Je suis heureux d'accueillir les représentants de la commission des affaires économiques pour le dernier point de notre ordre du jour, qui concerne l'examen d'une proposition de résolution européenne (PPRE) relative au programme européen de constellation satellitaire sécurisée. Ce texte, que j'ai déposé il y a quelques jours avec mes collègues André Gattolin et Anne-Catherine Loisier, est le fruit d'un travail commun à nos deux commissions.
La politique spatiale européenne est déterminante pour notre souveraineté économique. Ce sera d'ailleurs l'un des sujets traités lors de la prochaine Conférence interparlementaire européenne sur l'espace (European Interparliamentary Space Conference - EISC) que le Sénat accueillera les 15 et 16 septembre prochains et qu'organisent conjointement la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des finances, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes.
Je tiens à excuser l'absence de Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et du groupe de travail sur l'espace, qui m'a chargé de la représenter.
Je tiens également à remercier la commission des affaires européennes, et en particulier son président Jean-François Rapin, d'avoir associé la commission des affaires économiques à l'élaboration de cette proposition de résolution européenne.
Au vu des enjeux que soulève le projet de la Commission européenne concernant la connectivité, les télécommunications, la concurrence et le développement économique des industries spatiales française et européenne, il nous a effectivement semblé important de pouvoir travailler ensemble, dès le départ, sur ce sujet.
Les travaux menés en commun par nos deux commissions nous permettent également, dans une certaine mesure, de préparer et d'affiner nos positions, en tant que parlementaires français, en vue de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace, cette année présidée par le Sénat, sous le haut patronage de son Président.
Le 16 février 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement européen visant à créer une constellation de connectivité sécurisée européenne. Cette constellation consisterait en un groupe de satellites artificiels travaillant de concert, avec un triple objectif. Le premier est de fournir un accès à Internet à haut débit pour tous les Européens, c'est-à-dire de mettre fin aux zones blanches - ce que nous ne parvenons pas à faire par voie terrestre. Le deuxième est d'assurer une redondance des systèmes de communications terrestres, afin d'assurer la continuité et la résilience des télécommunications européennes. Enfin, le troisième objectif est d'offrir à l'Union européenne et aux entités gouvernementales de ses États membres des services européens autonomes de télécommunications par satellite sécurisés, afin de ne pas dépendre de manière critique d'infrastructures et de services spatiaux de pays tiers ou d'entités contrôlées par des pays tiers.
Afin de mieux garantir la confidentialité des communications gouvernementales, la constellation devrait, à terme, être sécurisée grâce à des technologies d'informatique quantique et post-quantique. Les entités gouvernementales autorisées à utiliser les services gouvernementaux sécurisés seront désignées par chaque État membre, sur le modèle de ce qui existe déjà pour le service public réglementé du système Galileo.
Ce projet européen survient dans un contexte de multiplication des constellations satellitaires de télécommunications, notamment en orbite basse. Je ne citerai que les plus connues, parmi lesquelles les constellations Starlink, de SpaceX, dont quelque 2 700 satellites sont déjà en orbite, OneWeb, qui en compte déjà près de 200, et bientôt la constellation Kuiper d'Amazon, mais il en existe bien d'autres, y compris de petites constellations privées. D'autres sont prévues par de grands États comme la Chine ou la Russie. Cependant, il ne s'agit pas seulement de suivre le mouvement.
La multiplication récente des crises, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles ou de conflits armés, montre toute la pertinence, pour l'Union européenne, de disposer de réseaux de télécommunications sécurisés et redondants. Malgré les risques de collision pouvant survenir entre ces satellites, voire de destruction malveillante par un tiers, les réseaux de télécommunications par satellite demeurent nettement moins vulnérables que les infrastructures terrestres.
À ce titre, disposer d'une constellation de connectivité autonome serait précieux pour l'Union européenne, notamment pour la gestion de crises environnementales ou humanitaires, y compris hors des frontières de l'Union. Rappelons-nous comme nous avons tous applaudi Elon Musk lorsqu'il a mis à la disposition des Ukrainiens les services de connectivité de Starlink, pour pallier les destructions d'infrastructures terrestres de communication, dès les premiers jours du conflit en Ukraine.
Le volet gouvernemental sécurisé aurait aussi une forte valeur ajoutée pour les opérations militaires extérieures, ainsi que pour tous les usages institutionnels des États membres et de l'Union hors du territoire européen. Nous pensons, bien sûr, aux connexions avec nos représentations et nos ambassades partout dans le monde.
Le programme spatial de l'Union européenne adopté en 2021 comporte déjà une composante de télécommunications gouvernementales sécurisées par satellite, dénommée GovSatCom. Son principe est de mettre en commun les ressources publiques et privées disponibles dans l'Union en matière de télécommunications par satellite, afin d'optimiser leur utilisation par les gouvernements des États membres. Le règlement spatial de 2021 prévoit, à l'issue d'une première phase, qui court jusqu'en 2025, une évaluation du programme. Si l'approche par la mise en commun apparaissait alors insuffisante pour faire face à l'évolution de la demande, la possibilité est ouverte de développer, dans une deuxième phase, des capacités spatiales additionnelles, dans le cadre d'un ou plusieurs partenariats public-privé.
De fait, dans un contexte de rivalités et de tensions géopolitiques accrues, les besoins croissants de communications gouvernementales de l'Union et des États membres ne peuvent être satisfaits par les capacités actuellement disponibles au niveau de ces derniers. Par ailleurs, aucun État membre ne dispose, isolément, des financements nécessaires au lancement d'une constellation de connectivité sécurisée pour son seul usage. Pour cette raison, la France, qui est pourtant en pointe au niveau européen dans le domaine spatial, soutient fortement le projet de constellation européenne.
La Commission européenne justifie également sa proposition par la nécessité de mieux sécuriser les communications gouvernementales contre l'aggravation des menaces « cyber », en utilisant des technologies de cryptographie quantique et post-quantique. Or les clefs de cryptographie quantique ne peuvent pas, en l'état actuel des technologies, être transportées par la fibre, ce qui signifie qu'il est impossible d'utiliser les technologies quantiques, et a fortiori post-quantiques, pour sécuriser des communications transitant par les réseaux terrestres.
