La commission désigne Mme Cécile Cukierman rapporteure de la proposition de loi n° 720 (2021-2022) encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues.
La commission désigne Mme Agnès Canayer rapporteur de la proposition de loi constitutionnelle n° 872 (2021-2022), visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues.
Je suis heureux d'accueillir les membres du comité des États généraux de la justice, dont le rapport a été remis au Président de la République en juillet dernier. Il est le fruit d'un travail approfondi, auquel j'ai eu l'honneur de participer entre octobre 2021 et avril 2022.
Ces États généraux de la justice ont été initiés par le Président de la République à la suite de l'intervention forte de Mme Chantal Arens, alors première présidente de la Cour de cassation et de M. François Molins, procureur général près cette même Cour, sur la situation critique de la justice française.
Plus de 7 000 magistrats ont ensuite signé une tribune parue dans la presse, en réaction au suicide dramatique de l'une de leurs collègues, dénonçant leurs conditions de travail et parfois même la perte de sens de leur métier, ce qui est sans précédent.
Le malaise dans la justice est une réalité incontestable. La perte de confiance des citoyens dans son action aussi, comme l'a montré l'Agora de la justice organisée par le Sénat il y a presque un an, à une semaine près...
Cette réalité, le Sénat l'a mise en lumière depuis plusieurs années, tout en faisant des propositions qui n'ont pas toujours reçu un accueil favorable de la Chancellerie... Je citerai les trois principaux rapports de la commission des lois sur le sujet : Cinq ans pour sauver la Justice !, au terme d'une mission d'information conduite par Philippe Bas ; en 2019, La justice prud'homale au milieu du gué, au terme d'une mission d'information conduite en commun avec la commission des affaires sociales et dont Agnès Canayer fut rapporteur ; et en 2021, Le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise, dont François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi furent rapporteurs.
D'autres travaux sont régulièrement menés, notamment en période budgétaire, par les différents rapporteurs pour avis. La commission des lois et l'ensemble du Sénat avaient signalé depuis longtemps de grandes difficultés et préconisé des solutions. Il est donc heureux de retrouver de nombreux points de convergence parmi les constats et les propositions du rapport des État généraux avec les travaux du Sénat.
Il faut désormais s'attacher à la mise en oeuvre des propositions, qu'il s'agisse des moyens, de l'organisation et du fonctionnement de la justice, ou des réformes législatives. Le Sénat y veillera.
Il importe également que le ministère accepte de changer de méthode en réformant la justice de manière systémique au service du justiciable et d'un meilleur fonctionnement, en évaluant en amont les conditions pratiques nécessaires à la réussite de ces réformes, et sorte d'une approche purement normative.
À cet égard, nous ne devrions modifier les textes qu'en cas de stricte nécessité : les juridictions sont épuisées par les modifications incessantes des règles - et cela vaut tant pour la loi que pour les textes réglementaires...- nous avons tous pu le constater lors de nos stages en juridictions cette année au sein des tribunaux judiciaires de Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Rouen et Marseille. Au total, treize collègues de notre commission se sont rendus en juridiction entre juin 2021 et août 2022.
Depuis plus de vingt ans, de nombreux rapports ont été publiés sur le fonctionnement de la justice, dont le rapport, très remarqué, de la commission des lois du Sénat en 2017, malheureusement peu suivi d'effet. Son constat était déjà sévère : l'institution judiciaire est l'une de celles qui se sont le plus réformées depuis trente ans, mais la justice est en très grande difficulté.
En juin 2021, mandaté par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en raison d'attaques incessantes contre la justice, le procureur général François Molins et moi-même avons rencontré le Président de la République. Nous lui avons présenté l'état de la justice et il a décidé de lancer les États généraux le 18 octobre 2021, avec un partage des tâches entre le ministère de la Justice, les juridictions, les avocats et le comité des États généraux.
Le ministère de la justice a lancé une vaste consultation citoyenne qui a recueilli 50 000 contributions. Parallèlement, des ateliers citoyens ont émis plusieurs propositions, de même que des ateliers communs entre citoyens et professionnels de la justice. Durant trois mois, sept groupes de travail ont réuni les professionnels de la justice, et ont fait des propositions de réforme.
Le comité des États généraux, indépendant et présidé par le président Jean-Marc Sauvé, a fini son rapport fin avril, et l'a remis au Président de la République le 8 juillet.
Depuis, le garde des Sceaux a lancé de vastes consultations auprès des professionnels de la justice. Le comité des États généraux a pris connaissance de l'ensemble des contributions et il s'est déplacé dans les juridictions, pour voir la réalité. Il a notamment assisté à des audiences de comparution immédiate. Il a suivi des ateliers, des groupes de travail, et s'est emparé de certains thèmes qui n'étaient pas dans la lettre de mission, comme la responsabilité des décideurs publics ou l'accès aux droits et à la citoyenneté.
Peu après le début des travaux est parue une tribune des magistrats, greffiers et de quelques avocats, faisant entrer en force la question des moyens de la justice dans la réflexion des États généraux.
Le constat du comité est extrêmement sévère, et il est au moins aussi important que ses propositions. Nous devons changer complètement notre état d'esprit, et arrêter de réformer sectoriellement : depuis trente ans se sont empilées des réformes qui ne fonctionnent pas.
Le prologue du rapport rappelle des éléments importants : la justice est un service public, mais aussi une autorité judiciaire, qui participe de la démocratie et de l'État de droit. Je précise que les juridictions administratives n'étaient pas dans le périmètre des États généraux, qui visaient seulement les juridictions de l'ordre judiciaire.
Il y a une crise majeure de l'institution judiciaire, qui n'a plus les moyens de remplir son rôle et qui est remise en question.
Une des explications tient à des politiques publiques défaillantes. La justice est au bord de la rupture : alors que le nombre d'affaires civiles nouvelles diminue, les délais s'allongent. Cela nous a interrogés, ainsi que la Cour des comptes, dans un contexte de surmédiatisation de la justice pénale, alors que la justice civile représente 60 % des contentieux de l'ordre judiciaire.
Cette justice n'arrive pas à protéger les plus faibles - mineurs en danger ou personnes sous tutelle. Les parquets et le système pénitentiaire, qu'il soit ouvert ou fermé, sont en grande difficulté.
Selon l'enquête réalisée par le Sénat il y a un an, 50 % des justiciables ne croient plus dans la justice. Pour les professionnels, c'est une perte de sens de l'institution judiciaire.
En dépit de nombreuses réformes et de nombreux moyens accordés à la justice récemment, le système ne fonctionne pas, malgré un engagement extrêmement fort des magistrats et des fonctionnaires de la justice.
Il n'y a presque jamais eu d'approche systémique, c'est toujours une approche sectorielle qui a prévalu. Par exemple, on s'est rendu compte que la prise en charge des peines par le juge d'application des peines ne fonctionnait pas toujours très bien. Il a donc été mis en place une procédure permettant aux tribunaux correctionnels d'aménager les peines à l'audience. Cela ne fonctionne pas très bien, car il y a trop de dossiers à l'audience et celles-ci sont tardives. Ces tentatives de réforme ont échoué, car une seule partie du problème avait été examinée.
