Après l'analyse des facteurs expliquant l'inflation et justifiant les demandes de hausses de tarifs, nous allons étudier maintenant plus spécifiquement l'application de la loi Égalim 2 et de ses mécanismes. Après un bref bilan des négociations commerciales, je vous présenterai les axes d'amélioration de la loi.
Comme l'a indiqué Daniel Gremillet, pour les marques nationales, les négociations de mars 2022 ont débouché sur une hausse des prix de 3,5 %, bien loin de la hausse de 7,2 % demandée. Il semblerait d'ailleurs, selon certains industriels, que les besoins étaient en réalité plus proches des 10 %, mais que les demandes ont été moindres, parce que les conditions générales de vente ont été envoyées avant le début de la guerre en Ukraine.
La demande d'une hausse de 7,2 % des prix se justifierait pour 45 % par l'augmentation du coût des matières premières agricoles, pour 30 % par celle du prix des emballages, et pour 20 % par l'évolution du prix de l'énergie et des transports. Il faut d'ailleurs noter que 10 % des négociations ont fini dès décembre 2021, avant même l'entrée en vigueur de la loi Égalim 2.
Nous l'avons vu, une écrasante majorité des industriels ont utilisé le droit de rouvrir les négociations commerciales au-delà du 1er mars pour soumettre de nouvelles demandes de tarifs, et ce afin de tenir compte de l'envolée des coûts de production. Or, mi-juillet, seule la moitié environ des renégociations pour les marques nationales sont achevées. Cela veut dire que, pour 50 % des demandes, l'ancien tarif court toujours, malgré l'augmentation continue du coût des matières premières. L'état d'avancement de ces renégociations varie d'un distributeur à l'autre, certains semblant plus disposés à valider des hausses de tarifs importantes, qui compensent même une partie de l'évolution du prix des matières premières industrielles, tandis que d'autres refusent catégoriquement de discuter de cette partie du tarif, et n'acceptent - éventuellement ! - que les hausses de prix liées aux matières premières agricoles.
Le débat est en effet complexe : si le besoin des fournisseurs est pris en compte, soit les prix augmentent de près de 10 % dans les rayons, soit la distribution rogne sur ses marges. Si le besoin n'est pas entièrement pris en compte, c'est l'industrie qui doit resserrer ses marges, déjà malmenées par dix ans de déflation.
Par ailleurs, si les négociations pour les marques nationales semblent traîner en longueur, celles qui touchent aux MDD ont été plus rapides et sont presque toutes conclues à l'heure actuelle. Plusieurs raisons expliquent cela : premièrement, les distributeurs craindraient davantage la rupture de rayons pour un produit sous MDD que pour une marque nationale, car les MDD sont la « marque de fabrique » de l'enseigne ; deuxièmement, les marges des distributeurs étant plus élevées sur les MDD, ils peuvent plus facilement concéder les hausses de tarifs demandées que dans le cas des marques nationales ; troisièmement, enfin, d'après les distributeurs, le niveau de transparence et de confiance aurait été plus élevé dans le cas des MDD qu'avec les multinationales produisant des marques nationales.
Daniel Gremillet en a parlé, le niveau de tensions entre industriels et distributeurs est inédit, chacun rejetant la faute sur l'autre : les premiers accusent les seconds d'être trop fermes et de gagner du temps pour instaurer un rapport de force déséquilibré, tandis que les seconds accusent les premiers de demander des hausses inconsidérées ou injustifiées. Or la situation actuelle intervient lors de la première année de mise en oeuvre de la loi Égalim 2, ce qui a contribué à tendre encore un peu plus les relations commerciales.
Pour rappel, la loi Égalim 2 a pour objectif de protéger le revenu agricole en sanctuarisant, de l'amont à l'aval, les matières premières agricoles : lorsque le coût des intrants pour les agriculteurs augmente, la loi dispose que le prix qui leur est payé doit être révisé à la hausse. De même, l'industriel qui paie plus cher les produits agricoles doit pouvoir répercuter ce surcoût auprès du distributeur. Pour cela, la part des matières premières agricoles dans le tarif du fournisseur est rendue non négociable. En outre, des clauses de révision automatique des prix doivent être insérées dans les conventions signées entre industriels et distributeurs, de sorte que, si le prix évolue entre l'agriculteur et l'industriel, il évolue également entre l'industriel et l'agriculteur.
Nous avons toujours eu, au Sénat, de sérieux doutes quant à l'efficacité d'un tel mécanisme en cascade : d'une part, cette loi ne concerne qu'une partie du revenu des agriculteurs ; d'autre part, nous avons constamment alerté sur le fait que, puisque les matières agricoles sont désormais sanctuarisées, la dureté des négociations se reportera sur les matières premières industrielles.
Eh bien, c'est exactement ce qu'il s'est passé : lors du « round n° 1 » des négociations, les hausses demandées au titre de l'évolution du prix du transport et de l'énergie ont, dans l'ensemble, été refusées ou n'ont été acceptées que de façon très réduite - sauf exception - et celles qui étaient relatives au prix des emballages ont été satisfaites à hauteur de seulement 20 %, ce qui correspond, selon les industriels, à environ 5 % du besoin pour les matières premières industrielles. Lors du « round n° 2 », toujours en cours, il semble qu'il n'y ait que très peu de hausses demandées au titre des matières premières industrielles qui soient acceptées par les distributeurs.
La prise en compte des matières agricoles est donc satisfaisante, quoiqu'elle intervienne toujours avec un effet de retard, mais, au-delà de cet aspect, l'application de la loi Égalim 2 reste perfectible.
Cette loi est, je le rappelle, inflationniste par définition, puisque son principe même consiste à pouvoir répercuter, de l'amont agricole jusque dans les tarifs payés par la distribution, l'évolution des matières premières agricoles. Les mécanismes qu'elle introduit créent donc une boucle d'inflation qui, si elle est relativement discrète lorsque les prix des intrants sont à peu près stables, peut prendre des proportions considérables lorsque le coût des intrants - alimentation pour animaux, engrais, machines agricoles, énergie... - évolue fortement à la hausse. Or, selon le principal syndicat agricole, l'indice des prix d'achat des moyens de production agricoles (Ipampa), qui agrège les différents coûts de production agricole, a justement augmenté de 24 points entre avril 2021 et avril 2022.
Nous avons identifié plusieurs axes d'amélioration de la loi Égalim 2.
Premièrement, une piste permettant de fluidifier les relations commerciales et d'accroître la transparence consisterait à prévoir que le tiers de confiance, chargé de certifier que la négociation n'a pas porté sur la part des matières agricoles, interviendra non pas à l'issue, mais dès le début ou au cours des négociations.
Je m'explique : pour que la part des matières agricoles soit non négociable, il faut que le distributeur sache ce qu'elle représente dans le tarif qui lui est soumis. L'industriel a le choix entre trois options pour la faire connaître : l'une d'elles consiste à faire appel à un tiers de confiance pour certifier, in fine, que la négociation a bien sanctuarisé la part des matières agricoles ; cela permet à l'industriel de ne pas dévoiler complètement le contenu de ses produits au distributeur. Il se trouve que 80 % des entreprises ont choisi cette option, mais tous les acteurs entendus ont indiqué que cette intervention post-négociation est trop tardive : elle oblige les parties à négocier « à l'aveugle » ou sur la base uniquement de ce qu'affirme l'industriel, ce qui n'est pas idéal compte tenu du niveau de défiance entre les parties, sans parler des tiers de confiance qui, plusieurs mois après la négociation, n'ont toujours pas envoyé leur certification.