Les experts que nous avons auditionnés sont moins optimistes que la Commission sur l'horizon auquel les technologies de cryptographie quantique et post-quantique pourront être utilisées pour sécuriser la constellation, car ils ne devraient pas être matures, au niveau industriel, avant au moins une dizaine d'années. Dans cette situation, face aux progrès importants et aux investissements réalisés par des pays comme la Chine - qui déploie des financements considérables dans ce domaine -, l'Europe risque, pendant quelques années, de se trouver démunie face aux cyberattaques reposant sur les technologies quantiques. Les acteurs américains avec lesquels j'ai pu échanger partagent ces préoccupations et ces inquiétudes.
Cependant, l'objectif, à terme, d'une meilleure sécurisation des communications gouvernementales de constellation grâce à des technologies quantiques et post-quantiques reste hautement pertinent. Il est évident qu'il faut soutenir fermement l'intégration dans la constellation de démonstrateurs et de prototypes quantiques européens, afin de stimuler la recherche et l'innovation dans ce domaine. En parallèle, il faut bien sûr prévoir et développer des technologies de sécurisation des communications plus immédiatement disponibles, afin de sécuriser la constellation pendant le temps requis pour le passage de l'informatique traditionnelle à l'informatique quantique. Il faudra aussi anticiper la transition entre ces technologies classiques de sécurisation et les technologies d'informatique quantique et de cryptographie post-quantique. Les modalités de cette transition devront être adaptées en fonction du calendrier de déploiement de la constellation européenne.
Pour mettre en oeuvre la constellation, la Commission européenne envisage un modèle de concession. Après avoir recueilli les besoins en services gouvernementaux des différents États membres, la Commission définira un portefeuille de services, sur la base duquel un marché public sera passé avec un consortium d'acteurs privés. Ces acteurs privés seront libres d'ajouter des services commerciaux de leur choix. Ce modèle de concession semble indispensable, du fait du caractère limité des besoins institutionnels, et au regard du coût de la constellation. Si la Commission européenne n'entend pas donner de directives quant à ces services complémentaires, l'idée est que ces derniers concourent à la compétitivité et à la croissance, en proposant des services innovants aux particuliers et aux entreprises européennes. Ainsi, la constellation vise également un objectif économique et social plus large qu'une simple amélioration de la connectivité en Europe.
Dans ce cadre de partenariat public-privé, et dans l'optique d'une constellation souveraine, il faudra se montrer particulièrement vigilant sur la propriété et la gouvernance des entreprises attributaires du marché de la constellation, afin de garantir la protection des infrastructures et technologies stratégiques européennes. À la suite des discussions qui ont eu lieu au Conseil, différents degrés de services gouvernementaux sont désormais envisagés : des plus souverains et sécurisés - « hard gov » - aux moins sensibles - « light gov » -, pour lesquels la Commission privilégierait des achats de services déjà existants. Les entreprises qui fourniront ces services gouvernementaux, quelle que soit la forme retenue, devront faire l'objet d'une surveillance particulière.
Sur le papier, ces risques sont déjà bien pris en compte, puisque, dès que la Commission l'estimera justifié, l'article 24 du règlement spatial européen, qui régit les conditions d'éligibilité des entreprises aux marchés publics de l'Union en matière spatiale, pourra être appliqué. Cet article prévoit que les entreprises doivent notamment, pour être éligibles, être établies dans l'Union européenne et n'être soumises au contrôle d'aucun pays tiers ou d'aucune entité dépendant de pays tiers. Cependant, si la ligne de partage apparaît claire pour les services de communication gouvernementale, elle l'est moins pour les services commerciaux. Or l'utilisation de ces derniers pourrait aussi revêtir, in fine, une importance stratégique, au gré de l'appropriation de leurs usages par les citoyens, les entreprises, ou même par les institutions publiques de l'Union.
De ce point de vue, le statut des acteurs du « Nouvel Espace », ou New Space, et surtout des petits acteurs émergents, indispensables au développement de ces technologies, doit faire l'objet d'une attention particulière. Il est très important de soutenir ces acteurs innovants et de structurer le secteur spatial européen de manière à les faire travailler avec les acteurs historiques de l'espace - qui sont eux aussi innovants. Chacun doit pouvoir contribuer au projet, en complémentarité, sur toute la chaîne de valeur de l'industrie spatiale.
Il faut souligner parallèlement que la multiplication des partenaires multiplie aussi les risques de failles de sécurité. Elle multiplie également les risques de rachat ou de prise de contrôle de ces petites structures par des entités extraeuropéennes - prises de contrôle qui pourraient se faire à l'insu de la Commission européenne. Aussi, dans le cadre de la résolution, nous recommandons un examen très attentif de la gouvernance et de la répartition du capital des entreprises qui souhaitent investir dans ce projet de constellation et proposer des services commerciaux à partir des infrastructures gouvernementales, mais également ensuite, un suivi de la structure de leurs capitaux et de leur gouvernance, notamment lorsqu'il s'agit de petites sociétés appartenant au New Space.
Je tiens également à remercier la commission des affaires européennes, et en particulier son président Jean-François Rapin, d'avoir associé la commission des affaires économiques à l'élaboration de cette proposition de résolution européenne.
Le projet européen de constellation de connectivité présente en effet des enjeux importants en matière de télécommunications, de concurrence et de développement économique des filières industrielles spatiales française et européenne.
Je souhaiterais insister sur quatre points.
L'urgence est de mise si l'Union européenne souhaite se positionner sur le segment des constellations spatiales de connectivité et s'affirmer dans la durée comme une puissance spatiale de premier plan.
En effet, le déploiement de telles constellations nécessite l'utilisation d'une ressource limitée, peu connue et pourtant indispensable, à savoir les fréquences de radiocommunications. Les États membres doivent mettre à disposition ces fréquences pour le compte de l'Union européenne, afin de permettre les usages gouvernementaux de cette constellation.
Les disponibilités du spectre de radiofréquence et de l'orbite basse étant limitées, il apparaît que seul le fonctionnement de quatre à cinq constellations de connectivité, au maximum, serait réaliste dans de bonnes conditions. Les nouvelles générations de constellations comme Starlink de SpaceX, Kuiper d'Amazon ou OneWeb se développent rapidement et sont déjà partiellement opérationnelles. Autrement dit, il est grand temps pour l'Union européenne de déployer sa propre constellation souveraine de connectivité.