Il y a quelques années, on avait voulu déjudiciariser. Le comité s'est rendu compte qu'il était impossible d'aller plus loin dans la déjudiciarisation, faute d'outils de pilotage statistiques pour évaluer les volumes. Par exemple, les pensions alimentaires représentent 25 % des dossiers civils. Ce serait un énorme volume à déjudiciariser...
Le pilotage administratif et budgétaire est déficient, avec un sous-investissement chronique, notamment sur l'informatique, obsolète. L'inflation législative est devenue une réponse à chaque problème de société. Le code de procédure pénale a été largement modifié. Les textes s'empilent, empêchant une bonne application de la loi dans le temps, au moins en matière civile.
Nous avons chiffré les moyens supplémentaires nécessaires à 1 500 magistrats, 2 500 fonctionnaires, des adjoints administratifs, des applications informatiques et 2 500 juristes assistants. Ces moyens ne suffisent pas, car il faut clarifier le rôle de la justice dans la société.
L'un des écueils fondamentaux serait de ne pas se demander à quoi sert un juge, un avocat, un procureur de la République... Nous avons constaté à quel point l'office du juge civil avait changé. Au XIXe siècle, le juge appliquait la loi et tranchait. Désormais, en plus de ce rôle, il tient un office protecteur, à savoir des audiences de cabinet, sans robe, très proche du citoyen. C'est cette justice-là qui est critiquée par les citoyens comme étant trop lente et trop chère. Avant toute réforme, il faut donc s'interroger sur l'office du juge et des professionnels du droit.
Le rapport des États généraux de la justice, selon moi, n'est pas révolutionnaire : nous ne proposons ni un Conseil de justice ni une séparation du siège et du parquet comme dans d'autres pays, mais une approche d'ensemble, pragmatique : une évolution du rôle du CSM, une réarticulation des responsabilités politiques et pénales, une augmentation des ressources de la justice dans son ensemble.
Il faut aussi prendre en compte l'équipe autour du magistrat, comme le préconise le rapport de Mme Dominique Lottin, ancienne membre du Conseil constitutionnel, même si cela ne résoudra pas tout.
Il faut recruter, améliorer l'informatique. Il est urgent de faire évoluer les systèmes.
Nous devons aussi faire évoluer les organisations territoriales. Nous n'avons pas proposé de supprimer des juridictions. Nous croyons à la fois à la justice de proximité et à la spécialisation des contentieux. Il faut faire évoluer les organisations d'un point de vue budgétaire, comme le préconisaient les rapports du Sénat et de la Cour des comptes.
L'éducation au droit et la politique d'accès au droit sont également importantes. L'éducation à la citoyenneté, prévue à l'école, n'est pas très efficiente, pour des raisons conjoncturelles. Nous formulons des propositions sur ce point.
Nous proposons également que l'institution judiciaire communique mieux : nous avons la culture de l'obligation de réserve et, collectivement, nous communiquons assez mal sur ce que nous faisons.
Je terminerai par un focus sur la justice civile. Il y a très peu d'observateurs capables d'observer sur trente ans les grandes évolutions. Il y a trente ans, il n'y avait quasiment que des magistrats civilistes. Actuellement, il y a surtout des magistrats pénalistes et de moins en moins de civilistes, dans un contexte de plus large accès à la justice du quotidien, donc à un contentieux de masse, mais humainement complexe à gérer, dans ces audiences de cabinet. Les magistrats sont de moins en moins spécialisés pour les matières complexes, étant pris par cette justice du quotidien - hormis à la cour d'appel de Paris, à celle de Versailles, et à la Cour de cassation.
La justice civile, dans les juridictions de première instance, représente 60 % du contentieux, 75 % à 80 % en cour d'appel, et dans ces 75 %, il s'agit pour moitié du contentieux social, avec un très fort taux d'appel des décisions des conseils de prud'hommes. La justice civile s'est lentement dégradée depuis quinze ans. Malheureusement, l'excellent rapport de l'Inspection générale de la justice sur l'attractivité des fonctions civiles n'a pas été rendu public. Les causes de cette dégradation sont multiples : pénalisation de la société, augmentation du nombre de contentieux, sous-dotation de la justice...
Il y a trente ans, pratiquement toutes les audiences étaient collégiales en première instance. Désormais, c'est essentiellement un juge unique. Compte tenu de la carte judiciaire, dans beaucoup de petites juridictions, de jeunes magistrats président l'audience civile ou statuent seuls. Le comité des États généraux a proposé de redonner la priorité à la première instance, contrairement à la situation actuelle avec un taux d'appel variant de 14 à 70 % en matière pénale.
Il faut mener une vraie politique civile. On parle beaucoup de la politique pénale, mais je ne suis pas sûre qu'un garde des sceaux ait été entendu par les commissions des lois sur la politique civile du ministère...
Il faut aussi développer les modes alternatifs de règlement des différends : loin d'être un pis-aller pour traiter les stocks, ils sont une véritable politique pour sortir de la culture du conflit propre à la France. Nous devons avoir une démarche première de conciliation et de médiation.
Ce rapport préconise donc une vision globale de la réforme, une interrogation sur l'office de chaque profession, et de changer totalement d'état d'esprit. Si ce n'est pas fait, la crise s'aggravera. Tout le monde doit avancer dans la même direction.
Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Elle s'inscrit dans le cadre de la préparation du débat sur les Etats généraux de la justice qui se tiendra en séance publique au Sénat le 4 octobre prochain.
Je partage sans réserve les propos de Mme Arens.
L'exercice n'allait pas de soi, puisque ce comité regroupait de nombreuses personnalités du monde judiciaire, politique, universitaire. Le travail fut riche et de qualité, loin des querelles de chiffonniers parfois évoquées par un périodique. Comme toujours, certains sujets sont plus ou moins clivants. Certains ont fait l'unanimité, d'autres ont fait l'objet d'opinions majoritaires ou minoritaires, mais jamais dissidentes : il y a toujours eu un socle minimal de consensus.
J'évoquerai la procédure pénale - qui n'est pas le sujet qui a été le plus l'objet de propositions. On ne peut lire les conclusions du rapport du comité qu'à la lumière du groupe de travail sur la procédure pénale. Celui-ci s'est prononcé pour le maintien du juge d'instruction, mais il souhaitait un nouveau cadre d'enquête, à travers une comparution aux fins d'enquête complémentaire, qui aurait permis au parquet, en cours d'enquête, de faire déférer la personne devant lui, de lui notifier un certain nombre de charges, de l'interroger, puis de poursuivre l'enquête sous le contrôle d'un juge.
