Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 1er août 2022 à 15h00
Loi de finances rectificative pour 2022 — Discussion générale

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous pensons tous que l’État doit apporter son soutien à ceux qui sont confrontés à ce nouveau contexte des prix qui s’envolent depuis quelques mois, contexte qui touche aussi bien les entreprises et les collectivités que nos concitoyens, singulièrement les plus fragiles d’entre eux. Tel est, notamment, l’objet de ce projet de loi de finances rectificative.

Depuis la crise sanitaire, la France semble s’être habituée à une réponse permanente des pouvoirs publics à chaque crise.

Or il faut trouver le bon niveau de réponse, sans risquer d’entretenir l’inflation ou de rendre ensuite plus difficile le financement de nos dépenses, dans un contexte de hausse des taux et de renchérissement de la dette, et sans oublier l’état de nos finances publiques, qui continuent de se dégrader de manière préoccupante.

Le ministre chargé des comptes publics vient de déclarer que nous serions passés du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte ? ».

Selon moi, monsieur le ministre, le « combien ça coûte ? » coûte aussi cher que le « quoi qu’il en coûte », avec déjà 40 milliards d’euros consacrés aux réponses apportées à l’accélération de l’inflation cette année, le risque étant que cela dure encore un certain temps.

Le texte qui nous est soumis prend acte de la dégradation de la situation économique depuis décembre dernier, avec une prévision de croissance du PIB qui baisse ainsi de 4 % à 2, 5 %. Alors que celle-ci pouvait paraître quelque peu optimiste, de bonnes nouvelles sont arrivées de l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques, vendredi dernier, avec une première estimation de la croissance économique au deuxième trimestre de 2022 qui est plus rassurante et qui donne du crédit à cette prévision.

J’observe toutefois que la consommation des ménages continue de baisser et que les indicateurs conjoncturels sont au plus bas. Je note aussi que le FMI vient de réviser sa prévision de croissance pour l’année 2023 de 1, 3 % à 1 %. Il nous faut donc rester prudents.

Le projet de loi de finances rectificative traduit aussi le contexte inflationniste dans lequel nous évoluons, qui contribue non seulement à dégrader la consommation des ménages et l’investissement des entreprises et, par suite, nos perspectives de croissance, mais également à accroître le niveau des taux d’intérêt, notamment ceux des obligations souveraines.

Dans l’ensemble, les mesures prises par l’État – bouclier tarifaire, remise à la pompe, indemnité inflation, etc. – ont eu des effets positifs sur l’évolution des prix et le revenu des agents. Néanmoins, messieurs les ministres, ces résultats ont évidemment un revers : celui de l’aggravation de la situation des comptes publics, soit, en clair, leur détérioration.

Certes, le PLFR révise à la hausse les prévisions de recettes publiques pour 2022, avec 50 milliards d’euros supplémentaires au titre des prélèvements obligatoires. Mais, en parallèle, les dépenses publiques augmentent de 60 milliards d’euros.

Le niveau de nos dépenses publiques n’est donc plus tout à fait en phase avec les objectifs de la loi de programmation, les dépenses primaires s’établissant à 5 % au-dessus de leur niveau prévu.

À cet instant, je constate que votre gouvernement laisse filer la dépense, alors même que nous sommes confrontés au défi tant redouté de la dégradation des conditions de financement de notre dette : la charge de la dette – M. Attal vient de le rappeler – représente cette année 18 milliards d’euros supplémentaires ; excusez du peu !

L’analyse du seul budget de l’État illustre très concrètement la politique du « combien ça coûte ? » du Gouvernement.

Ainsi, les ouvertures de crédit de 53, 8 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 47, 6 milliards d’euros en crédits de paiement sont les plus élevées jamais observées dans un collectif budgétaire depuis l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). C’est considérable !

Les seules dépenses pilotables sont en hausse de 27 milliards d’euros, dont 18, 1 milliards d’euros supplémentaires par ce seul projet de loi de finances rectificative. J’ai le sentiment qu’il n’y a plus de pilote pour les dépenses de l’État !