Dans cette perspective, la France est le seul État membre à avoir indiqué à la Commission européenne mettre à disposition des fréquences militaires pour les usages gouvernementaux de la constellation. Ces fréquences disponibles ne sont actuellement pas utilisées. La France dispose d'un droit d'usage prioritaire sur ces fréquences auprès de l'Union internationale des télécommunications (UIT) jusqu'en octobre 2027. Afin que ce droit d'usage prioritaire ne soit pas perdu, le premier satellite de la constellation européenne devra donc être mis en orbite au plus tard à cette date. Toutefois, la Commission européenne ambitionne un déploiement bien plus rapide, dès 2024, et ce afin d'être dans la course des quatre ou cinq premières constellations.
Au regard du coût estimé du déploiement d'une telle constellation, d'au moins 6 milliards d'euros - sans compter les coûts de maintenance et de renouvellement régulier de la flotte de satellites -, et compte tenu de la vitesse à laquelle la Commission européenne souhaite mettre en oeuvre ce projet, il me semble important d'insister sur les bénéfices que pourrait apporter une telle constellation, que certains sous-estiment sous prétexte que nous pourrions nous satisfaire de la fibre.
Le développement en orbite basse offre des avantages décisifs en matière de réduction des temps de latence et d'amélioration de la vitesse de connexion, les satellites étant plus proches de la Terre qu'en orbite géostationnaire.
Ces avantages sont importants pour les usages gouvernementaux, notamment militaires, mais également pour les usages commerciaux : la chirurgie à distance, les véhicules autonomes, le guidage de précision des bateaux ou encore le développement des objets connectés, et même les jeux en ligne.
Les avantages sont également considérables pour les particuliers. L'objectif est ainsi de fournir à la population européenne des services satellitaires de connectivité complémentaires à ceux qui sont permis par les réseaux terrestres de télécommunications, notamment pour les zones habitées qui ne pourront pas être couvertes par une seule et même technologie.
Par exemple, si la France est le pays de l'Union européenne le plus avancé dans le déploiement de la fibre optique, cette vitesse de déploiement n'est pas toujours gage de qualité de service, et le raccordement d'entreprises et de particuliers dans les zones montagneuses et peu denses et dans les territoires ultramarins demeure incertain. Ce sont d'ailleurs principalement dans ces zones que se situent les 4 000 abonnés dont dispose Starlink en France.
En outre, c'est faire affront à l'avenir que de penser que nous pourrions nous passer d'une constellation de satellites à l'heure où toutes les grandes puissances en font une priorité, où nous prônons plus de souveraineté numérique et alors que nous découvrons de nouvelles vulnérabilités liées notamment aux catastrophes naturelles. Ainsi, nous enterrons de moins en moins la fibre ; qu'adviendrait-il si une partie du réseau aérien était rendu inopérant par des tempêtes ou des incendies ?
Nous nous devons donc, au Sénat, de soutenir le déploiement d'une telle constellation qui viendra répondre à des besoins grandissants de connectivité ainsi qu'aux carences vécues par une partie de la population européenne et par plusieurs entreprises, le but étant de résorber les zones blanches dans nos territoires et de renforcer la connectivité, assurant ainsi une plus grande résilience de nos systèmes de télécommunications.
Le soutien que nous apportons à ce projet n'ignore toutefois pas les conséquences de ce déploiement en matière d'encombrement de l'espace et, à terme, de prolifération des débris spatiaux.
Selon les estimations de l'Agence spatiale européenne (European Space Agency - ESA), il y aurait en orbite plus d'un million de débris. Sur les 12 000 satellites lancés depuis les années 1950, seuls 4 500 sont encore opérationnels, tandis que la plupart des autres satellites toujours en orbite ne sont plus utilisés.
Il me semble important d'oeuvrer pour un alignement des calendriers, la Commission européenne ayant récemment proposé l'élaboration de règles communes en matière de gestion du trafic spatial, dans un double objectif de limitation de la pollution spatiale et de promotion d'une concurrence équitable entre les différents opérateurs concernés.
Cette nouvelle réglementation devra être pleinement en vigueur au moment du déploiement de la constellation afin de promouvoir, au niveau européen, un usage plus durable et plus responsable de l'espace, dans la continuité des efforts réalisés par la France lors de l'adoption de la loi sur les opérations spatiales en 2008.
Enfin, et je me permets d'insister sur ce dernier point, nous devons promouvoir une approche stricte de la préférence européenne. Autrement dit, les satellites de la constellation européenne devront être déployés par des lanceurs européens depuis des bases de lancement situées sur le territoire de l'Union européenne. Il s'agit là d'un enjeu primordial de souveraineté, afin de nous permettre de disposer, dans la durée, d'un accès autonome à l'espace.
Affirmer la préférence européenne en matière d'infrastructures spatiales est également un moyen de soutenir, à long terme, le développement et l'innovation de l'industrie spatiale française et européenne, que ce soit les acteurs historiquement établis ou de nouvelles start-up du New Space.
En effet, il serait regrettable que le déploiement d'infrastructures spatiales gouvernementales, financées par des fonds publics, bénéficie avant tout aux lanceurs américains et aux acteurs économiques extraeuropéens. C'est un enjeu de souveraineté, mais également de retour sur investissement de l'argent public investi, car les retombées économiques d'un tel projet devraient d'abord bénéficier aux entreprises et aux territoires de l'Union européenne.
En contrepartie, tous les efforts déployés permettant d'affirmer une préférence européenne en matière spatiale devraient s'accompagner d'engagements supplémentaires de la part des entreprises spatiales européennes, afin qu'elles assurent la cadence et la fluidité des lancements européens.
Comme la commission des affaires économiques, la commission des affaires européennes est fermement attachée à l'application d'une préférence européenne pour les lanceurs. Une telle préférence paraît évidente pour les satellites destinés aux services gouvernementaux, et a fortiori militaires. Toutefois, elle devrait l'être aussi pour la plupart des lancements commerciaux, pour d'évidentes raisons liées à la souveraineté technologique. Comme nous l'a dit l'un des entrepreneurs que nous avons auditionnés : à l'heure où l'on parle pour l'Europe de souveraineté économique, il n'est pas raisonnable de laisser un satellite trois semaines en attente de lancement sur le sol des États-Unis. Il est concrètement impossible d'en assurer la surveillance 24 heures sur 24. Sans vouloir prêter de mauvaises intentions à nos amis américains, cela revient à se jeter dans la gueule du loup !
Je rappelle d'ailleurs que le droit européen de la commande publique n'interdit pas les restrictions d'accès aux marchés publics européens, pour peu qu'elles soient suffisamment justifiées, notamment pour des motifs de sécurité.
Il est tout à fait légitime d'utiliser pleinement cette latitude laissée aux donneurs d'ordre et nous devrons, pour notre part, être particulièrement attentifs à la manière dont la Commission libellera les marchés.
Selon la proposition de la Commission, les lancements devraient se faire « si possible » à partir du territoire des États membres. Cette expression est ambiguë, et elle a été interprétée de manière divergente par nos partenaires européens. Certains estiment en effet qu'une moindre compétitivité des bases de lancement européennes serait un motif suffisant pour se tourner vers des fournisseurs de services de lancement étrangers. Dans le même article de la proposition de règlement, la mention explicite d'un objectif de promotion de « l'autonomie stratégique » de l'Union semble limiter la possibilité d'une telle interprétation, qui n'est évidemment pas celle de la France. Néanmoins, afin d'éviter tout malentendu ultérieur, nous souhaiterions que ce point soit clarifié. De telles dérogations à la préférence européenne ne devraient intervenir que dans des cas très limités d'incapacité constatée des lanceurs européens à remplir cette mission, et seulement si un retard de déploiement était susceptible de causer des dommages importants au système.
Sur ce point, la présidence française du Conseil de l'Union européenne ne nous a peut-être pas beaucoup aidés, car, comme vous le savez, au titre de la présidence, les représentants français se sont abstenus de faire prévaloir leur point de vue lors des discussions au Conseil. Nos partenaires italiens, avec lesquels nous sommes très en phase à ce sujet et qui y sont très intéressés à travers leur lanceur Vega-C, n'ont pas réussi à obtenir de garanties supplémentaires.
Si nous souhaitons tous que les satellites de la constellation soient déployés par des lanceurs européens, l'applicabilité de restrictions de lancement pour des acteurs non européens dépendra, concrètement, de la capacité d'Ariane 6 - le cas échéant suppléée par Vega-C - à déployer ces satellites.
Si le vol inaugural de Vega-C a bien eu lieu la semaine dernière, le lancement d'Ariane 6 ne cesse d'être retardé. Il est actuellement prévu pour l'année 2023, et devra en outre, dans ses premières années de fonctionnement, assurer le déploiement de la constellation Kuiper d'Amazon, qui a réservé dix-huit lancements échelonnés entre 2024 et 2027. Même si une montée en cadence des lancements n'est pas à exclure, l'hypothèse selon laquelle les services de lancement européens seraient insuffisants pour assurer le déploiement de la constellation européenne demeure malheureusement plausible. Afin de se prémunir contre ce risque, il serait souhaitable que la Commission européenne assure plus fermement son rôle de client d'ancrage pour les services de lancement européens - comme l'a d'ailleurs fait l'Agence spatiale européenne.
Dans le contexte de montée en puissance de l'Union européenne dans le domaine spatial, le nouveau projet de constellation illustre d'ailleurs à nouveau les difficultés d'articuler la coexistence, en Europe, de l'Union européenne spatiale et de l'ESA. Ce n'est pas un problème nouveau, mais, au vu de l'importance des enjeux de sécurité en présence, la répartition des rôles doit être ici strictement définie. Pour la constellation, il est prévu que l'ESA se cantonne à un rôle de soutien technique, notamment dans l'analyse des offres des partenaires privés.
Par ailleurs, les marchés concernant les services gouvernementaux ne devraient pas être ouverts aux pays de l'ESA non membres de l'Union européenne. La même question se pose pour les bases de lancement : faut-il autoriser, comme le souhaitent certains grands pays partenaires, des lancements depuis la Norvège ? Nous n'y sommes pas favorables, car les priorités de l'ESA et de l'Union peuvent être divergentes.
Le Royaume-Uni, qui est un acteur spatial de premier plan, a quitté l'Union européenne, mais demeure membre de l'ESA, ce qui met encore davantage en relief cette césure. Même si les conditions de production et d'accès aux informations classifiées de l'Union par l'ESA seront renforcées, et même si le Royaume-Uni ne pourra participer, dans le cadre de l'Agence, qu'à la fourniture de services commerciaux pour la constellation, peut-on garantir que les entreprises britanniques ne tireront pas un bénéfice excessif des informations auxquelles elles pourraient avoir accès à l'occasion de ces collaborations ?
En outre, je rappelle que le gouvernement britannique est l'un des actionnaires principaux de la constellation OneWeb, dont la nouvelle constellation européenne sera une concurrente directe dans plusieurs domaines. Peut-on, dans ces conditions, laisser librement les entreprises britanniques candidater aux appels d'offres relatifs à la constellation européenne ? Des garde-fous devront être posés. Cela relèvera des négociations entre l'ESA et la Commission, qui semble avoir pris la mesure du problème.
Pour finir, il faut évoquer le financement du projet. Son coût total, pour la période 2023-2027, est estimé par la Commission à 6 milliards d'euros, parmi lesquels 1,6 milliard d'euros serait financé par l'Union et 2 milliards d'euros par le secteur privé, le reste devant être assuré par les États membres et des États tiers participant au programme, ainsi que par l'ESA.
Sur ce point, deux remarques s'imposent. Premièrement, le montant exact du projet n'est pas connu a priori, puisque l'architecture de la constellation et le nombre de satellites nécessaires à la fourniture du portefeuille de services, qui sera défini par la Commission, seront laissés au libre choix des prestataires. Néanmoins, au vu des budgets consacrés par les acteurs privés au déploiement de leurs constellations, le montant total annoncé apparaît particulièrement faible : on parle ainsi de 10 à 15 milliards d'euros pour le déploiement de Kuiper.