Il y avait aussi d'autres propositions pour rénover les délais d'instruction, pour parachever le contradictoire, pour améliorer la qualité des investigations - par exemple, augmenter la durée de la flagrance à quinze jours au lieu de huit.
Mesure phare dans l'évolution des pouvoirs conférés au parquet, le groupe de travail proposait la création d'une mesure transactionnelle qui aurait permis, avec l'accord de la personne poursuivie, de mettre en oeuvre des mesures transactionnelles - des amendes de composition. Dans le cas contraire, on serait revenu à un mode classique d'orientation des poursuites.
Sans rentrer dans ce détail de mesures, le comité s'est prononcé et a proclamé son attachement à certains points. Je rappelle qu'il a remis son rapport avant les polémiques sur la réforme de la police judiciaire. Le comité a rappelé son attachement au respect du principe de la direction de la police judiciaire par les magistrats, qui est un principe à valeur constitutionnelle.
Le comité a surtout assumé une différence forte par rapport au groupe de travail sur la simplification. Il a pris à son compte le fait que la complexification croissante depuis vingt ans de la procédure pénale résulte d'abord, et en partie, d'un renforcement de la garantie des droits. Si l'architecture et la lisibilité du code de procédure pénale peuvent et doivent être améliorées, la simplification ne peut affaiblir ces garanties - et notamment la présomption d'innocence, le droit à un procès équitable, le délai raisonnable, le respect des droits de la défense. Telles sont les limites de l'impératif de simplification.
Le comité a estimé qu'il était indispensable de « refondre » le code de procédure pénale, au-delà de la codification et de la simplification. Une codification à droit constant représente déjà un chantier pluriannuel.
Ce code est devenu illisible et peu praticable : entre 2008 et 2022, il est passé de 1 700 à 2 400 articles, soit 700 articles supplémentaires en quatorze ans. Il y a également un problème de cohérence. Nous devons donc nous inscrire dans une démarche systémique, avec une vision globale et sur le long terme, compte tenu des délais de réécriture. Cet avis du groupe de travail a été entièrement repris par le comité.
Le maintien du juge d'instruction a fait l'objet d'une opinion majoritaire du comité. Nous avons un paysage particulier, avec trois cadres d'enquête : préliminaire, en flagrance, et l'instruction. Près de 97 % des dossiers sont traités par le parquet ; l'instruction ne concerne plus que 3 % des affaires. Les droits des gens et les procédures ne sont pas identiques dans ces trois cadres d'enquête. Malgré tout, une majorité des membres du comité a manifesté son attachement à l'office du juge d'instruction, soulignant son expertise, sa réactivité et son efficacité, notamment en matière de grande criminalité, de terrorisme, de cybercriminalité et de criminalité financière.
Il a paru évident que la disparition du juge d'instruction serait d'autant plus difficile à mettre en oeuvre au profit d'un ministère public dont tout le monde reconnaît que les garanties statutaires sont insuffisantes. Cela poserait problème de remplacer l'office d'un juge par un parquetier, qui a un statut différent. Le comité a voulu défendre notre système mixte, à la fois inquisitoire et accusatoire, qui garantit une part importante du contradictoire dans la phase préparatoire au procès pénal. Il garantit également le mieux l'égalité des droits et l'accès à la justice, contrairement à d'autres systèmes, notamment américain.
Nous avons estimé que la création de la nouvelle procédure intermédiaire souhaitée par le groupe de travail n'était pas souhaitable. Créer un nouveau cadre d'enquête avec une enquête complémentaire risquait de complexifier encore davantage les cadres juridiques existants.
Compte tenu du fonctionnement de la justice, nous ne pouvons pas nous priver d'une réflexion de fond sur la tenue des audiences de comparution immédiate, qu'on retrouve dans les mécanismes qui expliquent, au moins en partie, la surpopulation pénitentiaire à travers l'augmentation des peines de prison. Contrairement aux accusations de laxisme, la durée moyenne des peines de prison a augmenté de deux mois en quelques années. Certes, les audiences de comparution immédiates sont souvent tardives et réalisées dans de mauvaises conditions.
Nous avons souhaité une réflexion sur le déroulement de l'audience devant le tribunal criminel départemental, dans le cadre de la réécriture du code de procédure pénale. Nous étions sur un schéma d'expérimentation qui a été clos et qui s'est traduit par la généralisation. Cela prend un certain relief au regard de l'accélération du processus choisie par le législateur.
Le comité a adopté à l'unanimité le fait qu'au regard des équilibres institutionnels et des garanties statutaires du ministère public, il n'était pas souhaitable ni opportun d'aller plus loin dans les pouvoirs accordés au parquet et d'aller jusqu'à conférer à la décision du ministère public un caractère transactionnel. Cela brouillerait encore davantage l'office du parquet et du juge.
Le groupe de travail et le comité n'ont pas su choisir entre certains modèles, notamment sur les cadres d'enquête. Faut-il supprimer l'instruction, ou fusionner l'enquête de flagrance ou l'enquête préliminaire, soit pour généraliser l'enquête préliminaire, soit pour laisser uniquement l'enquête de flagrance comme le voudrait le directeur général de la police nationale ? Nous n'avons pas d'études d'impact suffisantes pour choisir l'une ou l'autre solution. Or nous devons disposer d'études d'impact extrêmement fouillées pour mesurer les conséquences de ces choix. Le diable se niche dans les détails, extrêmement complexes. Nous devons faire cela avant tout exercice de fond et toute réécriture.
Certains membres du groupe de travail sur la procédure pénale ont essayé de proposer à nouveau des mesures qu'ils avaient tenté de faire adopter dans la loi de 2019, mais qui n'avaient pas été reprises par les parlementaires.
Je souscris à ce qui a été dit, et ferai trois observations. Le comité des États généraux de la justice, indépendant, a mené ses travaux avec un état d'esprit fondé sur l'écoute des professionnels, à contre-courant des réformes passées.
Dans cette même salle, Nicole Belloubet présentait il y a quelques années une réforme de la justice, et vous avez mené des auditions montrant que nous souffrions d'une vision utilitariste du système judiciaire. Cette vision faisait fi de la fracture numérique et de l'incapacité du citoyen à savoir comment saisir un juge, voire un médiateur.
On craignait à l'époque une évolution de la carte judiciaire et la suppression de juridictions, le juge stakhanoviste, l'avocat considéré comme un auxiliaire de justice devant se plier à une procédure civile de plus en plus compliquée... Bref, nous étions dans l'utilitarisme.
Or les réflexions et les travaux des Etats généraux ont montré un tout autre visage de la justice : un constat de quasi-épuisement et de manque de moyens, une détresse des magistrats et des greffiers, et une souffrance des avocats, qui sont aussi victimes de la dégradation.
Pour la première fois, la magistrature - juges de terrain et chefs de juridiction - a reconnu et admis ces difficultés, portée par la conviction que ces travaux servent l'autorité judiciaire et, par voie de conséquence, la démocratie. Une justice malmenée est une justice qui n'est plus indépendante. Car le coeur de notre préoccupation est le justiciable, c'est-à-dire le citoyen et la République, même si nos présentations sont un peu techniques. Cet état d'esprit a permis de libérer un certain nombre de sujets.
Ainsi, il convient de donner des moyens à la justice civile. Nous avons beaucoup travaillé sur les aspects sociologiques : quels sont les profils des magistrats qui sortent de l'École nationale de la magistrature ? Les jeunes ont-ils le souhait de tenir des audiences correctionnelles jusqu'à vingt-trois heures ?
Il faudra aussi, éventuellement, réformer la procédure civile. Quant à la réforme de la procédure d'appel, elle pourra se faire par voie réglementaire, il y a consensus sur ces questions. On s'aperçoit en effet que les chausse-trappes procédurales ne permettent pas de gagner du temps.
Il sera également nécessaire de redonner de la valeur au juge de première instance. Pour les avocats, l'office du juge est très important. Ils préfèrent toujours que le juge soit le maître de l'organisation judiciaire. Ils ont admis que les modes alternatifs des règlements des différends ou des litiges ne sont pas destinés à éviter la saisine du juge.
Le citoyen, le présumé innocent, les droits de la défense sont très importants, sous l'autorité judiciaire et non pas sous l'autorité administrative. Nous avons également évoqué la place du parquet et de la police administrative. Nous sommes tous très attachés à ce que la police judiciaire soit rattachée aux magistrats, qui sont les garants des libertés individuelles.
Pour donner un ordre de grandeur, en 2019, la justice civile représentait plus de 2,2 millions de décisions, tandis que la justice pénale n'en représentait que 800 000. Pourtant, l'opinion publique se réfère toujours à la justice pénale.
Nous sommes confrontés à une double crise de la justice, universelle et nationale. La crise universelle est celle de l'autorité judiciaire, ce pouvoir public constitutionnel, inséparable de la démocratie et de l'État de droit. Le juge est devenu l'interprète de la loi ; il est désormais le juge de la loi, notamment au travers du contrôle de conventionnalité. Il coconstruit le droit, et ce dans tous les pays, ce qui introduit une rupture dans le fonctionnement des pouvoirs publics, par le biais de la judiciarisation de la vie publique, qui crée des turbulences et des tensions.
La crise nationale est celle du service public de la justice. Au cours de la dernière décennie, la demande de justice n'a pas substantiellement augmenté. Pourtant, les délais et les stocks ont augmenté, notamment en raison de la complexification du droit et de la difficulté des affaires.
L'allongement des délais est constaté dans le champ civil, dans le champ pénal, et dans le champ de la justice de protection, qui dysfonctionne également. Les retards s'accroissent pour ce qui concerne l'exécution de la justice pénale et de protection. Enfin, le malaise monte face à une justice peu compréhensible et peu accessible.
Au cours de nos travaux, nous avons dit le déficit de moyens, qui a été nié pendant longtemps, mais avoué au travers des tentatives de déjudiciarisation des vingt dernières années. Ce déficit est aussi l'incapacité à penser la justice de manière systémique et à la gérer de manière rationnelle. Les différentes réformes ont souvent ressemblé à un égrenage de mesures ponctuelles : on a appliqué quelques rustines à un dispositif qui coule progressivement.
Les réformes ont aussi été largement déconnectées des conditions de leur application. Le ministère de la justice est le temple du « légicentrisme », et rien n'a véritablement changé. Par ailleurs, la gestion de la justice fait face à des problèmes majeurs : organisation déconcentrée peu compréhensible et insuffisance du management. Il n'y a ni pilotage cohérent de l'institution ni gestion des ressources humaines digne de ce nom.
Nous proposons donc de mettre au clair le positionnement de la justice dans la société d'une part, et par rapport aux autres pouvoirs publics d'autre part. Nous ne proposons ni conseil de justice, ni séparation entre le siège et le parquet, ni remise en cause du principe de la gestion administrative et financière de la justice. Toutefois, il convient de mener des réformes importantes, notamment pour ce qui concerne le statut du parquet et les équilibres au sein du Conseil supérieur de la magistrature, en particulier au sein de la commission d'avancement.
Autre sujet très sensible, la responsabilité pénale des décideurs publics, en particulier des membres du Gouvernement : il faut supprimer la Cour de justice de la République et aménager les règles de fond de la responsabilité pénale quand les actes mis en cause découlent directement de la mise en oeuvre par les ministres et leurs collaborateurs de la politique du Gouvernement.
Je n'insiste pas sur le renforcement de la première instance. Je souligne simplement le besoin de professionnaliser la gestion des ressources humaines, qui doivent être mieux réparties, en introduisant une vision de moyen et long termes, avec des référentiels d'activité. Il faut aussi diversifier le recrutement et ouvrir la formation des magistrats. Il faut évaluer et refonder l'évaluation des chefs de juridiction, des premiers présidents de cour d'appel et des magistrats de la Cour de cassation.
La stratégie numérique doit être refondue. Il faut revoir la maîtrise d'ouvrage des applications et renforcer la place du numérique dans la conception des réformes et dans les directions du ministère de la justice : je pense aux directions des affaires civiles et des affaires criminelles, et non pas seulement à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse.
Par ailleurs, des réformes sectorielles sont indispensables. Il est nécessaire de mettre en place une véritable politique publique de la justice civile. Cette première branche de la justice, la plus noble, est aujourd'hui totalement sinistrée.
En matière de réformes statutaires, il est indispensable de séparer le grade et l'emploi, notamment pour renforcer la première instance avec des magistrats expérimentés.
Pour ce qui concerne la justice économique et sociale, nous avons un ensemble de propositions sur la justice du travail et la justice commerciale, avec l'expérimentation de tribunaux des affaires économiques et de la participation des parties au financement de la justice.
En matière pénitentiaire, je rappelle que nous avons pris position sur le sens de la peine, qui a pour objet de sanctionner des comportements déviants, de préparer la réinsertion des condamnés et de réduire le risque de récidive. Dans ce contexte, nous proposons de limiter, de manière volontariste, le recours aux courtes peines, de renforcer substantiellement les moyens du milieu ouvert, de faire revenir les services pénitentiaires d'insertion et de probation dans les juridictions, afin de personnaliser les peines, et de mettre en place un dispositif de régulation de la population carcérale qui ne soit pas un simple numerus clausus.
Je ne reviendrai pas sur la question de l'informatique, sujet sur lequel nous interpellons la Chancellerie depuis longtemps.
Tout d'abord, je voudrais savoir comment a été reçu votre rapport. Des engagements ont-ils été pris eu égard à vos préconisations ?
Ensuite, s'agissant de la carte judiciaire dans l'Yonne, avez-vous rencontré les magistrats et les avocats du département ? Si j'ai bien compris, le territoire serait rattaché à Dijon. Cela fait longtemps que nous luttons contre un tel rattachement.
Par ailleurs, vous évoquez une réforme de la justice civile et une plus grande collégialité, qui me paraît une très bonne chose. S'agit-il également de mieux faire travailler ensemble le juge aux affaires familiales et le juge des enfants ?
Pour ce qui concerne les victimes de violences intrafamiliales, je n'ai pas trouvé de réflexion sur ce sujet dans votre rapport. Pourtant, il semble relever d'une grande cause du quinquennat passé et du quinquennat actuel.
Enfin, avez-vous pensé à introduire une plus grande mixité dans la magistrature ?
Je vous remercie de vos interventions.
Tout d'abord, ma première réaction suscitée par votre rapport a été relative aux moyens. Naturellement, le garde des sceaux fera valoir qu'il y a eu 8 % d'augmentation depuis trois ans. Nous le savons, ce n'est pas suffisant. Dans un tel contexte, ne serait-il pas raisonnable d'envisager une sorte de programmation sur une dizaine d'années pour rattraper le retard pris par la justice ? C'est sans doute un rêve, mais je me permets de l'exprimer !
Ensuite, pour ce qui est de la répartition des magistrats entre le civil et le pénal, j'ai bien entendu ce que vous avez dit. Quelles solutions concrètes envisagez-vous pour qu'il y ait davantage de magistrats civilistes ?
Par ailleurs, vous avez dit, monsieur le procureur général, que la réforme du tribunal départemental criminel a été faite avec une certaine précipitation. Quel avenir voyez-vous pour ce dispositif ? Êtes-vous toujours partisan du jury populaire, ce en quoi vous rejoindriez la position exprimée par le garde des sceaux à l'époque où il ne l'était pas encore ?
En outre, s'agissant de la surpopulation pénitentiaire, vous avez évoqué une régulation. Concrètement, comment cela se passerait-il ?
Enfin, dans mon département, il existe une maison de la justice et du droit, qui traite environ 2 000 dossiers par an. Elle est gérée par une greffière, qui est absolument épuisée par l'ampleur du travail. Pensez-vous qu'il y ait un avenir pour ce genre de structures ?
Je vous remercie de vos interventions.
Tout d'abord, dans votre rapport, vous préconisez de développer davantage le recours aux travaux d'intérêt général, qui permettent une réponse pénale plus claire, plus efficace et moins coûteuse. Il s'agit d'une véritable alternative à l'incarcération. Existe-t-il un projet de collaboration, à grande échelle, entre les entreprises, les structures d'accueil et les services pénitentiaires d'insertion et de probation ?
Ensuite, le coût moyen d'une année de prison est estimé à 32 000 euros, tandis que le coût moyen annuel d'une mesure en milieu ouvert est de 1 400 euros. Il est donc nécessaire de recourir à des alternatives à la détention. Comment mettre en place concrètement de telles mesures ?
La loi de finances pour 2022 alloue aux alternatives à l'incarcération un budget stagnant à 35,8 millions d'euros, contre près d'un milliard d'euros d'investissements immobiliers pénitentiaires. N'y a-t-il pas là une répartition inégale du budget de la justice ?
Ma première question est une question générale de méthode. Certes, il y a une réforme systémique de la justice à l'étude. Parallèlement, une réforme systémique du ministère de l'intérieur et de la police est en train de se mettre en place. Un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dit « Lopmi », devrait augmenter de 25 % en cinq ans les moyens du ministère de l'intérieur. Bien évidemment, cette loi concerne aussi la justice et, en particulier, la procédure pénale : réforme de la police judiciaire, réforme générale de la police nationale, création d'assistants d'enquête, modification du statut des officiers de police judiciaire.
Ne pensez-vous donc pas utile, monsieur Sauvé, que le comité des États généraux de la justice rencontre le comité d'orientation du Beauvau de la sécurité, pour essayer de faire une réforme systémique ensemble ?
Ma deuxième question est plus ciblée. Monsieur Molins, il ne vous a pas échappé que, au mois de juillet de cette année, une jurisprudence de la Cour de cassation a retiré toute possibilité aux procureurs de recueillir des fadettes en saisissant des opérateurs téléphoniques, dans le but de remonter des filières de délinquance. En effet, la législation européenne, qui s'impose à la France, restreint une telle possibilité à la criminalité grave. Ainsi, les procureurs ont attiré à plusieurs reprises notre attention sur le fait qu'ils seraient privés de moyens très importants en termes d'efficacité. Pour y remédier, il faudrait soit une réforme du statut des magistrats, soit une autre solution. Comment sortir de ce piège, qui est en train de restreindre considérablement le champ d'action de nos procureurs, à un moment où nous avons besoin de lutter contre la grande délinquance ?
La mise en oeuvre du rapport du comité des États généraux de la justice incombe au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement. Le comité n'usurpera pas des pouvoirs qui ne lui appartiennent pas. Notre mission s'est terminée, en réalité, le 30 avril dernier, lorsque nous avons achevé la rédaction de ce document.
En ce qui concerne la carte judiciaire, sans répondre précisément à la question portant sur le rattachement des juridictions du département de l'Yonne à la cour d'appel de Dijon ou à celle de Bourges, il me semble que les préconisations de notre rapport ont été comprises. Nous ne proposons de fusion autoritaire de juridictions ni en première instance ni en appel - c'est un point fondamental de notre rapport. Nous ne considérons pas que le salut de la justice puisse résulter d'une apparente rationalisation de la carte judiciaire.
Quant à la communication entre le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, nous sommes parfaitement conscients qu'il reste à surmonter des obstacles incompréhensibles, qui tiennent à la surcharge des magistrats et des greffes et à l'imperméabilité des systèmes d'information. La gestion de la justice est devenue quasi impossible, à moins de disposer d'une multitude de petites fiches cartonnées, récupérées à droite et à gauche.
Pour ce qui est des moyens, notamment humains, je ne crois pas que la question de la mixité se pose dans l'institution judiciaire, et si c'est le cas, ce serait de manière inversée, mais le comité ne recommande pas de numerus clausus pour garantir l'entrée dans la magistrature d'hommes qui seraient moins qualifiés que des femmes. Certes, il faut un équilibre, mais on tient d'abord compte du mérite.
La mixité est aussi sociale. À cet égard, une forme de mixité existe déjà dans la profession d'avocat. En outre, un nombre important de magistrats est recruté par ce que l'on appelle les voies latérales et a exercé d'autres métiers dans sa première partie carrière. Des propositions ont été formulées pour fluidifier l'intégration sociale, notamment dans la profession d'avocat, dont nous discutons avec le garde des sceaux. Au niveau du recrutement de l'École nationale de la magistrature, il me semble que la mixité sociale est assurée et elle l'est également dans toutes les professions du droit.
