Intervention de Isabelle Lonvis-Rome

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 27 juillet 2022 : 1ère réunion
Audition de Mme Isabelle Lonvis-rome ministre déléguée auprès de la première ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes de la diversité et de l'égalité des chances

Isabelle Lonvis-Rome, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances :

ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. - Madame la Présidente, chère Annick, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, je me réjouis de m'exprimer face à vous aujourd'hui pour la première fois - comme vous l'avez souligné Madame la Présidente - depuis ma prise de fonction à ce ministère que j'aime bien qualifier de « ministère de combat », tant les droits des femmes ne sont jamais acquis, tant ils demeurent fragiles et méritent toute notre vigilance, toute notre attention et toutes nos forces.

J'avais déjà pu l'observer lors de mes précédentes fonctions de magistrate et de haute fonctionnaire à l'égalité du ministère de la justice : je connais l'importance et la qualité des travaux de votre délégation.

Si, comme vous l'avez rappelé, ma feuille de route n'est pas encore totalement arrêtée, cette première rencontre est l'occasion à la fois de vous écouter et de nouer un premier dialogue.

À travers mes propos liminaires, je reviendrai sur le bilan de ces cinq dernières années et vous présenterai ma méthode ainsi que les grands axes sur lesquels je compte travailler avec vous.

Vous l'avez rappelé, Madame la Présidente, dans votre introduction : bien qu'il enregistre une tendance baissière depuis 2020, le nombre de féminicides reste à un niveau trop élevé.

Ce chiffre reste morbide et doit chuter, c'est l'objet de tout notre combat.

Trop longtemps ignorées, les violences faites aux femmes viennent de loin et demeurent encore la face sombre de notre société. Néanmoins au cours de ces cinq dernières années, un véritable décillement et une révolution culturelle se sont opérés.

Il faut rappeler la forte mobilisation sociale et sociétale autour des violences faites aux femmes et des violences conjugales, qui a provoqué aussi une forte mobilisation politique avec l'organisation du Grenelle des violences conjugales en 2019, des lois nouvelles, des dispositifs nouveaux. On voit bien que, comme souvent dans l'Histoire, des droits des femmes notamment, la prise de conscience sociétale précède la prise de conscience politique et, ensuite, viennent toutes les mesures qui en découlent.

En toile de fond, c'est une révolution culturelle qui s'accomplit sous nos yeux, y compris dans les pratiques des différents professionnels qui doivent mettre en place ces mesures. Il me semble aussi que les victimes parlent davantage et que la société les écoute enfin.

Mais le chemin vers l'éradication de ces violences reste encore long. Nous sommes cependant, je le crois, devenus intolérants face à cet intolérable. Ce combat contre les violences faites aux femmes est un combat éminemment républicain ; il nécessite une exigence de tous les instants et transcende les clivages partisans.

Il me semble que le bilan du Gouvernement et de la majorité parlementaire en la matière est solide.

Du Grenelle des violences conjugales que vous avez évoqué, ont découlé quatre lois et 54 mesures, dont 46 ont été mises en oeuvre à ce jour. Au sein de ces 54 mesures sont incluses les huit mesures qui ont été ajoutées à la suite du féminicide de Mérignac en juillet 2021, et qui mettent donc un peu plus de temps à être mises en oeuvre.

Un enjeu érigé en priorité par le Président de la République et qui, dans la pratique, a mobilisé - comme vous le savez - tous les ministères puisqu'il touche tous les domaines de la vie quotidienne. Je précise que j'ai réuni, le 11 juillet dernier, un comité de suivi des mesures du Grenelle des violences conjugales avec l'ensemble des directions représentant les différents ministères pour vérifier l'état d'avancement des mesures. Je me propose, si vous en êtes d'accord, de vous en faire une restitution détaillée quasiment mesure par mesure au mois de septembre, sous le format qui vous conviendra.

Mieux protéger les victimes, c'est d'abord mieux accueillir leur parole.

157 000 policiers et gendarmes ont ainsi reçu une formation pour un meilleur accueil et accompagnement des victimes. Lors de leur formation initiale, 100 % des élèves policiers et gendarmes ont été formés à cette question.

En parallèle, depuis le Grenelle, 417 intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries ont été recrutés, dont quarante dans les territoires ultramarins.

Il s'agit désormais d'une priorité pour nos forces de l'ordre.

