Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce premier budget du second quinquennat d’Emmanuel Macron s’inscrit dans un contexte particulier, tant sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, nous vivons une période de hausse de l’inflation sans précédent depuis les années 1980, qui met à mal notre économie et le pouvoir d’achat des Français. La crise actuelle fait suite à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, mais aussi à la crise économique sans précédent que nous avons traversée après les périodes de confinement liées à la pandémie.
Sur la forme, ce collectif budgétaire s’inscrit dans un contexte politique inédit, avec une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui permet au Président de la République de découvrir au bout de cinq ans ce qu’est la démocratie représentative. Le Parlement revient au centre du jeu, une place qu’il n’aurait jamais dû quitter, et nous nous en félicitons !
Le contexte est donc singulier et appelle, pour ces deux raisons de fond et de forme, à la plus grande responsabilité de notre part. Notre groupe au Sénat n’a cessé depuis cinq ans de mener une opposition constructive au Gouvernement, mû par le seul sens de l’intérêt la France. Dans le nouvel équilibre politique actuel, notre responsabilité dans l’opposition est de convaincre le Gouvernement du bien-fondé de nos propositions. Notre pays ne peut plus se permettre de perdre encore cinq ans, sinon il sera sans doute trop tard.
Le contexte d’argent magique et d’argent soi-disant gratuit a également changé. Le retour de l’inflation contraint les banques centrales et les institutions monétaires à réagir.
La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine (FED) a décidé une nouvelle hausse de taux exceptionnelle de 0, 75 %, comme celui du mois dernier, qui constituait déjà un record depuis 1994. Au total, la FED a relevé son taux directeur de 2, 25 % depuis le début d’année. La semaine dernière également, la Banque centrale européenne (BCE), pour la première fois depuis onze ans, a relevé son principal taux de 0, 5 %.
Cela a conduit à un relèvement des taux d’intérêt : les taux américains à dix ans ont dépassé les 3 % en mai dernier et les OAT (obligations assimilables du Trésor) à dix ans, qui nous concernent, ont largement dépassé les 2 % en juin. Je rappelle que les taux d’intérêt étaient encore négatifs en décembre 2021.
Aujourd’hui, le taux d’intérêt se situe entre 1, 5 % et 1, 6 %. Mais, selon l’Agence France Trésor, un point de taux d’intérêt, c’est 2, 5 milliards d’euros supplémentaires de charge de la dette et, selon la Banque de France, 40 milliards d’euros par an au bout de dix ans.
À cela s’ajoute l’effet de la hausse de l’inflation, sur laquelle 10 % de notre dette est indexée. Là encore, un point d’inflation en plus, c’est 2, 5 milliards d’euros de charge de la dette en plus.
La charge de la dette était, depuis de nombreuses années, le troisième poste de dépense de l’État après l’enseignement scolaire et la défense. Elle est passée de 38 milliards d’euros à 51 milliards d’euros en un an ! Elle vient ainsi de dépasser le budget de la défense et, à ce rythme, elle pourrait devenir le premier budget de l’État !
Imaginez tout ce que nous pourrions faire avec 50 milliards d’euros pour le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité de nos entreprises !
Le gouverneur de la Banque de France vient de mettre en garde le Gouvernement en indiquant qu’« il serait illusoire de penser que notre dette est encore sans coût et sans limites ». Il juge également que « la France ne peut pas se permettre de transmettre un tel poids de dette à sa jeunesse ». Quant au Haut Conseil des finances publiques, il estime pour sa part que notre endettement est un « point de vulnérabilité ».
Voilà un mois, le ministre de l’économie et des finances semblait découvrir le problème, en estimant que nous avions atteint « la cote d’alerte sur nos finances publiques », alors même que, quatre mois plus tôt, il déclarait : « Contrairement à ce que disent tous les Cassandre […] pour la campagne électorale, l’économie française se porte très bien »…
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir mis en garde le Gouvernement de façon répétée, durant le précédent quinquennat, au Sénat, contre la remontée des taux d’intérêt. Nous avons insisté régulièrement sur la nécessité de réaliser des économies et des réformes structurelles.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Les différentes crises n’expliquent pas tout. Autant il était nécessaire de soutenir et de relancer notre économie durant la dernière période, ce que nous avons approuvé, autant le « quoi qu’il en coûte » a été général et a servi à couvrir certaines dépenses qui n’avaient rien à voir avec la crise. Bref, hausse des dépenses et absence d’économies…
En effet, la diminution de 50 000 postes dans la fonction publique d’État et la réforme des retraites ont été abandonnées lors du précédent quinquennat, alors qu’il s’agissait de promesses du candidat Macron. Ce dernier nous assure désormais que cette réforme se fera lors de ce quinquennat, mais devons-nous l’en croire ? Cette mesure a déjà été repoussée d’un an, jusqu’à l’été de 2023, alors que, nous le savons très bien, les réformes les plus difficiles doivent être engagées dès la première année d’un mandat.
C’est la raison pour laquelle nous proposerons, lors de l’examen de ce collectif budgétaire, que la mise en place de la carte Vitale biométrique se fasse sans attendre. Nous n’avons pas besoin d’une mission parlementaire supplémentaire pour savoir que cette réforme engendrera des économies.
Les économies sont nécessaires pour financer les dépenses, car celles-ci ne doivent pas être payées par un surcroît de recettes. Comme la Cour des comptes l’a très bien souligné, les recettes imprévues doivent aller au désendettement de notre pays. Or toutes les dépenses de ce PLFR sont financées par une hausse des recettes, qui est d’ailleurs liée, en grande partie, à la hausse de l’inflation.
Ce n’est pas sain, monsieur le ministre, surtout quand vos prévisions de recettes sont fondées sur une croissance que nous jugeons, à l’instar du Haut Conseil des finances publiques, surestimée.
La croissance française pâtit en réalité d’une vraie pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs.