Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 21 juillet 2022 à 10h10
Recherche et innovation — Constellation de connectivité sécurisée européenne - proposition de résolution européenne

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Je tiens également à remercier la commission des affaires européennes, et en particulier son président Jean-François Rapin, d'avoir associé la commission des affaires économiques à l'élaboration de cette proposition de résolution européenne.

Le projet européen de constellation de connectivité présente en effet des enjeux importants en matière de télécommunications, de concurrence et de développement économique des filières industrielles spatiales française et européenne.

Je souhaiterais insister sur quatre points.

L'urgence est de mise si l'Union européenne souhaite se positionner sur le segment des constellations spatiales de connectivité et s'affirmer dans la durée comme une puissance spatiale de premier plan.

En effet, le déploiement de telles constellations nécessite l'utilisation d'une ressource limitée, peu connue et pourtant indispensable, à savoir les fréquences de radiocommunications. Les États membres doivent mettre à disposition ces fréquences pour le compte de l'Union européenne, afin de permettre les usages gouvernementaux de cette constellation.

Les disponibilités du spectre de radiofréquence et de l'orbite basse étant limitées, il apparaît que seul le fonctionnement de quatre à cinq constellations de connectivité, au maximum, serait réaliste dans de bonnes conditions. Les nouvelles générations de constellations comme Starlink de SpaceX, Kuiper d'Amazon ou OneWeb se développent rapidement et sont déjà partiellement opérationnelles. Autrement dit, il est grand temps pour l'Union européenne de déployer sa propre constellation souveraine de connectivité.

Dans cette perspective, la France est le seul État membre à avoir indiqué à la Commission européenne mettre à disposition des fréquences militaires pour les usages gouvernementaux de la constellation. Ces fréquences disponibles ne sont actuellement pas utilisées. La France dispose d'un droit d'usage prioritaire sur ces fréquences auprès de l'Union internationale des télécommunications (UIT) jusqu'en octobre 2027. Afin que ce droit d'usage prioritaire ne soit pas perdu, le premier satellite de la constellation européenne devra donc être mis en orbite au plus tard à cette date. Toutefois, la Commission européenne ambitionne un déploiement bien plus rapide, dès 2024, et ce afin d'être dans la course des quatre ou cinq premières constellations.

Au regard du coût estimé du déploiement d'une telle constellation, d'au moins 6 milliards d'euros - sans compter les coûts de maintenance et de renouvellement régulier de la flotte de satellites -, et compte tenu de la vitesse à laquelle la Commission européenne souhaite mettre en oeuvre ce projet, il me semble important d'insister sur les bénéfices que pourrait apporter une telle constellation, que certains sous-estiment sous prétexte que nous pourrions nous satisfaire de la fibre.

Le développement en orbite basse offre des avantages décisifs en matière de réduction des temps de latence et d'amélioration de la vitesse de connexion, les satellites étant plus proches de la Terre qu'en orbite géostationnaire.

Ces avantages sont importants pour les usages gouvernementaux, notamment militaires, mais également pour les usages commerciaux : la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, le guidage de précision des bateaux ou encore le développement des objets connectés, et même les jeux en ligne.

Les avantages sont également considérables pour les particuliers. L'objectif est ainsi de fournir à la population européenne des services satellitaires de connectivité complémentaires à ceux qui sont permis par les réseaux terrestres de télécommunications, notamment pour les zones habitées qui ne pourront pas être couvertes par une seule et même technologie.

Par exemple, si la France est le pays de l'Union européenne le plus avancé dans le déploiement de la fibre optique, cette vitesse de déploiement n'est pas toujours gage de qualité de service, et le raccordement d'entreprises et de particuliers dans les zones montagneuses et peu denses et dans les territoires ultramarins demeure incertain. Ce sont d'ailleurs principalement dans ces zones que se situent les 4 000 abonnés dont dispose Starlink en France.

En outre, c'est faire affront à l'avenir que de penser que nous pourrions nous passer d'une constellation de satellites à l'heure où toutes les grandes puissances en font une priorité, où nous prônons plus de souveraineté numérique et alors que nous découvrons de nouvelles vulnérabilités liées notamment aux catastrophes naturelles. Ainsi, nous enterrons de moins en moins la fibre ; qu'adviendrait-il si une partie du réseau aérien était rendu inopérant par des tempêtes ou des incendies ?

Nous nous devons donc, au Sénat, de soutenir le déploiement d'une telle constellation qui viendra répondre à des besoins grandissants de connectivité ainsi qu'aux carences vécues par une partie de la population européenne et par plusieurs entreprises, le but étant de résorber les zones blanches dans nos territoires et de renforcer la connectivité, assurant ainsi une plus grande résilience de nos systèmes de télécommunications.

Le soutien que nous apportons à ce projet n'ignore toutefois pas les conséquences de ce déploiement en matière d'encombrement de l'espace et, à terme, de prolifération des débris spatiaux.

Selon les estimations de l'Agence spatiale européenne (European Space Agency - ESA), il y aurait en orbite plus d'un million de débris. Sur les 12 000 satellites lancés depuis les années 1950, seuls 4 500 sont encore opérationnels, tandis que la plupart des autres satellites toujours en orbite ne sont plus utilisés.

Il me semble important d'oeuvrer pour un alignement des calendriers, la Commission européenne ayant récemment proposé l'élaboration de règles communes en matière de gestion du trafic spatial, dans un double objectif de limitation de la pollution spatiale et de promotion d'une concurrence équitable entre les différents opérateurs concernés.

Cette nouvelle réglementation devra être pleinement en vigueur au moment du déploiement de la constellation afin de promouvoir, au niveau européen, un usage plus durable et plus responsable de l'espace, dans la continuité des efforts réalisés par la France lors de l'adoption de la loi sur les opérations spatiales en 2008.

Enfin, et je me permets d'insister sur ce dernier point, nous devons promouvoir une approche stricte de la préférence européenne. Autrement dit, les satellites de la constellation européenne devront être déployés par des lanceurs européens depuis des bases de lancement situées sur le territoire de l'Union européenne. Il s'agit là d'un enjeu primordial de souveraineté, afin de nous permettre de disposer, dans la durée, d'un accès autonome à l'espace.

Affirmer la préférence européenne en matière d'infrastructures spatiales est également un moyen de soutenir, à long terme, le développement et l'innovation de l'industrie spatiale française et européenne, que ce soit les acteurs historiquement établis ou de nouvelles start-up du New Space.

En effet, il serait regrettable que le déploiement d'infrastructures spatiales gouvernementales, financées par des fonds publics, bénéficie avant tout aux lanceurs américains et aux acteurs économiques extraeuropéens. C'est un enjeu de souveraineté, mais également de retour sur investissement de l'argent public investi, car les retombées économiques d'un tel projet devraient d'abord bénéficier aux entreprises et aux territoires de l'Union européenne.

En contrepartie, tous les efforts déployés permettant d'affirmer une préférence européenne en matière spatiale devraient s'accompagner d'engagements supplémentaires de la part des entreprises spatiales européennes, afin qu'elles assurent la cadence et la fluidité des lancements européens.

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