Intervention de Jean-Marc Sauvé

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 septembre 2022 à 9h00
Audition de M. Jean-Marc Sauvé président et de membres du comité des états généraux de la justice

Jean-Marc Sauvé :

Nous sommes confrontés à une double crise de la justice, universelle et nationale. La crise universelle est celle de l'autorité judiciaire, ce pouvoir public constitutionnel, inséparable de la démocratie et de l'État de droit. Le juge est devenu l'interprète de la loi ; il est désormais le juge de la loi, notamment au travers du contrôle de conventionnalité. Il coconstruit le droit, et ce dans tous les pays, ce qui introduit une rupture dans le fonctionnement des pouvoirs publics, par le biais de la judiciarisation de la vie publique, qui crée des turbulences et des tensions.

La crise nationale est celle du service public de la justice. Au cours de la dernière décennie, la demande de justice n'a pas substantiellement augmenté. Pourtant, les délais et les stocks ont augmenté, notamment en raison de la complexification du droit et de la difficulté des affaires.

L'allongement des délais est constaté dans le champ civil, dans le champ pénal, et dans le champ de la justice de protection, qui dysfonctionne également. Les retards s'accroissent pour ce qui concerne l'exécution de la justice pénale et de protection. Enfin, le malaise monte face à une justice peu compréhensible et peu accessible.

Au cours de nos travaux, nous avons dit le déficit de moyens, qui a été nié pendant longtemps, mais avoué au travers des tentatives de déjudiciarisation des vingt dernières années. Ce déficit est aussi l'incapacité à penser la justice de manière systémique et à la gérer de manière rationnelle. Les différentes réformes ont souvent ressemblé à un égrenage de mesures ponctuelles : on a appliqué quelques rustines à un dispositif qui coule progressivement.

Les réformes ont aussi été largement déconnectées des conditions de leur application. Le ministère de la justice est le temple du « légicentrisme », et rien n'a véritablement changé. Par ailleurs, la gestion de la justice fait face à des problèmes majeurs : organisation déconcentrée peu compréhensible et insuffisance du management. Il n'y a ni pilotage cohérent de l'institution ni gestion des ressources humaines digne de ce nom.

Nous proposons donc de mettre au clair le positionnement de la justice dans la société d'une part, et par rapport aux autres pouvoirs publics d'autre part. Nous ne proposons ni conseil de justice, ni séparation entre le siège et le parquet, ni remise en cause du principe de la gestion administrative et financière de la justice. Toutefois, il convient de mener des réformes importantes, notamment pour ce qui concerne le statut du parquet et les équilibres au sein du Conseil supérieur de la magistrature, en particulier au sein de la commission d'avancement.

Autre sujet très sensible, la responsabilité pénale des décideurs publics, en particulier des membres du Gouvernement : il faut supprimer la Cour de justice de la République et aménager les règles de fond de la responsabilité pénale quand les actes mis en cause découlent directement de la mise en oeuvre par les ministres et leurs collaborateurs de la politique du Gouvernement.

Je n'insiste pas sur le renforcement de la première instance. Je souligne simplement le besoin de professionnaliser la gestion des ressources humaines, qui doivent être mieux réparties, en introduisant une vision de moyen et long termes, avec des référentiels d'activité. Il faut aussi diversifier le recrutement et ouvrir la formation des magistrats. Il faut évaluer et refonder l'évaluation des chefs de juridiction, des premiers présidents de cour d'appel et des magistrats de la Cour de cassation.

La stratégie numérique doit être refondue. Il faut revoir la maîtrise d'ouvrage des applications et renforcer la place du numérique dans la conception des réformes et dans les directions du ministère de la justice : je pense aux directions des affaires civiles et des affaires criminelles, et non pas seulement à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse.

Par ailleurs, des réformes sectorielles sont indispensables. Il est nécessaire de mettre en place une véritable politique publique de la justice civile. Cette première branche de la justice, la plus noble, est aujourd'hui totalement sinistrée.

En matière de réformes statutaires, il est indispensable de séparer le grade et l'emploi, notamment pour renforcer la première instance avec des magistrats expérimentés.

Pour ce qui concerne la justice économique et sociale, nous avons un ensemble de propositions sur la justice du travail et la justice commerciale, avec l'expérimentation de tribunaux des affaires économiques et de la participation des parties au financement de la justice.

En matière pénitentiaire, je rappelle que nous avons pris position sur le sens de la peine, qui a pour objet de sanctionner des comportements déviants, de préparer la réinsertion des condamnés et de réduire le risque de récidive. Dans ce contexte, nous proposons de limiter, de manière volontariste, le recours aux courtes peines, de renforcer substantiellement les moyens du milieu ouvert, de faire revenir les services pénitentiaires d'insertion et de probation dans les juridictions, afin de personnaliser les peines, et de mettre en place un dispositif de régulation de la population carcérale qui ne soit pas un simple numerus clausus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion