Intervention de François Molins

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 septembre 2022 à 9h00
Audition de M. Jean-Marc Sauvé président et de membres du comité des états généraux de la justice

François Molins, procureur général près la Cour de cassation, membre du comité des Etats généraux de la justice :

Je partage sans réserve les propos de Mme Arens.

L'exercice n'allait pas de soi, puisque ce comité regroupait de nombreuses personnalités du monde judiciaire, politique, universitaire. Le travail fut riche et de qualité, loin des querelles de chiffonniers parfois évoquées par un périodique. Comme toujours, certains sujets sont plus ou moins clivants. Certains ont fait l'unanimité, d'autres ont fait l'objet d'opinions majoritaires ou minoritaires, mais jamais dissidentes : il y a toujours eu un socle minimal de consensus.

J'évoquerai la procédure pénale - qui n'est pas le sujet qui a été le plus l'objet de propositions. On ne peut lire les conclusions du rapport du comité qu'à la lumière du groupe de travail sur la procédure pénale. Celui-ci s'est prononcé pour le maintien du juge d'instruction, mais il souhaitait un nouveau cadre d'enquête, à travers une comparution aux fins d'enquête complémentaire, qui aurait permis au parquet, en cours d'enquête, de faire déférer la personne devant lui, de lui notifier un certain nombre de charges, de l'interroger, puis de poursuivre l'enquête sous le contrôle d'un juge.

Il y avait aussi d'autres propositions pour rénover les délais d'instruction, pour parachever le contradictoire, pour améliorer la qualité des investigations - par exemple, augmenter la durée de la flagrance à quinze jours au lieu de huit.

Mesure phare dans l'évolution des pouvoirs conférés au parquet, le groupe de travail proposait la création d'une mesure transactionnelle qui aurait permis, avec l'accord de la personne poursuivie, de mettre en oeuvre des mesures transactionnelles - des amendes de composition. Dans le cas contraire, on serait revenu à un mode classique d'orientation des poursuites.

Sans rentrer dans ce détail de mesures, le comité s'est prononcé et a proclamé son attachement à certains points. Je rappelle qu'il a remis son rapport avant les polémiques sur la réforme de la police judiciaire. Le comité a rappelé son attachement au respect du principe de la direction de la police judiciaire par les magistrats, qui est un principe à valeur constitutionnelle.

Le comité a surtout assumé une différence forte par rapport au groupe de travail sur la simplification. Il a pris à son compte le fait que la complexification croissante depuis vingt ans de la procédure pénale résulte d'abord, et en partie, d'un renforcement de la garantie des droits. Si l'architecture et la lisibilité du code de procédure pénale peuvent et doivent être améliorées, la simplification ne peut affaiblir ces garanties - et notamment la présomption d'innocence, le droit à un procès équitable, le délai raisonnable, le respect des droits de la défense. Telles sont les limites de l'impératif de simplification.

Le comité a estimé qu'il était indispensable de « refondre » le code de procédure pénale, au-delà de la codification et de la simplification. Une codification à droit constant représente déjà un chantier pluriannuel.

Ce code est devenu illisible et peu praticable : entre 2008 et 2022, il est passé de 1 700 à 2 400 articles, soit 700 articles supplémentaires en quatorze ans. Il y a également un problème de cohérence. Nous devons donc nous inscrire dans une démarche systémique, avec une vision globale et sur le long terme, compte tenu des délais de réécriture. Cet avis du groupe de travail a été entièrement repris par le comité.

Le maintien du juge d'instruction a fait l'objet d'une opinion majoritaire du comité. Nous avons un paysage particulier, avec trois cadres d'enquête : préliminaire, en flagrance, et l'instruction. Près de 97 % des dossiers sont traités par le parquet ; l'instruction ne concerne plus que 3 % des affaires. Les droits des gens et les procédures ne sont pas identiques dans ces trois cadres d'enquête. Malgré tout, une majorité des membres du comité a manifesté son attachement à l'office du juge d'instruction, soulignant son expertise, sa réactivité et son efficacité, notamment en matière de grande criminalité, de terrorisme, de cybercriminalité et de criminalité financière.

Il a paru évident que la disparition du juge d'instruction serait d'autant plus difficile à mettre en oeuvre au profit d'un ministère public dont tout le monde reconnaît que les garanties statutaires sont insuffisantes. Cela poserait problème de remplacer l'office d'un juge par un parquetier, qui a un statut différent. Le comité a voulu défendre notre système mixte, à la fois inquisitoire et accusatoire, qui garantit une part importante du contradictoire dans la phase préparatoire au procès pénal. Il garantit également le mieux l'égalité des droits et l'accès à la justice, contrairement à d'autres systèmes, notamment américain.

Nous avons estimé que la création de la nouvelle procédure intermédiaire souhaitée par le groupe de travail n'était pas souhaitable. Créer un nouveau cadre d'enquête avec une enquête complémentaire risquait de complexifier encore davantage les cadres juridiques existants.

Compte tenu du fonctionnement de la justice, nous ne pouvons pas nous priver d'une réflexion de fond sur la tenue des audiences de comparution immédiate, qu'on retrouve dans les mécanismes qui expliquent, au moins en partie, la surpopulation pénitentiaire à travers l'augmentation des peines de prison. Contrairement aux accusations de laxisme, la durée moyenne des peines de prison a augmenté de deux mois en quelques années. Certes, les audiences de comparution immédiates sont souvent tardives et réalisées dans de mauvaises conditions.

Nous avons souhaité une réflexion sur le déroulement de l'audience devant le tribunal criminel départemental, dans le cadre de la réécriture du code de procédure pénale. Nous étions sur un schéma d'expérimentation qui a été clos et qui s'est traduit par la généralisation. Cela prend un certain relief au regard de l'accélération du processus choisie par le législateur.

Le comité a adopté à l'unanimité le fait qu'au regard des équilibres institutionnels et des garanties statutaires du ministère public, il n'était pas souhaitable ni opportun d'aller plus loin dans les pouvoirs accordés au parquet et d'aller jusqu'à conférer à la décision du ministère public un caractère transactionnel. Cela brouillerait encore davantage l'office du parquet et du juge.

Le groupe de travail et le comité n'ont pas su choisir entre certains modèles, notamment sur les cadres d'enquête. Faut-il supprimer l'instruction, ou fusionner l'enquête de flagrance ou l'enquête préliminaire, soit pour généraliser l'enquête préliminaire, soit pour laisser uniquement l'enquête de flagrance comme le voudrait le directeur général de la police nationale ? Nous n'avons pas d'études d'impact suffisantes pour choisir l'une ou l'autre solution. Or nous devons disposer d'études d'impact extrêmement fouillées pour mesurer les conséquences de ces choix. Le diable se niche dans les détails, extrêmement complexes. Nous devons faire cela avant tout exercice de fond et toute réécriture.

Certains membres du groupe de travail sur la procédure pénale ont essayé de proposer à nouveau des mesures qu'ils avaient tenté de faire adopter dans la loi de 2019, mais qui n'avaient pas été reprises par les parlementaires.

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