Comme l'a indiqué le ministre de l'intérieur le 1er août 2021, les plaintes pour violences conjugales doivent être traitées en priorité et avec toute la spécificité que requiert ce type de délit ou crime.

Il s'agit d'un véritable changement culturel et d'une nécessité absolue pour favoriser à la fois la libération de la parole des victimes et la sanction des auteurs.

Par ailleurs, le contrôle de la détention et de l'acquisition des armes a également été renforcé dans le cadre du projet de loi responsabilité pénale et sécurité intérieure.

Dans ce sillon, la France a été, en 2018, le premier pays au monde à verbaliser le harcèlement de rue en créant l'infraction d'« outrage sexiste ».

Conformément aux engagements pris par le Président de la République à Nice le 10 janvier dernier, nous veillerons, avec le ministre de l'intérieur, à doubler la présence policière dans les transports en commun, ainsi qu'à tripler l'amende pour harcèlement de rue.

Mieux protéger les victimes, c'est aussi déployer les dispositifs assurant leur sécurité.

Sous l'impulsion du garde des Sceaux, nous avons vu un véritable essor de tous les dispositifs de protection. J'évoquerai ainsi l'ordonnance de protection, cette mesure civile que peut prendre un juge aux affaires familiales, qui permet de prononcer l'éloignement du conjoint violent et, dans le même temps, d'organiser la vie de la famille.

3 554 ordonnances de protection ont été délivrées en 2021 (contre 1 308 en 2017). Il est intéressant de constater que le taux d'acceptation des demandes augmente, ce qui démontre une plus grande maîtrise de ce dispositif par les différents professionnels, tant les juges aux affaires familiales que les barreaux et les associations. Les requêtes sont sans doute mieux formulées et donnent lieu à davantage de réponses positives. En 2021, le taux d'acceptation atteignait 67,8 %. À date, il est de 71,7 %.

S'agissant des téléphones grave danger (TGD) - un dispositif qui a fait ses preuves - il y a eu en 2021 plus de 1 600 interventions des forces de l'ordre, ce qui correspond à autant d'agressions évitées. Le nombre de téléphones a explosé depuis 2017 puisqu'aujourd'hui 4 076 téléphones sont déployés et disponibles sur l'ensemble du territoire, dont 3 211 attribués. Je rappelle qu'en 2019, avant le début du Grenelle, nous avions 300 téléphones attribués. L'objectif est d'atteindre le déploiement de 5 000 TGD d'ici la fin 2022.

Protéger la victime, c'est aussi prévenir la récidive des auteurs. Il est donc indispensable de prendre en charge cette violence : il n'y a pas de protection efficace des victimes sans prévention de la récidive et prévenir la récidive, c'est prendre en charge la violence des auteurs. Présidente de cour d'assises, j'ai vu de trop nombreux accusés comparaître avec des casiers judiciaires qui comportaient déjà des condamnations pour des violences sur des compagnes précédentes, ce qui démontre qu'il existe un problème de violence intrinsèque à ces personnes dangereuses. Il faut donc traiter cette violence.

C'est dans cet esprit qu'ont été mis en place depuis 2020 trente centres de prise en charge des auteurs de violences sur tout le territoire - dans l'Hexagone et en outre-mer - afin de lutter contre la récidive et de prévenir le passage à l'acte. 6 016 personnes ont été reçues dans ces centres de prise en charge.

Notre arsenal législatif s'est également renforcé grâce au concours du Parlement.

Je pense notamment à la proposition de loi que vous avez portée, Madame la Présidente, qui s'est traduite par un allongement du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs, passé de vingt à trente ans, ainsi que par l'instauration d'une présomption de non-consentement pour les mineurs de moins de 15 ans.

À la suite de l'engagement du Président de la République au cours de la campagne présidentielle, avec le garde des Sceaux, nous travaillerons au développement d'une justice spécialisée dans le traitement des violences intrafamiliales.

Mieux protéger les victimes, c'est aussi les mettre à l'abri, parfois dans l'urgence absolue.

Afin de mettre à l'abri les victimes de violences, le Gouvernement a ouvert 1 000 places d'hébergement d'urgence dédiées en 2020 et 1 000 supplémentaires en 2021, avec une revalorisation de 30 % du coût des places en 2021 pour permettre un meilleur accompagnement. En effet, il avait souvent été souligné que les femmes se retrouvaient parfois dans des foyers mixtes où pouvaient être présents des hommes peu fréquentables. C'est pourquoi un effort a été accompli afin d'éviter cela, afin d'accueillir plus souvent les enfants de ces femmes et de mieux les accompagner sur le plan social et psychologique.