Le comité a proposé une réforme de la composition de la commission d'avancement, en prévoyant que des non-magistrats puissent y siéger. Cela contribuerait à diversifier les intégrations. En effet, le problème se posera nécessairement puisque le ministère a annoncé vouloir recruter 1 500 magistrats supplémentaires sur cinq ans. Or on ne peut pas repousser les murs de l'ENM de Bordeaux. Une commission d'avancement rénovée, statuant selon de nouvelles procédures garantirait une meilleure mixité et davantage d'efficacité dans les délais d'instruction.
Monsieur Sueur, en ce qui concerne les moyens additionnels dont la justice doit être dotée, le comité s'est inscrit de manière tout à fait consciente et délibérée dans une perspective quinquennale et non pas décennale. En effet, nous estimons qu'il est possible de doter la justice de renforts à tous les étages dans un délai de cinq ans. Même s'il est très ambitieux, cet effort est indispensable.
Pour augmenter le nombre de magistrats civilistes, nous devons nous inscrire dans une gestion prévisionnelle des effectifs. Il convient que l'institution définisse ses besoins à moyen terme, puis que les carrières soient gérées dans cette perspective. Il me semble que nous ne pouvons pas en rester à une gestion uniquement statutaire de la magistrature. Il faut tenir compte des compétences et du fait que les jeunes, que ce soit dans l'administration ou dans la justice, souhaitent s'inscrire dans des parcours de carrière définis à l'avance. Il faut que la mobilité et l'adaptation trouvent leur place. Je considère qu'un tel dispositif reste à notre portée, qui vaudra non seulement pour la justice civile stricto sensu, mais aussi pour la justice économique.
En effet, comme nous l'avons mentionné dans le rapport, il faut créer dès le début de la carrière une filière de magistrats compétents en matière économique, de telle sorte que les décisions de la justice ne puissent pas être critiquées sous cet angle. Pour cela, il convient de prévoir des affectations internes et également externes à l'institution judiciaire.
Quant à la régulation de la population carcérale, nous avons prévu non pas un numerus clausus mais la définition, par établissement, d'un seuil de criticité. Dès lors que celui-ci sera atteint, il faudra mettre en place, de manière préventive, des mesures de gestion de la population pénitentiaire, de telle sorte que l'on pourra avoir recours à des libérations conditionnelles. Toutefois, il ne s'agit pas d'instaurer des seuils mécaniquement ; il faut une gestion prévisionnelle pour que des sorties puissent être anticipées. Le risque, c'est la sortie sèche en fin de peine sans aucune perspective de reclassement ni d'accompagnement. Tel est le danger qui menace en réalité la justice et non pas le fait que des personnes puissent obtenir une libération conditionnelle avec quinze ou trente jours d'avance.
Enfin, quel avenir pour les maisons de la justice et du droit ? La question reste ouverte, car elles font effectivement figure de parents pauvres. Le renforcement des moyens que nous proposons doit permettre d'avoir suffisamment de greffiers en chef qualifiés pour tenir ces postes. Pour l'instant, je le reconnais avec accablement, la situation n'est pas du tout satisfaisante.
Il y a vingt ans, l'accès au droit dans les maisons de justice était une priorité de la politique nationale du ministère de la justice. Puis, d'autres sujets ont pris de l'importance et l'accès au droit est devenu le parent pauvre des politiques publiques du ministère. Or il s'agit là d'une prévention qui garantit l'accès à la citoyenneté : quand les citoyens ont accès à des consultations juridiques gratuites dans les maisons de la justice, cela contribue à résoudre un certain nombre de difficultés qui surgissent en matière civile, dans la société.
L'institution judiciaire n'est pas la seule concernée par la désaffection dans les fonctions civiles : le ministère de l'éducation nationale, l'École nationale de la magistrature et le Conseil supérieur de la magistrature le sont aussi. Le rapport de l'inspection générale de la justice, auquel, malheureusement, le Parlement n'a pas accès, préconisait une concertation entre ces trois instances pour profiler des postes. La réponse doit être globale.
Pour ce qui est du tribunal criminel départemental, il faut raisonner en prenant en compte la notion d'efficacité. Même si je reconnais, bien évidemment, la valeur d'une cour d'assises et d'un jury populaire, il n'est pas acceptable de devoir attendre trois ans pour qu'une affaire criminelle puisse être audiencée devant une juridiction, alors que les enjeux sont importants tant pour la victime que pour l'accusé.
Le tribunal criminel départemental se justifie pour deux raisons : d'une part, il réduit les délais de jugement ; d'autre part, il permet de lutter contre le phénomène de correctionnalisation qui tend à se développer, notamment en matière d'infractions sexuelles. Toutefois, sans remettre en cause le travail du Parlement, il est regrettable que la période d'expérimentation qui aurait dû donner lieu à une évaluation ne soit pas parvenue à son terme. En effet, dans certains départements, le tribunal criminel départemental représente un gain réel, alors que la réduction des délais est plus discutable dans d'autres. On ne pourra pas faire l'économie d'une évaluation objective et approfondie des gains et des inconvénients de cette nouvelle procédure.
Le problème des données de connexion est posé depuis déjà cinq ans. L'arrêt « Tele2 Sverige » de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui date de la fin 2016, a été confirmé à trois ou quatre reprises. Il s'agissait de prévoir l'interdiction de la conservation généralisée des données de connexion et d'en réglementer l'accès en le réservant soit à une autorité indépendante, soit à un magistrat en réalité indépendant à l'égard de la direction de l'enquête. Il n'y a plus d'espoir que la situation évolue. Hier encore, la CJUE a publié un communiqué sur un arrêt qu'elle a rendu en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation. En effet, une directive autorisait l'accès aux données de connexion pour réprimer les abus de marché. Or la CJUE a répondu que la directive sur la protection des données personnelles était la norme qui primait et que tout le reste avait une valeur inférieure. L'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet dernier montre que le juge a fait tout ce qu'il pouvait, mais que la primauté du droit européen l'emporte.
Le travail réalisé par le Conseil d'État et la Cour de cassation permet de conserver un certain nombre de garanties dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Toutefois, si la criminalité grave autorise des exceptions, elle n'est pas définie en droit français, de sorte que certains parquets généraux se plongent dans des abîmes de réflexion pour déterminer la durée des peines, entre cinq, sept et dix ans.
Par conséquent, je considère que le juge a fait tout ce qu'il a pu, il a établi clairement ce qu'on pouvait faire ou ne pas faire, il est même allé encore plus loin en procédant à un examen très strict des conditions de recevabilité des actions en nullité. De mon point de vue, la réponse au problème de l'accès aux données ne peut être que législative et il n'y aura pas de miracle. Il faudra choisir entre deux solutions : soit confier le contrôle au juge des libertés et de la détention, ce qui impliquerait de recruter 400 ou 500 juges supplémentaires, car il y a des millions et des millions de données de connexion, soit le placer sous l'autorité d'une autorité administrative indépendante, ce qui pose un problème d'ordre politique, car cela reviendrait à placer un magistrat, gardien des libertés individuelles, sous le contrôle d'une autorité administrative indépendante.
