Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 19 juillet 2022 à 15h40
Bilan de la politique de la ville — Examen du rapport d'information

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur :

C'est grâce à ce nouveau regard, mais aussi à notre expérience de terrain, que nous avons procédé à une évaluation de l'application de la loi Lamy du 21 février 2014 sur laquelle se fonde, encore aujourd'hui, la politique de la ville. Nous voulons préparer sa révision. Nous proposons donc de compléter les objectifs et d'améliorer les outils.

La politique de la ville est essentiellement une politique visant à assurer l'égalité des territoires entre eux, avec l'objectif de les ramener dans la moyenne. Cet objectif reste nécessaire, même s'il est difficile à atteindre ; cependant, nous croyons qu'il faut y ajouter de manière plus explicite sa fonction de tremplin pour les habitants. Si des habitants de quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) en partent parce que leur situation s'est améliorée, ce n'est pas un échec de la politique de la ville : bien au contraire !

Cette évolution de l'objectif doit nous conduire à savoir l'évaluer. Or, nous sommes confrontés à un paradoxe. D'un côté, la politique de la ville suscite une multitude de rapports, de l'autre, on déplore l'absence d'une évaluation sérieuse. Comment concevoir qu'une politique qui mobilise tant de moyens, qui touche 5,4 millions d'habitants, qui présente autant d'enjeux politiques et qui demeure contestée, ne soit pas dotée d'un suivi plus robuste ?

Nous formulons trois propositions à ce sujet.

Premièrement, l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) créé par la loi Lamy est en « état de mort cérébrale ». Son prédécesseur, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus), comptait plus de dix équivalents temps plein : il n'y en a plus que deux actuellement... Un renforcement des moyens est absolument nécessaire, notamment pour lancer des études de cohortes sur les trajectoires territoriales et individuelles des habitants, et ce dans la durée.

Deuxièmement, il faut changer de culture et intégrer l'évaluation d'objectifs concrets aux programmes.

Troisièmement, il faut accompagner les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour l'évaluation de leurs actions. Nous avons vu un très bon exemple à Valenciennes, où les responsables se sont appuyés sur le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Dans ce cadre, il faut aussi faciliter la levée du secret statistique, qui en vient rapidement à empêcher la réalisation des travaux. De même, il convient de travailler sur les discriminations en fonction de l'origine réelle ou supposée et du lieu de résidence.

Nous recommandons ensuite d'améliorer les outils et le fonctionnement de la politique de la ville.

Au niveau national, nous demandons à la Première ministre de reprendre d'urgence le pilotage interministériel de la politique de la ville, comme le faisait Jean Castex. La convocation d'un comité interministériel des villes (CIV), selon un rythme semestriel, c'est-à-dire dès cet été, nous paraît être le premier signal politique et opérationnel à donner. Nous voulons ensuite que l'État se mobilise en donnant une visibilité sur les crédits de la politique de la ville, et ce dans la durée. Nous demandons, par conséquent, la mise en chantier d'une loi de programmation de la ville, sur le modèle de ce qui se fait pour les armées et la justice. Enfin, nous voulons que les différents ministères mobilisent leur droit commun : la signature de nouvelles conventions interministérielles dans ce but nous paraît également devoir être lancée par Matignon. Il n'y en a plus depuis 2016 !

À l'échelon local, nous voulons favoriser la complémentarité et le dialogue entre l'État et les villes, le préfet et les maires. Dans mon département des Alpes-Maritimes, les cités éducatives et les « bataillons de la prévention » sont de bons exemples du travail approfondi qui a été fait pour s'emparer de ces programmes, pour les adapter au territoire et pour les conforter par un tour de table de financeurs. L'adaptation aux réalités locales et la capacité à créer une véritable dynamique entre tous les acteurs font la réussite d'un projet. Cela fonctionne si, à l'échelon local, le portage politique et administratif est fort et transverse. Nous pensons également qu'il est souhaitable d'expérimenter la délégation des crédits de la politique de la ville aux EPCI. Il s'agit d'une demande de plusieurs grandes agglomérations. La Cour des comptes préconise elle-même de territorialiser plus fortement la politique de la ville. La proposition, nous l'avons constaté, ne fait pas consensus : elle pourrait affaiblir le ministère de la ville, que nous souhaitons plutôt renforcer ; la dotation de solidarité urbaine (DSU) est d'ores et déjà cinq fois plus importante. Cependant, il ne faut pas s'interdire d'expérimenter, si les EPCI en font la demande, et d'évaluer, avant d'aller éventuellement plus loin : il ne s'agit pas d'une décentralisation générale.

Nous voulons ensuite renforcer le tissu associatif des quartiers, qui s'est beaucoup délité. Nous proposons de sortir des appels à projets systématiques, qui limitent les capacités d'initiative et mettent en concurrence territoires et associations : à cet effet, favorisons les conventions pluriannuelles, notamment pour aider les associations à grandir. Nous demandons à généraliser l'accompagnement des associations de grande proximité et à leur réserver des enveloppes de crédits.

Concernant la participation des habitants, nous estimons qu'il faut réformer les conseils citoyens, dont les résultats sont très hétérogènes. Nous plaidons pour plus de souplesse à l'exemple des conseils de quartier, pour plus de logique de projet avec des moyens appropriés ; nous proposons de remplacer le droit d'interpellation du préfet, inopérant et anachronique, par celui du conseil municipal ou de l'instance de pilotage du contrat de ville.

Enfin, nous pensons qu'il faut favoriser l'implication des entreprises en faveur des quartiers à travers les conventions de revitalisation, comme cela se fait dans les Alpes-Maritimes, à travers les critères de performance extra-financière, avec des clauses spécifiques pour cofinancer les actions ciblées en faveur des publics des QPV, mais aussi par le biais de la fondation qui était prévue en 2014 et qui n'a jamais vu le jour.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion