant aux ventes à découvert, aux CDS, Credit Default Swaps, ces fameuses assurances pour défaut de paiement ? Et je ne parlerai même pas des titres de dette publique française !

Ce sont nos banques et nos compagnies d’assurance, celles-là mêmes que la commission des finances entend préserver de toute nouvelle taxation !

Il ne faudrait ainsi faire aucune peine, même légère, aux tenants du capital et aux spéculateurs. En revanche, il faut mettre la dépense publique au régime sec et allonger la durée de cotisation ouvrant droit à une retraite à taux plein. Tous les arguments avancés dans le rapport ou en commission ne tiennent pas. Ils ne sont que prétextes pour balayer d’un revers de la main la proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières.

La taxation des transactions financières, on le voit bien, est une question de volonté politique, de choix de société. Dénoncer le décrochage entre le système financier spéculatif et l’économie réelle ne suffit pas. Nous avons besoin d’actes concrets.

L’attitude de la majorité de la commission des finances est d’autant plus surprenante que – Mme la secrétaire d’État vient de le confirmer – le Président de la République souhaite qu’un débat sur la taxation des transactions financières ait lieu lors du G20. L’adoption de la proposition de loi donnerait donc du poids à la voix du Président de la République lors de ce sommet.

Les temps changent. Écoutez par exemple le chef de la première puissance économique du monde : il exprime la volonté de faire payer le prix fort à l’une des compagnies pétrolières les plus puissantes de la planète pour les dégâts qu’elle occasionne sur les côtes du golfe du Mexique. Quand on connaît le poids du lobby pétrolier, on mesure le chemin parcouru ! Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les taxations des transactions financières ?

Mes chers collègues, il est plus que jamais légitime de débattre de la proposition de loi relative à la taxation de certaines transactions financières, et ce sans attendre une nouvelle loi de finances rectificative. Pour notre part, nous l’appuierons. §

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