Il est donc indispensable de consolider le modèle de financement du projet. En ce qui concerne les fonds européens mobilisés, pour l'instant, la somme de 1,6 milliard d'euros prévue par l'Union est redéployée depuis d'autres programmes, notamment le programme spatial européen et Horizon Europe. On peut le regretter, mais lorsqu'on connaît la difficulté des négociations budgétaires européennes, cela est sans doute plus sage que de rouvrir le cadre financier pluriannuel - dont les dernières négociations ont duré près de quatre ans.
En revanche, il faut, dès à présent, anticiper l'intégration de ce nouveau programme dans le prochain cadre financier pluriannuel, bien au-delà des 442 millions d'euros initialement prévus, pour GovSatCom et la surveillance de l'espace durant la période 2021-2027. Le développement de l'espace comme secteur stratégique, au-delà des programmes historiques Galileo et Copernicus, nécessitera une augmentation considérable des budgets européens associés. Je rappelle d'ailleurs que le budget consacré à la politique spatiale dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 était déjà en nette augmentation, par rapport à la période précédente, signe de sa montée en puissance.
Afin de sécuriser le financement privé de la constellation et d'assurer la viabilité de son business plan, il serait souhaitable que les premiers services commerciaux soient lancés dès le déploiement de l'infrastructure gouvernementale. Il conviendrait alors de privilégier dans un premier temps, dans les critères d'attribution, la maturité de l'offre de service et l'existence d'un marché. Nous ne pourrons en effet nous passer des acteurs privés pour le financement du programme. Il nous semble par ailleurs très important, vu les implications financières et les incertitudes concernant la viabilité financière du projet, que le Parlement européen, mais aussi les parlements nationaux soient régulièrement informés par la Commission européenne des évolutions survenues dans la mise en oeuvre du partenariat public-privé envisagé, afin de pouvoir réagir à toute difficulté qui se présenterait à ce sujet.
La Commission européenne envisage un calendrier de déploiement de la constellation très ambitieux, impliquant le lancement des premiers satellites et de premiers services accessibles dès 2024. La présidence française du Conseil de l'Union européenne a obtenu un accord sur le projet au Conseil, le 29 juin, après seulement quatre mois de négociations. Le double objectif de la proposition a permis un relatif consensus au sein des États membres, certains, comme la France, étant plus sensibles aux usages souverains et militaires, et d'autres plus sensibles à la réduction des zones blanches et au développement de services commerciaux.
Le Parlement européen devrait se prononcer en octobre, et la présidence tchèque de l'Union européenne a fait de ce dossier une priorité. Elle espère obtenir un accord en trilogue au plus tard au tout début de l'année 2023. Ainsi, le calendrier envisagé par la Commission pourrait être tenu, de premiers appels d'offres pouvant être lancés dès l'année prochaine. Des consultations avec les industriels du secteur spatial sont d'ores et déjà prévues durant cet été, en parallèle des négociations sur la proposition de règlement, afin de pouvoir lancer rapidement les premiers appels d'offres dès son adoption.
Il nous paraît urgent de lancer la constellation, qui assurera les conditions de la souveraineté européenne et d'une croissance tirant bénéfice des nouveaux usages du numérique. Toutefois, nous appelons à une grande vigilance quant aux conditions de sécurité et de participation des acteurs extraeuropéens à ce projet, et quant à ses modalités de financement. C'est l'objet de la proposition de résolution européenne que nous avons déposée conjointement, et que nous vous proposons d'adopter aujourd'hui.
Vous avez parlé de cyber-sécurité et de la nécessité d'apporter une attention particulière aux fournisseurs de services gouvernementaux. Quel est votre avis sur le projet d'association entre Thales et Google présenté dans le cadre de la doctrine gouvernementale du cloud de confiance ? La justification de cette association est qu'il n'existerait pas de fournisseur de cloud européen, ce qui est faux. Compte tenu de l'attention qu'il convient de porter à l'ensemble des éléments de la chaîne de valeur, y compris nos petites entreprises, et des risques induits par l'extraterritorialité du droit américain, ne faudrait-il pas redoubler de vigilance dans le cadre de ce type de projets ?
Au sein de l'Union européenne, certains États sont favorables à une ouverture vers des entreprises extérieures, quand d'autres plaident pour une souveraineté sécurisée au maximum, ce qui implique de privilégier les entreprises européennes. Un cryptage renforcé permettrait peut-être de travailler avec des entreprises extra-européennes dans des conditions de sécurité adéquates. Nous sommes favorables à un travail partenarial, à condition que la souveraineté française et européenne demeure assurée.
Au cours de nos auditions, nous avons entendu des start-ups comme des grandes entreprises du domaine spatial. L'idée qu'elles développent de former des consortiums agrégeant ces différents acteurs m'a paru intéressante.
En matière d'industrie spatiale, nous sommes davantage autonomes qu'en matière numérique, où de grands groupes sont devenus dominants sur nos marchés européens. Dans ce dernier domaine, des modules entiers de production des nouvelles technologies nous échappent, non en raison de nos capacités technologiques, mais du fait de la faiblesse de nos investissements dans certaines filières.
La prudence est essentielle en la matière. L'entrée de nouveaux acteurs dans le domaine spatial nous paraît intéressante. Toutefois, le risque de voir les acteurs les plus innovants du New Space européen rachetés, à terme, par de grands groupes américains ou chinois constitue une préoccupation majeure. Nous disposons néanmoins, dans le domaine spatial, d'atouts et d'acteurs plus performants que dans le secteur du numérique.
Je vous remercie de ces éclairages sur ce domaine important.
Vous avez évoqué le déploiement de la fibre, pour lequel la France se positionne très bien à l'échelon européen. Doit-on opposer la constellation et la fibre ? A-t-on une vision globale, à moyen et à long terme, sur ce que cette constellation apporte stratégiquement pour la France ? Je souscris à vos propos concernant les enjeux autour des lanceurs, mais quid des services qui passent par la fibre, pour lesquels la France a une réelle capacité ?
Par ailleurs, quelle est la durabilité de ces satellites ? Vous avez évoqué le million de débris que l'on voit tourner autour de la planète. À quoi ressemblera l'espace de demain ? Devrons-nous ramener les satellites tous les vingt ans pour les réparer, ou bien créer des déchetteries dans l'espace ? Quelle est la vision européenne globale du spatial - qui est au demeurant une superbe technologie ? Nous ne pensons peut-être pas en premier à ces sujets, mais ils pourraient vite nous rattraper.
La question de la transformation de l'espace en décharge est bien entendu soulevée par l'ensemble des acteurs. Il est très difficile de parler globalement de la durée de vie d'un satellite. Sa durée de vie physique est d'une vingtaine d'années. Mais il faut prendre en compte sa durée de vie technologique et sa maintenance progressive, qui commence environ huit ans après son lancement. Aujourd'hui, on peut apporter une transformation technologique et numérique aux satellites.
À ce sujet, la chaîne de valeur est-elle totalement européenne ? Le suivi de la vie d'un satellite européen est-il assuré par des entreprises européennes ?
C'est ce que l'on souhaite. Une constellation est faite pour durer, moyennant des remplacements. Galileo comme Copernicus vont connaître leurs premières modifications et les premiers remplacements de satellites.
La récupération des déchets spatiaux est un vrai sujet, qui sera abordé lors de la conférence interparlementaire européenne de septembre prochain.
Depuis la loi de 2008 relative aux opérations spatiales, la France est très engagée sur ce sujet.
Concernant le rapport de la fibre avec la constellation de satellites, il me semble que, comme sur de nombreux sujets, il faut une approche en termes de bouquets et de complémentarité. Il ne faut pas penser qu'il n'y a qu'une seule technologie phare. Certes, la France a fait le choix de la fibre, mais l'enjeu du satellitaire est aujourd'hui mondial. Les feux de forêt nous montrent à quel point les satellites sont importants. Cet enjeu concerne aussi la géostratégie : si demain toutes les constellations sont américaines ou chinoises, cela sera préoccupant pour la place et l'influence de l'Europe dans le monde.
Les technologies progressent, et il ne faut pas rater le rendez-vous avec les constellations. L'idée que nous pourrions nous satisfaire de ce que nous avons déjà est une tentation peu française, et peut devenir une erreur fatale. Il y a de vrais sujets, notamment sur les véhicules autonomes, et nous devons être présents sur ces secteurs stratégiques.
Les satellites seront un outil important de soft power. L'Europe doit être au rendez-vous de la constellation satellitaire.
D'après les premières estimations du plan France numérique, 350 000 foyers ne seront toujours pas raccordés au haut débit en France. Le réseau fibré français fonctionnera effectivement. Mais le sujet a clairement une dimension européenne, et les territoires non raccordés à la fibre sont nombreux. J'insiste particulièrement sur le domaine souverain et la dimension militaire, qui est plus que jamais d'actualité : les militaires ne peuvent pas utiliser de téléphone satellitaire sans satellite !
Par ailleurs, il faut prendre en compte les catastrophes naturelles. J'ai participé à la rédaction d'un rapport sur les risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer, en particulier sur la gestion de crise et la résilience. Les services de sécurité nous disaient que c'est lors des premières heures, alors que les réseaux peuvent être coupés, qu'il faut plus que jamais de la connectivité, la fibre ne pouvant pas toujours l'assurer.
Ces infrastructures sont lourdes et coûteuses, et elles préemptent des choix dans le temps, alors que les évolutions technologiques bouleversent tout. Dans les années 1980, la France était l'un des premiers pays à développer la fibre optique, mais, avec l'émergence de la technologie de la compression numérique, nous avons dû enlever des réseaux filaires pour remettre du cuivre afin d'avoir un débit plus élevé. Compte tenu de la révolution quantique, et des limites de la fibre face aux risques d'attaques cyber, nous devons nous interroger sur la pertinence de la fibre et sur un potentiel dédoublement de nos réseaux.
Comme l'a dit le président Rapin, il s'agit non seulement du territoire national, mais de l'ensemble des liaisons de nos réseaux, pour la diplomatie et l'armée, mais aussi pour nos entreprises. Dans plus de 80 % des grandes attaques cyber, une entreprise est attaquée par l'intermédiaire d'une de ses filiales étrangères, en raison de failles de sécurité et de connectivité entre la filiale et le centre. Il est donc important de disposer de communications hautement sécurisées, et d'éléments de cryptage post-quantique.
J'invite le groupe sénatorial sur le numérique à travailler autour de cette question, car il s'agit d'un enjeu capital. Le Congrès américain y travaille depuis quatre ou cinq ans. Ses membres estiment que huit à dix ans peuvent s'écouler entre le développement réel de l'informatique quantique et celui de la cryptographie post-quantique, au seuil des années 2025 et 2035. À l'aube du siècle nouveau, nous étions préoccupés à cause du bug de l'an 2000 ; mais d'ici à 2035, on pourrait assister à un bug des clés traditionnelles de cryptographies en raison de l'informatique quantique. Ne nous le cachons pas, la Chine travaille énormément sur ces questions, ce qui motive les États-Unis. Le commissaire européen Thierry Breton y est particulièrement sensible, mais j'ai peur que les moyens mis en oeuvre par les États membres et l'Union européenne restent trop faibles par rapport aux enjeux de souveraineté.
Vous avez indiqué que quatre fréquences pourraient être investies par cette constellation. Je ne suis pas experte en la matière. Pourriez-vous préciser quels sont les enjeux stratégiques de ces fréquences ?
On peut réserver une fréquence sans l'utiliser, auquel cas d'autres acteurs voulant l'utiliser doivent solliciter une autorisation. Ce système est un peu inquiétant, mais c'est comme cela qu'il fonctionne : on peut capter et se réserver une fréquence sans l'utiliser, les autres acteurs dépendant alors de celui qui détient la fréquence initiale.
À ce stade, seule la France a mis à disposition ses précieuses fréquences. Nous nous sommes demandé si cela pourrait devenir préjudiciable à terme. Mais les fréquences réservées par la France sont utilisables jusqu'en 2027. Plutôt que de perdre ses droits, la France préfère mettre ses droits d'utilisation à disposition du projet européen. Nous avons interrogé l'Agence nationale des fréquences (ANFR) et l'ensemble des acteurs sur ce sujet.