Le comité n'a jamais souhaité revenir sur la hiérarchie des normes et sur le droit européen, protecteur des libertés individuelles et fondamentales. Il faut le dire clairement, ce débat n'a pas eu lieu. Rien de tel ne figure dans notre rapport.
Pour ce qui est du travail d'intérêt général, il existe une agence du travail d'intérêt général. Nous proposons de développer très substantiellement le service public de la probation en créant éventuellement une agence du milieu ouvert. C'est un domaine où des progrès importants restent à accomplir.
Quant au coût des mesures, soyons clairs, on ne peut pas faire dépendre la politique de la justice uniquement de considérations économiques et financières. Personne ne contestera que 32 000 euros par an en milieu fermé, c'est beaucoup plus que 1 014 euros par an en milieu ouvert. En revanche, il faut que les peines soient pertinentes au regard des actes commis, qu'elles ne contrarient pas, mais préparent la réinsertion et qu'elles contribuent par conséquent à la protection sociale. C'est un point fondamental.
Le comité s'est beaucoup interrogé sur l'efficacité de la loi sur le bloc peines : faut-il revenir dessus ? L'évidence qui s'est imposée, c'est qu'il faut que l'audience d'aménagement des peines suive très rapidement celle du tribunal correctionnel. Le groupe de travail a aussi exploré la piste qui consiste à revoir la répartition des rôles entre le juge d'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).
En outre le constat est largement partagé selon lequel, depuis la loi de 2019 sur le bloc peines, le juge exerce des tâches qui pourraient tout à fait relever de l'office du directeur du service départemental d'insertion et de probation.
Il faudrait travailler sur ces deux points pour améliorer le dispositif.
Vous avez dit des choses très importantes sur le sens de la peine et le travail d'insertion. Avec ma collègue Marie Mercier, nous menons une mission d'information sur les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et il est intéressant de noter qu'il y a une évolution du métier : on est passé d'une culture d'assistance sociale et d'accompagnement à l'insertion à une culture de mesure du risque de récidive.
Pour que l'écosystème fonctionne, il faut des acteurs de l'insertion, en particulier des assistants sociaux et des psychologues. Vous soulignez, dans le rapport, la nécessité de recruter davantage de psychologues, mais vous ne mentionnez pas les assistants sociaux. Or, dans le cadre de notre mission d'information, nous avons constaté que les effectifs étaient insuffisants et surtout qu'il y avait un problème d'attractivité de ces métiers et un manque d'accompagnement face à leur évolution.
Vous avez dit, également, que nous n'avions pas d'outils statistiques ni d'outils d'évaluation sur le management des ressources humaines. Ce constat est largement partagé. Nous allons présenter tout à l'heure à la commission le rapport que nous avons produit avec trois autres collègues sur la délinquance des mineurs et le décrochage scolaire. Or l'un des constats essentiels de ce rapport, c'est le manque de fiabilité statistique et d'évaluation des politiques publiques.
Le rapport du comité ne mentionne pas le manque de collaboration avec le monde de la recherche et la communauté scientifique. Pourtant, pour repenser la formation, les observatoires et le regard distancié des scientifiques ne sont pas inutiles. Il n'y a pas de politique publique sans évaluation. L'exemple du Canada ou d'autres pays le montrent bien : c'est là un élément déterminant de l'évolution des politiques publiques.
Le travail mené par le comité des États généraux de la justice, dans une approche systémique qui associe l'ensemble des acteurs, nous offre un éclairage fort sur la nécessité de réformer la justice en profondeur. Toutefois, comment se lancer dans ce chantier et comment prioriser les réformes que vous proposez ?
J'aimerais aussi revenir sur la question de la justice prud'homale qui concerne de nombreux citoyens. Pourquoi avoir écarté d'entrée de jeu l'échevinage ?
Enfin, s'il est vrai que nous avions accepté lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire la généralisation des cours criminelles départementales, c'était en contrepartie d'une évaluation qui est actuellement menée. Je fais partie du comité d'évaluation qui rendra son rapport dans le courant du mois d'octobre, dans lequel siègent aussi de nombreux magistrats, des représentants du ministère et notre collègue le sénateur Benarroche.
Votre rapport est de très grande qualité. Vous avez insisté sur le problème systémique qui caractérise la justice et sur la nécessité d'une perspective à long terme : nous sommes tous d'accord.
M. Sauvé a indiqué qu'il appartenait désormais au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, d'apprécier la suite à donner à vos travaux. Toutefois, entre la grande réforme systémique de long terme que vous nous recommandez et les réformes sectorielles, par où commencer ?
Vous avez mentionné la croissance du code de procédure pénale, que l'on nous a largement reprochée en tant que législateurs. Les trois causes de cette inflation sont le besoin de réformer, les lois d'émotion, et la prise en compte des exigences liées à des engagements conventionnels. Je vous remercie d'avoir marqué votre attachement à la hiérarchie des normes et au droit européen, qui nous conduit parfois à complexifier le code de procédure pénale.
Que recommanderiez-vous au législateur pour contenir cette inflation ?
Je m'interroge sur la première phrase du premier paragraphe de votre rapport, qui énonce que le nombre d'affaires est stable ou en diminution. On constate pourtant de nombreux symptômes de l'intensification de la demande de litiges dans notre société. Le volume d'activité mesurable par le chiffre d'affaires des professions du droit est en nette croissance. Cette poussée sous-jacente de la complexité ou de la conflictualité des affaires explique très largement la situation de saturation de la justice. Il faut être au clair sur le diagnostic.
J'ai un doute sur le caractère mesuré et optimalement réformiste des propositions de création d'emplois, alors que les effectifs et les professions qui nourrissent la demande judiciaire est exponentielle. Ne faudrait-il pas une appréciation systémique de la demande de traitement des litiges ? Comme le préconise le rapport, les moyens supplémentaires devront être gérés et il faudra développer un « management judiciaire », qui impliquera une autre forme de mixité, celle d'une assistance de nature plus professionnelle. En effet, on ne peut pas demander raisonnablement aux chefs de cour de jouer pleinement le rôle d'administrateur de leur juridiction sans une assistance beaucoup plus professionnelle.
Pourriez-vous nous préciser le calendrier idéal et le nombre de places de prison à construire ? Pourriez-vous également préciser votre pensée sur l'exécution des courtes peines ?
Pour m'être occupée pendant vingt-cinq ans de l'institut d'études judiciaires de Lille avec le professeur Jean-Jacques Taisne, je me suis rendue compte que les étudiants des zones populaires s'autocensuraient dans leur candidature aux concours, se considérant comme moins bien préparés que les autres. C'est dommage, car un magistrat doit être issu « du cru » pour comprendre certains faits sociologiques.
L'intégration directe de magistrats aptes à comprendre sociologiquement et historiquement la situation de certaines zones peut être une solution.