Nous proposons que le tiers de confiance intervienne avant la fin des négociations : l'industriel pourrait par exemple accompagner ses conditions générales de vente d'un document certifiant que les hausses demandées au titre de l'évolution des matières agricoles sont bien fiables et sincères. Cela apaiserait les négociations et permettrait à ces dernières de débuter sur de bonnes bases.
Deuxièmement, nous pensons que les clauses de révision automatique des prix, librement définies par les parties, sont trop peu encadrées. En effet, elles ont engendré, à elles seules, une négociation dans la négociation. Souvent, leur contenu a été abordé à la toute fin des négociations, dans la précipitation. Ni les industriels ni les distributeurs ne semblent y avoir accordé une grande importance. Les seuils de déclenchement demandés par certaines enseignes de la grande distribution semblent irréalistes : clause qui ne s'active qu'au bout de neuf mois ou que si la hausse des intrants dépasse 50 %. Nous pensons donc utile de fixer un plafond d'activation et de préciser, soit dans la loi soit par voie réglementaire, une périodicité maximale, par exemple un trimestre. Sans cela, ces clauses ne s'activeront tout simplement jamais, ce qui videra une partie de la loi de sa substance.
Troisièmement, il nous semble regrettable que le Gouvernement ne se préoccupe pas davantage de cette situation. Un comité de suivi des négociations se réunit tous les jeudis, mais aucune décision importante ne semble en émaner. Certes, la charte d'engagement signée le 18 mars 2022 par les industriels et les distributeurs sous l'égide des ministres de l'agriculture et de l'économie a permis de rouvrir les négociations commerciales, qui étaient normalement achevées, mais non seulement elle n'engage que ceux qui le veulent bien, puisqu'elle n'est pas contraignante, mais en outre les engagements formels qui y figurent sont très vagues...
Il nous semble que le Gouvernement devrait à tout le moins disposer d'indicateurs fiables et objectifs et les transmettre au Parlement : ces indicateurs porteraient sur l'avancée des négociations, enseigne par enseigne, en distinguant selon que le produit est une marque nationale ou une MDD et en distinguant entre les PME et les multinationales. Sans cela, l'opacité règne, alors que ces négociations sont fondamentales à la fois pour la vie des entreprises et le pouvoir d'achat des Français.
Autre exemple du désintérêt manifeste du Gouvernement pour cette question : les lignes directrices de la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) concernant les pénalités logistiques, permettant la bonne application de l'intention du législateur, n'ont été définies que le 11 juillet dernier, alors que l'encadrement de ces pénalités date d'octobre 2021 et que nous les avons redemandées en commission en mars dernier !
Enfin, il me semble nécessaire de dire un mot du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte (SRP+10). Nous ne savons toujours pas, trois ans après, ce que sont devenus les 600 ou 800 millions d'euros environ engrangés par la grande distribution. Nous avons bien entendu des hypothèses - nous pensons notamment que cette manne n'a pas été redistribuée aux agriculteurs, mais a plutôt servi à rendre compétitives les MDD et à fidéliser les clients sous forme de points et de remises -, mais nous nous heurtons toujours à un silence pudique des pouvoirs publics et des distributeurs sur ce sujet. Après des demandes répétées, le Gouvernement a enfin lancé une mission sur ce sujet...
Pourtant, le SRP+10 n'est pas efficace ou utile dans toutes les filières. Dans la filière « fruits et légumes », par exemple, les producteurs eux-mêmes demandent qu'il y soit mis fin. Aussi, puisque l'expérimentation se termine en avril 2023, nous pensons utile d'étudier, filière par filière, l'opportunité de supprimer ce dispositif, en fonction de son impact concret. Cette piste permettrait de concilier défense du pouvoir d'achat et défense du revenu agricole.
Ces différentes préconisations pourront trouver une traduction législative lorsque nous serons saisis d'un texte relatif à l'agriculture ou aux négociations commerciales.
Voilà, mes chers collègues, un résumé des travaux du groupe de suivi de la loi Égalim.