Il ne s'agit pas de quatre fréquences, mais de quatre constellations de satellites qui pourront fonctionner à terme, et d'un faisceau de fréquences - ainsi, récemment, la bande des 700 mégahertz a été transférée au secteur des télécommunications.
La France a toujours réservé, dans le spectre, des fréquences à usage militaire. Mais, compte tenu de l'évolution des technologies, le nombre de fréquences réservées s'est révélé bien supérieur aux besoins. La France a libéré l'usage de certaines fréquences, tout en conservant une souveraineté sur elles. Mais cette souveraineté est limitée : si nous ne les utilisons pas d'ici 2027, elles retomberont quasiment dans le bien commun. Il y a donc urgence à créer cette constellation européenne sécurisée pour utiliser ces fréquences. D'une certaine façon, cela confère à la France un poids et un pouvoir d'influence particulier dans le cadre de ce projet, qui se révélera déterminant quand il s'agira d'imposer des bases de lancement européennes et françaises.
Le président Chaize me signale qu'il jugerait important que nous bénéficiions d'informations plus amples sur les technologies quantiques et post-quantiques. Ce sujet est très compliqué, mais il y va effectivement de l'avenir à dix ans. Un décryptage pédagogique poussé me paraît de fait nécessaire, et nous pourrions mener un travail en commun.
Les fiches et les travaux de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), disponibles sur leur site, sont particulièrement éclairants. Par ailleurs, une conférence du Congrès américain, il y a quelques années, mettait en évidence l'écart entre le développement des usages de ces technologies et le moment où une cryptographie efficace sera généralisée. Le problème concernant les instruments de cybersécurité n'est pas tant de trouver des instruments nouveaux que de les déployer chez tous les acteurs, depuis les acteurs institutionnels jusqu'aux citoyens, en passant par toute la gamme des entreprises et des administrations intermédiaires. Les règles de sécurité ne sont souvent pas correctement appliquées, et les failles sont souvent dues au fait que les gens ne mettent pas à jour les logiciels. Au-delà de la recherche fondamentale en informatique quantique, il y a là un vrai problème d'éducation à la cybersécurité à prendre en compte.
Nous pourrions donc mener ce travail commun avec le groupe sénatorial sur le numérique concernant ce sujet.
Pour finir, je mets aux voix la proposition de résolution européenne. Cela concerne la commission des affaires européennes : la commission des affaires économiques s'en saisira prochainement.
La commission des affaires européennes adopte la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat.
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le traité sur l'Union européenne, en particulier son article 3,
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier ses articles 4, 170 et 189,
Vu le règlement (UE) 2021/696 du Parlement européen et du Conseil du 28 avril 2021 établissant le programme spatial de l'Union et l'Agence de l'Union européenne pour le programme spatial et abrogeant les règlements (UE) n° 912/2010, (UE) n° 1285/2013 et (UE) n° 377/2014 et la décision n° 541/2014/UE,
Vu la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen,
Vu la proposition de décision du Parlement européen et du Conseil du 15 septembre 2021 établissant le programme d'action à l'horizon 2030 « La voie à suivre pour la décennie numérique »,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 février 2022 établissant le programme de l'Union pour une connectivité sécurisée pour la période 2023-2027,
Vu le mandat de négociation du Conseil du 30 juin 2022 sur ladite proposition de règlement,
Vu la communication conjointe de la Commission et du Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au Parlement européen et au Conseil du 15 février 2022, intitulée « Une approche de l'UE en matière de gestion du trafic spatial. Une contribution de l'UE pour faire face à un défi mondial »,
Vu la loi n° 2008-5018 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales,
Vu le rapport d'information du Sénat n° 636 (2018-2019) de MM. André GATTOLIN et Jean-François RAPIN, fait au nom de la commission des affaires européennes, intitulé « Politique spatiale 2021-2027 : l'Europe sur le pas de tir ? », déposé le 4 juillet 2019,
Vu le rapport d'information du Sénat n° 131 (2019-2020) de Mme Sophie PRIMAS et M. Jean-Marie BOCKEL, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur la politique des lanceurs spatiaux, déposé le 19 novembre 2019,
Vu l'initiative « Net Zero Space », lancée à l'occasion du 4e Forum de Paris sur la Paix, les 11 et 12 novembre 2021,
Vu les conclusions de la première session de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace du 17 mars 2022, présidée par le Sénat,
Considérant l'importance cruciale de la transition numérique pour la compétitivité des entreprises et la croissance économique, ainsi que pour les usages des citoyens européens ;
Considérant, en conséquence, les besoins croissants en matière de connectivité des citoyens et des entreprises, ainsi que les objectifs de connectivité et d'usage du numérique annoncés par l'Union européenne à l'horizon 2030 ;
Considérant la nécessité d'assurer à tous les Européens un accès aux services de télécommunications de bonne qualité et à un prix abordable ;
Considérant en outre que les nouveaux usages numériques, notamment les objets connectés ou les véhicules autonomes, imposent des temps de latence de plus en plus réduits et des vitesses de connexion de plus en plus rapides ;
Considérant les récents coups d'arrêt portés aux coopérations internationales dans le secteur spatial, en raison du contexte géopolitique ;
Considérant, dans un objectif de souveraineté européenne, la nécessité que les usages institutionnels et gouvernementaux de l'Union et des États membres en matière de télécommunications ne dépendent pas de manière critique des infrastructures et services de pays tiers ou d'entités contrôlées par des pays tiers ;
Considérant, en conséquence, la nécessité pour l'Union européenne de disposer d'un accès souverain, autonome et durable à l'espace ;
Considérant la vulnérabilité des réseaux de télécommunications terrestres et des stations terriennes aux attaques tant matérielles que cyber et, en conséquence, la nécessité de disposer de systèmes de télécommunications redondants et de mieux sécuriser les systèmes de communications, notamment gouvernementales, en tirant parti des nouvelles technologies, en particulier quantiques ;
Considérant les investissements considérables et réguliers nécessaires pour assurer le déploiement d'une constellation de connectivité sécurisée européenne souveraine, au regard des besoins gouvernementaux ;
Considérant l'excellence de l'écosystème industriel spatial européen, en particulier français ;
