Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons des temps politiques extraordinaires. Il y a peu, certains étaient diabolisés en raison de leur supposée désobéissance aux règles européennes ; aujourd’hui, surprise, ce sont ceux-là mêmes qui se présentaient comme les hérauts de la doxa européenne qui se permettent de désobéir à ces règles…
Le Gouvernement nous présente, en effet, ce programme de stabilité qui aurait dû être transmis à la Commission européenne à la fin du mois d’avril dernier. Et que l’on ne nous dise pas que c’est à cause de l’élection présidentielle : en 2012, comme en 2017, cette échéance n’avait pas empêché la présentation dudit programme par les gouvernements sortants.
Circonstance aggravante, nous nous retrouvons pour en débattre au début du mois d’août, dont on conviendra qu’il s’agit d’une période particulièrement peu favorable à un débat parlementaire approfondi. Comme pour les autres textes de finances publiques, monsieur le ministre, vous avez fait le choix de retarder le calendrier à l’extrême, ce qui n’est absolument pas satisfaisant.
Quelques indiscrétions concordantes, rapportées par la presse, nous indiquent cependant que vous auriez demandé à votre administration de tordre quelque peu les chiffres pour que ceux-ci soient raccord avec votre discours. §Ceci explique peut-être cela…
Que dire, qui plus est, du fait que l’information est transmise à la presse plus de dix jours avant de l’être au Parlement, mettant celui-ci dans l’impossibilité de répondre aux affirmations souvent péremptoires du Gouvernement ? C’est une méthode absolument inadmissible !
Ce point étant rappelé, je tiens à dire combien ce document peut laisser perplexe, comme d’ailleurs cela transparaît dans l’avis très réservé du Haut Conseil des finances publiques.
Bien sûr, nous avons l’habitude, comme la Commission européenne malheureusement, que le programme de stabilité français soit optimiste, peu crédible, renvoyant régulièrement les mesures les plus difficiles pour la fin de la période – prière d’y croire…
De ce point de vue, la relecture du programme de stabilité des finances publiques pour les années 2018-2022 ne manque pas de sel, mais il faut dire que la crise des « gilets jaunes », la pandémie et la crise ukrainienne étaient, sauf peut-être pour la première, difficilement prévisibles.
Cependant, la leçon devrait nous servir : l’ampleur des incertitudes géopolitiques et macroéconomiques doit, me semble-t-il, nous inciter à davantage de prudence, à tout le moins, à présenter des scénarios plus étayés.
Je ne reviens pas sur les chiffres fournis tout à l’heure par le rapporteur général, mais je ne peux que souligner l’existence d’aléas très négatifs, comme les qualifie le HCFP : baisse de la croissance en Allemagne, conflit en Ukraine, difficultés de la Chine, etc.
Je doute aussi que votre scénario intègre l’effet récessif des mesures de ralentissement de la dépense publique que vous préconisez par ailleurs, monsieur le ministre. Selon vos termes, vous prévoyez l’augmentation en volume de la dépense publique la plus faible depuis vingt ans. En raison du contexte politique et social, cela ne semble ni raisonnable ni réaliste, d’autant que ce scénario en dépenses n’est pas très étayé. Vous en restez à des objectifs très généraux, qui peuvent d’ailleurs être partagés par tous : la priorisation des dépenses d’avenir et la réduction des dépenses inefficientes, qui peut être contre ?
Pour les administrations publiques locales, les modalités de leur contribution sont pour le moins nébuleuses. Les administrations de sécurité sociale devront participer à l’effort avec la poursuite de la transformation du système de santé, dont on ne mesure pas bien les effets en termes d’économies.
Les seules dispositions concrètes citées sont les réformes des retraites et de l’assurance chômage.
Or il paraît difficile que la réforme des retraites, qui devait à l’origine être une mesure non pas d’économies budgétaires, mais d’équité, puisse apporter rapidement des recettes.
Concernant l’assurance chômage, vous tablez sur une amélioration durable du marché du travail. Nous l’espérons comme vous, mais sur quels fondements cette prévision optimiste repose-t-elle ?
Concernant les recettes, vous annoncez une poursuite des baisses d’impôts, tournées cette fois vers les seules entreprises, au nom d’une « politique de l’offre » qui viendra fragiliser encore davantage nos finances publiques. Je doute fort que le problème de compétitivité de nos entreprises relève avant tout d’un problème fiscal.
En contrepartie, vous évoquez la remise en cause de niches fiscales et sociales peu efficaces, mais sans aucune illustration ni chiffrage. Bref, vous ne dites rien !
Quoi qu’il en soit, il me semble plus que jamais nécessaire de consolider nos recettes fiscales pour financer les politiques publiques dont notre pays a besoin, notamment en matière d’investissements.
J’espère que le projet de loi de programmation des finances publiques précisera une trajectoire des finances publiques aujourd’hui à peine ébauchée et, au fond, peu crédible en l’état.
Finalement, monsieur le ministre, votre feuille de route budgétaire ressemble franchement plus à une mise en garde pour vos collègues dépensiers du Gouvernement qu’à une proposition sérieuse transmise à la Commission européenne et aux parlementaires.