2 000 places seront à nouveau créées cette année. Le parc total, doté de 9 038 places aujourd'hui, a ainsi augmenté de 80 % depuis 2017. Il s'agit d'une hausse sans précédent.

Avec le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, je travaillerai à renforcer la répartition territoriale de ces places dans l'Hexagone - j'ai conscience que la répartition n'est pas encore équitable en métropole - et en outre-mer.

Je travaillerai aussi à mieux coordonner les acteurs qui oeuvrent pour prendre en charge les femmes qui ont quitté leur domicile afin qu'elles puissent reprendre une « vie normale ». Je souhaite vraiment ouvrir ce chantier et y travailler. Lorsqu'une femme obtient une mesure de protection, il est nécessaire que la vie lui soit facilitée, que son autonomie soit favorisée par un accompagnement plus resserré sur le plan social.

Mieux protéger les victimes, c'est également leur offrir des structures d'accueil dédiées. À l'instar de La Maison des femmes de Saint-Denis, de nombreuses structures travaillant de manière holistique ont vu le jour ces dernières années. Sous un même toit, elles permettent aux victimes de bénéficier de l'expertise d'une palette de professionnels qui les accompagnent du soin physique et psychologique à la réinsertion professionnelle. C'est encore un chantier important. Avec le ministre de la santé et de la prévention, nous travaillerons à en renforcer le maillage territorial. Cette prise en charge sanitaire, psychologique et sociale des victimes est absolument capitale.

Mieux protéger les victimes, c'est aussi démultiplier les espaces de libération de la parole. La possibilité de prise de plainte à l'hôpital ainsi que le recueil de preuves sans dépôt de plainte préalable constituent dès lors des avancées à la fois extrêmement concrètes et significatives. Ainsi, 3 363 examens ont été réalisés au cours du 1er semestre 2022 dans le cadre du recueil sans plainte, soit une augmentation de 40 % par rapport à l'an dernier sur la même période. C'est très important car nous savons toutes et tous que, parfois, les victimes consultent un médecin et effectuent un prélèvement, mais ne sont pas encore prêtes à déposer plainte. Or, ne pas garder ce prélèvement revient à faire disparaître la preuve et donc, à ne pas faire reconnaître le statut de victime ni la culpabilité de l'agresseur.

En d'autres termes, comme vous le savez, ce combat contre les violences - premier pilier de la Grande cause du quinquennat - mobilise l'ensemble du Gouvernement.

Car les violences s'immiscent dans toutes les sphères de notre société et ignorent les frontières géographiques, sociales ou culturelles. Pour reprendre le titre de votre rapport sur les femmes en ruralité, il ne doit y avoir en la matière aucune « zone blanche ».

Comme vous l'avez signalé, Madame la Présidente, et c'est pour moi un sujet très important sur lequel je souhaite m'investir avec la plus grande des sincérités et le plus grand engagement, vous avez consacré à l'industrie de la pornographie des travaux que je sais très approfondis dont j'attends les résultats avec impatience. Je tiens d'ores et déjà à saluer ce courage que vous avez eu de prendre ce sujet à bras le corps, car il constitue un angle mort sur lequel nous devons mettre la lumière.

Vous pourrez compter sur moi pour avancer sur ce sujet important.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, l'égalité entre les femmes et les hommes ne se réduit pas à la lutte contre les violences. Les questions de santé des femmes ont également été au coeur de l'agenda du Gouvernement et de la majorité.

Je pense par exemple aux moyens inédits déployés pour lutter contre la précarité menstruelle ainsi qu'à la Stratégie nationale de lutte contre l'endométriose lancée par le Président de la République.

Je pense aussi à l'allongement de douze à quatorze semaines du délai de recours à l'IVG, une liberté fondamentale que vous avez évoquée dans votre introduction, Madame la Présidente, et qu'il convient de sécuriser juridiquement. En effet, nous l'avons observé avec effroi récemment aux États-Unis : le vent du conservatisme souffle fort et érode des acquis que nous pensions, peut-être naïvement, définitivement inamovibles.

C'est pourquoi, avec la Première ministre, nous soutenons résolument la constitutionnalisation de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Je me réjouis que le Parlement s'en soit saisi, signe que notre pays ne cèdera aucun millimètre face à la régression qui s'opère au-delà de nos frontières.