Considérant la complémentarité des acteurs historiques du secteur spatial et les acteurs du « Nouvel espace », sur toute la chaîne de valeur ;
Considérant l'augmentation exponentielle du nombre de satellites en orbite, notamment en orbite basse, ainsi que les risques de congestion et de collision qui y sont associés, y compris la multiplication des débris spatiaux ;
Considérant le délai limité durant lequel les fréquences utilisables par les constellations satellitaires peuvent être réservées auprès de l'Union internationale des télécommunications ;
Considérant la nécessité d'articuler les objectifs du projet de constellation de connectivité sécurisée avec les objectifs de développement durable ;
Sur le projet et ses objectifs :
Soutient pleinement le projet de la Commission de créer une constellation de connectivité souveraine, avec un triple objectif de communications gouvernementales sécurisées et de résorption des zones blanches, mais aussi de services commerciaux complémentaires ;
Partage l'objectif de fournir aux acteurs institutionnels et gouvernementaux européens des systèmes de connectivité par satellite hautement sécurisés, accessibles sur l'ensemble de la planète ;
Souhaite que les tarifs d'accès à des services de connectivité par satellite fournis par la constellation puissent demeurer abordables pour les particuliers et les entreprises, afin de contribuer effectivement à la résorption des zones blanches, à la réduction de la fracture numérique et à l'accélération de la transformation numérique des entreprises ;
Sur le calendrier de déploiement :
Soutient un déploiement aussi rapide que possible de la constellation ;
Souligne toutefois la nécessité d'un recueil détaillé et circonstancié des besoins des acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux, aux fins de définition d'un portefeuille de services gouvernementaux bien calibré ;
Sur le financement :
Estime que les 6 milliards d'euros annoncés par la Commission pour déployer la constellation d'ici à 2027 ne peuvent constituer qu'un fonds d'amorçage ;
Rappelle que ces fonds devront être complétés, dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel, par des fonds supplémentaires, dans le cadre du programme spatial européen ;
Souhaite que les discussions s'engagent le plus rapidement possible avec les partenaires privés du volet commercial du programme, afin de sécuriser la part du financement attendue du secteur privé et de consolider le modèle économique de la constellation ;
Demande que le Parlement européen et les parlements nationaux des États membres soient régulièrement informés par la Commission européenne des évolutions dans la mise en oeuvre du partenariat public-privé envisagé pour la constellation, notamment de ses incidences financières et en termes de gouvernance,
Sur les services commerciaux et la participation des acteurs privés :
Approuve le schéma de partenariat public-privé envisagé par la Commission européenne ;
Veille à ce que la mise en place sur fonds publics de la constellation ne crée pas de distorsions de concurrence, pour la fourniture des services commerciaux, au profit des fournisseurs des services gouvernementaux, et plaide donc pour une juste tarification des systèmes gouvernementaux ;
Soutient les dispositions visant à assurer la participation des startups et des petites et moyennes entreprises, sur tout le long de la chaîne de valeur, dans le cadre des marchés publics relatifs à la constellation ;
Souligne le caractère complémentaire des services proposés par les acteurs du « Nouvel Espace » et les acteurs plus anciennement établis du secteur spatial européen ;
Souhaite que des conditions plus explicites de souveraineté et de sécurité soient fixées quant à la participation et au financement d'acteurs privés dont la gouvernance est majoritairement extra-européenne ;
Appelle à la vigilance quant au risque de rachat d'entreprises européennes participant au programme, notamment les petites et moyennes entreprises du « Nouvel espace », par des acteurs extra-européens et, en conséquence, à un suivi attentif de la structure de leurs capitaux et de leur gouvernance ;
Appelle à ce que la loi de 2008 relative aux opérations spatiales inspire la réglementation à venir de l'Union européenne sur la gestion du trafic, afin de pouvoir proposer des services commerciaux à partir des infrastructures gouvernementales de connectivité ;
Sur les lanceurs et les bases de lancement :
Souhaite que soit fermement affirmée une préférence européenne pour les lanceurs et les bases de lancement ;
Affirme que les dérogations à ce principe, en cas d'indisponibilité des infrastructures européennes adéquates mettant en péril la viabilité de la constellation, devraient demeurer ponctuelles et strictement limitées et encadrées ;
Souligne que ces dérogations ne devraient pas être autorisées pour un motif économique ;
Rappelle la nécessité pour l'Union de disposer dans les meilleurs délais de moyens capacitaires souverains suffisants pour déployer la constellation ;
Insiste, à cette fin, sur la nécessité pour l'Union européenne de se positionner fermement en tant que client d'ancrage pour les lanceurs lourds européens ;
Estime pertinent le recours, mais à titre complémentaire, aux micro-lanceurs pour déployer ou remplacer des composantes de la constellation, afin de garantir, le cas échéant, un haut degré de sécurité de ces lanceurs ;
Sur la sécurité :
Insiste sur la nécessité d'installer les stations terriennes associées au fonctionnement de la constellation dans des lieux hautement sécurisés, sur le territoire de l'Union, sauf dérogation dûment justifiée par des nécessités opérationnelles, le cas échéant assortie de garanties de sécurité équivalentes ;
Rappelle la nécessité de prendre en compte dans les spécifications techniques pertinentes les risques de brouillage et d'interception, y compris malveillants ;
Soutient le projet de sécuriser, à terme, les communications gouvernementales par l'usage de technologies quantiques européennes ;
Souligne la nécessité d'anticiper la transition entre les technologies actuelles de sécurisation et les technologies d'informatique quantique et de cryptographie post-quantique, les modalités de cette transition devant être adaptées en fonction du calendrier de déploiement de la constellation ;
Sur les aspects environnementaux et la gestion du trafic spatial :
Souhaite que les conditions de déploiement de la constellation intègrent pleinement la nécessité d'assurer un accès durable à l'espace et de minimiser son impact en terme de pollution spatiale, y compris atmosphérique et lumineuse ;
Juge indispensable l'accélération du calendrier prévu pour la présentation par la Commission européenne d'un acte législatif portant sur la gestion du trafic spatial, afin que les dispositions de ce dernier puissent être pleinement opérationnelles au moment du déploiement de la constellation ;
La réunion est close à 11 h 10.