Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 20 juillet 2022 à 10h00
Audition de M. Rodolphe Saadé président-directeur général de cma cgm

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, vice-présidente de la commission des affaires économiques :

Merci infiniment, monsieur Saadé, d'avoir accepté cette audition. La présidente Sophie Primas vous prie de l'excuser, elle est retenue dans son département pour des obsèques. Je sais qu'elle aurait aimé être là.

Le groupe CMA CGM (Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime) est un fleuron français et le beau succès d'une entreprise familiale, ancrée à Marseille sur le port de la Joliette dans la tour Zaha-Hadid. Premier armateur français et troisième armateur mondial de porte-conteneurs, son chiffre d'affaires s'élève à 50 milliards d'euros en 2021 et il emploie la bagatelle de 160 000 salariés dans le monde, pour une flotte de près de 600 navires.

Je voudrais d'abord revenir sur le contexte pour le moins incertain dans lequel votre groupe est parvenu à se développer.

Les restrictions aux échanges pendant la pandémie de covid-19 ont été un test de résilience majeur pour une entreprise comme la vôtre, qui joue un rôle absolument central dans la mondialisation des échanges. On prédisait des lendemains difficiles pour le transport maritime international, avec une activité durablement atrophiée. Or, il n'en a rien été : on a plutôt connu des embouteillages, des pénuries et des hausses de prix, avec une croissance de 8 % de la demande de conteneurs au premier trimestre 2021.

Mais s'agissait-il d'un simple rebond lié à la reconstitution de stocks ? Il semble que, depuis peu, l'on revienne à des volumes plus classiques : on a enregistré au premier trimestre 2022 une baisse de la demande mondiale de conteneurs de 1 %. Est-ce un simple retour aux tendances normales du commerce mondial, est-ce dû au ralentissement industriel de la Chine, ou est-ce dû au contraire à des problématiques logistiques, par exemple une forme de congestion de nos ports ou une hausse des tarifs de fret dans un contexte d'inflation ?

Portée par cette conjoncture, CMA CGM est devenue en 2021 l'entreprise française qui a dégagé le plus de bénéfices - 18 milliards de dollars -, devant TotalEnergies. Et il est dit que l'année 2022 sera encore meilleure. Au premier trimestre, vous avez affiché un spectaculaire bénéfice net de 7,2 milliards de dollars, pour un chiffre d'affaires de 18,2 milliards de dollars, en hausse de 70 %. Aussi ma deuxième question porte sur les origines de ces bénéfices qui ont suscité de nombreux commentaires, voire des propositions de taxation de ces profits, considérés comme des surprofits.

Dans ce contexte, vous avez annoncé, à compter du 1er août, « des mesures ciblées pour contribuer à l'effort de modération des prix à la consommation pour les ménages français », en complément d'un gel des taux de fret déjà décidé à l'automne pour les contrats « spot », de court terme, qui représentent 20 % de vos activités. À nouveau, ces mesures consisteraient en des baisses de taux de fret - 500 euros pour un conteneur 40 pieds -, mais uniquement pour les importations de la grande distribution en France - pour les outre-mer, toutes les importations sont concernées. Pourriez-vous, monsieur le président-directeur général, détailler l'articulation de ces mesures ciblées avec les précédentes et leur durée d'application ? Cela signifie-t-il que, dans certains cas, vous devrez travailler à prix coûtant, voire à perte ?

Surtout, quel est l'impact attendu de ces réductions, d'abord sur la chaîne logistique et, ensuite, sur le pouvoir d'achat des consommateurs ? Pourriez-vous, si tant est que cela soit possible, nous détailler la composante « transport maritime » dans le prix de vente de produits emblématiques que vous transportez, en particulier les biens de première nécessité ? Pour beaucoup, en effet, l'impression est que ce coût reste marginal dans le coût total, comparé par exemple aux coûts de production, mais aussi aux autres coûts logistiques : coûts de stockage, de manutention portuaire, de transport routier, etc.

À propos de la chaîne logistique, j'aimerais maintenant m'attarder sur votre stratégie de diversification de vos activités.

Traditionnellement centré sur le transport maritime, vous avez initié une concentration verticale, amont et aval, par des acquisitions hors de votre coeur de métier, en diversifiant vos activités pour vous rapprocher du consommateur : rachat de CEVA Logistics en 2019, spécialiste des entrepôts, et de Colis Privé, concurrent de La Poste dans les livraisons, en février 2022. Au-delà du transport maritime, vous êtes ainsi devenu un acteur à part entière de la logistique terrestre. Votre but est-il de maîtriser l'ensemble de la chaîne logistique pour sécuriser vos activités traditionnelles ? Ou cherchez-vous au contraire à vous déplacer peu à peu vers l'aval, dont on imagine qu'il connaît des taux de marge plus importants ?

Par ailleurs, vous avez conclu un partenariat avec Air France-KLM en devenant son actionnaire stratégique, via une montée à son capital à hauteur de 9 % - 400 millions d'euros. Champion européen du fret, vous compléterez votre flotte de porte-conteneurs par une flotte d'avions-cargos. Sur quelle analyse des évolutions du commerce mondial cette entrée au capital se fonde-t-elle ? Quelle sera la temporalité du redressement d'Air France-KLM, dont on sait qu'il doit encore rembourser un quart des aides d'État dont il a pu bénéficier durant la crise ?

J'aimerais terminer par une réflexion plus prospective et plus générale sur les évolutions du commerce extérieur.

Notre commission des affaires économiques vient de publier un rapport sur la souveraineté économique et certains voient poindre une régionalisation du commerce, puisque plusieurs États cherchent à raccourcir les chaînes de valeur, voire à relocaliser.

Or, nous avons acquis la conviction que l'un des leviers pour renforcer notre souveraineté économique est la diversification de nos fournisseurs, de nos sources d'approvisionnement. À ce jour, vous desservez 420 ports dans le monde, mais on sait que certains gros ports concentrent l'essentiel des flux - Rotterdam, Anvers ou Le Havre en Europe, Shanghai en Chine. Dans quelle mesure pouvez-vous être un acteur à part entière de cette stratégie de diversification ? Vous paraît-elle économiquement viable et rentable ou les économies d'échelle rendent-elles cette diversification peu crédible ?

Je laisse le président Jean-François Longeot vous interroger sur les tendances actuelles du transport maritime de marchandises et sur les enjeux de décarbonation du secteur.

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