Ne faudrait-il pas intégrer la possibilité d'être formé à la faculté à la préparation au concours de l'ENM ? Si l'on prenait en charge les étudiants dès la première année de faculté, on pourrait mieux les former aux exigences du concours. Si l'on attend la cinquième année, on risque de se heurter à un manque de compétences en matière de culture générale ou autre, qui rendra difficile l'obtention du concours.
M. Molins regrette que les cours criminelles départementales aient été généralisées trop rapidement, malgré les demandes que nous avions faites, y compris dans notre groupe, de prolonger l'expérimentation. Toutefois, une évaluation est en cours, même si elle reste trop limitée, car organisée trop rapidement. Que se passera-t-il, une fois l'expérimentation terminée, lorsque cette nouvelle organisation aura été pérennisée ?
De plus, nous n'avons pas reçu d'éléments pendant la phase actuelle d'expérimentation pouvant nous faire penser que ces cours criminelles départementales contribuaient à éviter le phénomène de correctionnalisation dont vous avez parlé.
Monsieur Richard, vous avez dit que l'on constatait une nette augmentation du chiffre d'affaires des professions judiciaires. Les juridictions ont un stock d'affaires extrêmement important, mais ce ne sont pas les mêmes avocats qui plaident devant elles qui font le chiffre d'affaires que vous mentionnez. Si les juridictions pouvaient échapper à ces contentieux « de masse », la situation serait moins compliquée. Toutefois, les affaires se complexifient en matière civile et cette double contrainte a comme conséquence qu'en dépit d'une certaine diminution de leur nombre, les stocks augmentent.
Le rôle du juge des libertés civiles s'est fortement accru, car son champ d'exercice couvre tout le contentieux de la contention. Une solution consisterait à augmenter le nombre de juges des libertés, mais cela impliquerait d'augmenter aussi le nombre de greffiers. La question s'est également posée par rapport à la justice prud'homale. Les choix sont surtout budgétaires.
Nous avons considéré qu'il fallait, à périmètre constant, 1 500 magistrats supplémentaires. Combien en faudrait-il pour avoir un échevinage dans les conseils des prud'hommes ? C'est une question de priorité politique.
Madame Lherbier, quatre classes préparatoires talents ont été créées dans différentes régions. D'autres sont en cours de création, destinées à des étudiants méritants et boursiers qui pourront ainsi mieux préparer le concours. Le taux de réussite est de 25 %.
Sur les cours criminelles départementales, j'apprends avec beaucoup d'intérêt qu'une évaluation sera rendue au mois d'octobre prochain, qui permettra certainement de répondre à la question que vous posez.
Sur l'inflation législative, en 2020, on a recensé 34 textes qui ont modifié le code pénal, dont 11 lois, et 60 textes sur la procédure pénale, dont 11 lois. Le constat est clair. Je n'aurai pas l'outrecuidance de donner des conseils au Sénat sur la manière de légiférer. Cependant, trois réflexions me semblent relever du bon sens : premièrement, il y a trop de normes sur le plan pénal ; deuxièmement, il faut arrêter d'aller dans le sens d'une « fait-diversification » du droit pénal et de favoriser les lois d'émotion ; troisièmement, il faut progresser dans la qualité des études d'impact, dont certaines sont très bien faites et d'autres de moindre qualité. Voter un texte qui finira par être mal appliqué ou par ne pas l'être du tout ne peut être que préjudiciable d'un point de vue politique.
Enfin, le rapport indique clairement qu'il faut absolument que le ministère arrive à créer une synergie dans le mode de travail entre les directions normatives et les directions métiers. En effet, la situation dans laquelle nous nous trouvons résulte d'un manque de vision globale et systémique dans la mise en oeuvre des réformes que vous aviez votées.
La première fois que j'ai assisté à une audition au Sénat, c'était il y a quarante et un ans. Le président de la commission des lois était M. Léon Jozeau-Marigné, le garde des Sceaux M. Robert Badinter. Ce dernier a annoncé son programme législatif en disant il fallait faire peu de lois, mais de bonnes lois. Tous les sénateurs ont opiné. Aujourd'hui, j'ai envie de vous dire : « Chiche ? Faisons-le ! »
Le deuxième souvenir que j'évoquerai date d'il n'y a pas tout à fait quarante ans, dans le bureau du garde des Sceaux, toujours Robert Badinter, en 1983. Le député Alain Richard lui dit, à propos du milieu ouvert, qu'il faudrait sortir de l'incantation et créer un véritable service public de la probation. À l'époque, cela m'a déstabilisé, mais je dois avouer que le député Alain Richard avait raison.
Pour les SPIP, le problème est l'attractivité des métiers. Cela vaut non seulement dans ce secteur, mais aussi pour toute la fonction publique. Il faut donc repenser les métiers et les carrières de la fonction publique, développer des outils d'évaluation et instaurer une articulation entre le travail des services publics et la recherche.
En ce qui concerne la justice prud'homale, nous n'avons pas proposé l'échevinage, mais nous avons relayé une proposition importante du groupe de travail. Il faut ab initio orienter les affaires soit vers la formation paritaire si elle peut raisonnablement parvenir à un accord, soit vers la conciliation lorsqu'elle peut aboutir ; il faut d'emblée envisager le départage lorsqu'aucun accord n'est envisageable.
Enfin, nous devons parvenir à articuler la réforme globale et les réformes sectorielles. Par où commencer ? Il suffit de prendre chacune des grandes articulations du rapport. La direction des services judiciaires a sa feuille de route en ce qui concerne la gestion des ressources humaines (GRH). Le Conseil supérieur de la magistrature s'acquitte de ses obligations, mais cela ne suffit pas à garantir une bonne GRH. Le secrétariat général du ministère de la justice doit également prendre en main certains aspects, notamment la question du numérique.
Lorsque j'étais vice-président du Conseil d'État, j'ai veillé à répartir les moyens entre les juridictions, en fonction de la demande en matière de justice. C'est à notre portée et cela contribue à rétablir le moral des troupes.
Quant aux créations d'emplois, elles peuvent être suffisantes, même si le retard de la justice est désormais imputable à la complexité des affaires et à la conflictualité des procédures. Il ne faut pas aligner les moyens de la justice mécaniquement sur le développement de l'activité des professionnels du droit. Ces derniers participent pleinement aux procédures judiciaires, mais on sait aussi qu'ils contribuent à régler de nombreux litiges avant qu'on ne saisisse le ministère de la justice.
Encore une fois, il faut achever les programmes de construction pénitentiaire, tels qu'ils ont été proposés, et pour le surplus, il convient de réduire les courtes peines d'emprisonnement.
En ce qui concerne l'inflation législative, la proportion des propositions de loi par rapport à celle des projets de loi montre à l'évidence que les parlementaires ne sont pas les plus prolixes en la matière. En revanche, je dois dire que la qualité des études d'impact est un sujet que nous avons souvent évoqué dans notre commission.
Merci de votre intervention devant nous aujourd'hui.
La réunion est close à 11 h 05.