Le texte anticipe un déficit de 177, 8 milliards d’euros, en hausse de 25 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale. En revanche, l’endettement au titre de l’année 2022 se maintient.

Pour autant, c’est bien toujours avec une dette que le déficit est financé, à savoir celle qui a été contractée il y a deux ans, en 2020 : l’État avait alors dimensionné ses émissions de titres de dette par rapport au déficit prévu en milieu d’année, et le déficit s’était révélé moins élevé que prévu. L’État a conservé cette trésorerie surabondante, qu’il propose d’utiliser pour financer le déficit actuel.

Pour résumer, mes chers collègues, ce PLFR prévoit 50 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, financées par 30 milliards de surcroîts de ressources et par 20 milliards d’euros de dette émise il y a deux ans.

Vous le voyez, les dépenses nouvelles s’accumulent pour la troisième année consécutive. Or, si l’on pouvait espérer que la crise sanitaire soit temporaire, ce n’est pas le cas de la crise énergétique et environnementale qui s’annonce.

On verra peut-être le prix du carburant et du gaz redescendre temporairement, si les tensions internationales viennent à s’apaiser. Mais, ne nous y trompons pas, c’est un monde nouveau qui s’annonce, auquel nous devons nous adapter et dans lequel les mesures budgétaires ne pourront pas constituer des réponses durables : le soutien du pouvoir d’achat par la dépense publique a atteint ses limites.

Très prochainement, ce sera l’heure des choix douloureux. Quelle dépense publique voulons-nous ? À quel niveau ? Quelles priorités fixons-nous, alors que nous ne pourrons plus nous financer aussi facilement par la dette et que la dette accumulée pèsera dans nos comptes ?

Compte tenu de ces éléments, vous comprendrez que je n’aie pas proposé à la commission des finances de nouveaux dispositifs qui viendraient s’ajouter à la liste, déjà longue, de ceux qui sont prévus dans le projet de loi pour le pouvoir d’achat et dans le PLFR.

Le texte, tel qu’il est issu de l’Assemblée nationale comprend des avancées qui vont dans le bon sens, comme la hausse du plafond applicable pour la défiscalisation des heures supplémentaires, ou encore la « monétisation » des RTT. Il faut en effet soutenir les salariés, en ces temps de pénurie de main-d’œuvre, et offrir de la souplesse dans la gestion du temps de travail.

La commission des finances propose d’ailleurs un amendement qui vise à rendre pérenne la hausse du plafond applicable à la défiscalisation des heures supplémentaires, à 7 500 euros ; je vous remercie, monsieur le ministre, de l’avis bienveillant que vous avez bien voulu donner à cet égard.

Soutenir la valeur travail et les salariés les plus exposés, les plus précaires, c’est également ce qui a guidé notre choix de remplacer la prime de rentrée exceptionnelle, réservée aux minima sociaux, par une majoration exceptionnelle « coup de pouce » de la prime d’activité.

S’il faut mettre fin à la « politique du chèque permanent », nous prévoyons en revanche une rallonge de la participation financière de l’État à l’exercice des missions des banques alimentaires à hauteur de 40 millions d’euros, afin de tenir compte des importantes difficultés d’approvisionnement qu’elles connaissent.

En ce qui concerne le bouclier mis en place au titre de l’énergie, nous nous rallions globalement à ce qui a été décidé, notamment avec un soutien, pour tous et plus important, par le biais de la remise carburant. Je suis aussi favorable à l’extension du bouclier tarifaire aux ménages qui se chauffent au fioul. Les 230 millions d’euros votés à l’Assemblée nationale ne seront pas de trop.

Pour autant, j’estime que nous arrivons au bout de la logique : la transition écologique doit être menée, il nous faut recouvrer notre souveraineté énergétique et l’état de nos finances publiques ne nous permettra pas de poursuivre ainsi au-delà de la fin de cette année. Par exemple, la mesure sur le fioul doit être ciblée, si l’on veut qu’elle représente un soutien financier suffisamment important pour ceux qui en ont besoin et pour éviter le saupoudrage.

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