Par ailleurs, avec le ministre de la santé et de la prévention, nous travaillerons à lancer le bilan de fertilité préventif pour tous dès l'âge de 29 ans ainsi qu'à instaurer la possibilité pour toutes les femmes de recourir à une consultation pré-ménopause prise en charge intégralement par la Sécurité sociale.

L'égalité professionnelle, clé de l'émancipation des femmes, constitue aussi une priorité. Beaucoup a été accompli par le Gouvernement et la majorité parlementaire lors du précédent quinquennat.

Je pense bien entendu à la création en 2018 de l'Index de l'égalité professionnelle, un outil de transparence pour résorber les inégalités salariales et qui a déjà fait les preuves de son efficacité.

Je pense aussi à la loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, dont je veillerai très attentivement aux effets concrets.

Je pense enfin à l'allongement du congé paternité de quatorze à vingt-huit jours, en vigueur depuis le 1er juillet 2021.

Cet enjeu d'équilibre entre vies personnelle et professionnelle doit être encore renforcé.

Avec mes collègues ministres des solidarités et du travail, nous travaillerons à renforcer les dispositifs concernant la garde d'enfant ainsi que les besoins spécifiques des familles monoparentales, majoritairement dirigées par des femmes.

En lien avec mes collègues du Gouvernement ainsi qu'avec vous, je veux également travailler sur la mixité des filières professionnelles. Il faut élargir le cercle des femmes susceptibles de pouvoir accéder à des postes de responsabilité dans les domaines scientifiques, notamment celui du numérique. Nous savons que si les jeunes filles et les femmes n'accèdent pas à ces métiers d'avenir, cela signifie de facto qu'elles seront exclues de ces postes à responsabilité dans quelques années. L'enjeu est donc particulièrement fort, nous ne devrons pas rater ce train vers l'émancipation économique pour toutes les femmes.

Avec le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, nous avons parfaitement conscience que les inégalités femmes-hommes s'enracinent dès l'enfance. C'est pour moi un chantier très important que j'ai d'ores et déjà ouvert. Si vous le souhaitez, j'aimerais pouvoir vous associer à ce travail parce que travailler sur l'égalité filles-garçons, lutter contre les stéréotypes, mettre en oeuvre l'éducation à la vie affective et sexuelle sont des enjeux sociétaux. Je pense qu'il doit être pris avec le plus grand des sérieux et mérite une concertation à laquelle je souhaite vous associer, si vous en êtes d'accord.

Il est indispensable de lutter très tôt contre les stéréotypes, car c'est une manière de prévenir à terme les violences faites aux femmes.

L'enjeu de la parité ne s'arrête bien entendu pas aux frontières du secteur privé. La fonction publique doit être exemplaire en la matière. Permettez-moi de saluer l'important travail d'évaluation que vous avez mené sur les dix ans de la loi Sauvadet. Comme je l'ai dit hier soir, je suis tout à fait preneuse d'un compte rendu que vous accepteriez de me faire sur ce rapport, car je pourrais le porter auprès de mon collègue ministre de la fonction publique. Nous pourrons organiser une rencontre en ce sens.

Mesdames les Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, le combat pour l'égalité est une longue bataille, qui doit engager toute notre société.

Notre responsabilité, en tant qu'acteurs politiques, est immense. Je la mesure pleinement. Pour réussir, nous avons absolument besoin les uns des autres. Nous devons travailler en confiance et en synergie. Nous avons une obligation de résultats, à la fois individuelle et collective.

Je dirai aussi que les droits des femmes ne sont ni sécables ni aliénables. Fragiles, ils doivent être constamment protégés. Ils ne doivent céder le pas ni à la fatalité, synonyme de résignation, ni aux dogmes quels qu'ils soient, antagonismes de la liberté. C'est ensemble que nous ferons avancer l'égalité entre les femmes et les hommes.

Permettez-moi d'employer deux termes qui me sont chers, sans doute pas politiquement corrects mais régulièrement employés. C'est avec vous en sororité, Mesdames les Sénatrices et avec vous en fraternité, Messieurs les Sénateurs, que nous pourrons avancer.

Je sais que je peux compter sur vous car je connais déjà la qualité de vos travaux. Vous pouvez aussi compter sur moi.

Je me tiens à votre disposition pour toutes les questions que vous voudrez me poser.

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