Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.
Madame la Ministre, je vous souhaite la bienvenue à la délégation aux droits des femmes du Sénat, qui vous entend pour la première fois depuis la formation du gouvernement d'Élisabeth Borne.
Votre nomination au Gouvernement a suscité au sein de notre délégation beaucoup d'enthousiasme : je ne doute pas que nous trouverons en vous une interlocutrice engagée et disponible pour défendre à nos côtés les droits des femmes. Votre parcours et vos engagements passés sont en effet la preuve de votre dévouement ancien à cette cause, notamment en tant que magistrate très investie dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et en tant que haute fonctionnaire chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes au sein du ministère de la justice.
Vous aviez d'ailleurs été nommée, dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, par la garde des Sceaux de l'époque, Nicole Belloubet, pilote des actions de lutte contre les violences faites aux femmes et êtes à l'origine de nombreuses propositions prônant une approche et un traitement particuliers de ces violences.
Sans constituer à proprement parler une présentation de votre « feuille de route » officielle puisqu'elle est toujours en cours d'élaboration, notre audition d'aujourd'hui doit être l'occasion pour vous de nous présenter les grands axes et les priorités de votre action de ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes.
En matière de lutte contre les féminicides notamment, quel bilan tirez-vous, près de trois ans après les annonces gouvernementales, de l'application des mesures du Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes ?
Le nombre de féminicides recensés en 2021 était de 113, contre 103 en 2020. Le décompte au 16 juillet 2022, réalisé par les associations, fait état de 59 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon.
Si des mesures concrètes ont été mises en oeuvre (distribution de téléphones grave danger et de bracelets anti-rapprochement, ordonnances de protection, places d'hébergement pour les femmes victimes...), les statistiques concernant le nombre de femmes tuées dans le cadre de violences conjugales ne faiblissent malheureusement pas. Doit-on y voir un échec de ces mesures ? Un défaut d'ambition dans leur conception et leur application ?
On pense bien évidemment à l'exemple espagnol que vous citez d'ailleurs, Madame la Ministre, dans votre livre intitulé Liberté, égalité, survie, publié en 2020. L'Espagne a pris ce phénomène à bras le corps et a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité politique et budgétaire. Comme vous l'indiquez dans votre ouvrage : « L'Espagne a bâti une politique ambitieuse de lutte contre les violences de genre, objet depuis 2017, d'un pacte d'État, voté à l'unanimité par les deux assemblées parlementaires, avec plus de 200 mesures à décliner pendant 5 ans. »
Comment la France pourrait-elle s'inspirer du modèle espagnol selon vous ?
La situation des enfants exposés aux violences intrafamiliales, eux-mêmes victimes directes ou indirectes, nous préoccupe également particulièrement au sein de la délégation : comment les protéger plus efficacement ? Comment les prendre en charge lorsqu'ils ont été témoins de l'irréparable ? Comment reconnaître pleinement leur statut de victimes de violences conjugales ? Il faut, une fois pour toutes et quelles que soient les circonstances, placer l'intérêt de l'enfant au-dessus du principe de coparentalité, de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement par le parent violent.
Une proposition de loi en ce sens avait été déposée par nos collègues députés sous la précédente législature : quel avenir pourra lui être réservé sous la présente mandature ?
Autre sujet d'actualité : le droit à l'IVG et son éventuelle inscription dans la Constitution. Madame la Ministre, vous avez récemment déclaré : « Nous savons que la Cour Suprême des États-Unis a privé le droit à l'avortement de cette protection constitutionnelle. (...) Il faut vraiment que nous mettions le verrou de la Constitution pour garantir le droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. »
Concrètement, le Gouvernement est-il prêt à déposer un projet de loi constitutionnelle en ce sens ? Soutenez-vous la demande du Parlement européen d'inscription de l'IVG dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ?
Enfin, permettez-moi de vous exposer brièvement les sujets d'actualité de notre délégation qui vous feront peut-être réagir.
Nous avons beaucoup travaillé sur la situation des femmes dans les territoires ruraux et avons présenté en début de session un rapport intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité, dont vous avez pu prendre connaissance. Ce travail de plusieurs mois, mené en commun par huit co-rapporteurs représentant tous les groupes politiques du Sénat, a permis de montrer que les inégalités entre les femmes et les hommes sont décuplées dans les territoires ruraux et se cumulent avec les inégalités territoriales.
Nous avons également consacré nos travaux cette année à l'industrie de la pornographie et présenterons notre rapport sur ce thème fin septembre. Notre constat sur les violences envers les femmes générées par cette industrie est alarmant et nous oblige à imposer dans le débat public la question de la lutte contre les violences pornographiques.
Enfin, nous avons également publié un rapport sur le bilan d'application des dix ans de la loi Sauvadet imposant des obligations paritaires dans la haute fonction publique.
Madame la Ministre, je vous laisse la parole, et proposerai ensuite à mes collègues d'intervenir.