Intervention de François Molins

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 septembre 2022 à 9h00
Audition de M. Jean-Marc Sauvé président et de membres du comité des états généraux de la justice

François Molins, procureur général près la Cour de cassation, membre du comité des Etats généraux de la justice :

Pour ce qui est du tribunal criminel départemental, il faut raisonner en prenant en compte la notion d'efficacité. Même si je reconnais, bien évidemment, la valeur d'une cour d'assises et d'un jury populaire, il n'est pas acceptable de devoir attendre trois ans pour qu'une affaire criminelle puisse être audiencée devant une juridiction, alors que les enjeux sont importants tant pour la victime que pour l'accusé.

Le tribunal criminel départemental se justifie pour deux raisons : d'une part, il réduit les délais de jugement ; d'autre part, il permet de lutter contre le phénomène de correctionnalisation qui tend à se développer, notamment en matière d'infractions sexuelles. Toutefois, sans remettre en cause le travail du Parlement, il est regrettable que la période d'expérimentation qui aurait dû donner lieu à une évaluation ne soit pas parvenue à son terme. En effet, dans certains départements, le tribunal criminel départemental représente un gain réel, alors que la réduction des délais est plus discutable dans d'autres. On ne pourra pas faire l'économie d'une évaluation objective et approfondie des gains et des inconvénients de cette nouvelle procédure.

Le problème des données de connexion est posé depuis déjà cinq ans. L'arrêt « Tele2 Sverige » de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui date de la fin 2016, a été confirmé à trois ou quatre reprises. Il s'agissait de prévoir l'interdiction de la conservation généralisée des données de connexion et d'en réglementer l'accès en le réservant soit à une autorité indépendante, soit à un magistrat en réalité indépendant à l'égard de la direction de l'enquête. Il n'y a plus d'espoir que la situation évolue. Hier encore, la CJUE a publié un communiqué sur un arrêt qu'elle a rendu en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation. En effet, une directive autorisait l'accès aux données de connexion pour réprimer les abus de marché. Or la CJUE a répondu que la directive sur la protection des données personnelles était la norme qui primait et que tout le reste avait une valeur inférieure. L'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet dernier montre que le juge a fait tout ce qu'il pouvait, mais que la primauté du droit européen l'emporte.

Le travail réalisé par le Conseil d'État et la Cour de cassation permet de conserver un certain nombre de garanties dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Toutefois, si la criminalité grave autorise des exceptions, elle n'est pas définie en droit français, de sorte que certains parquets généraux se plongent dans des abîmes de réflexion pour déterminer la durée des peines, entre cinq, sept et dix ans.

Par conséquent, je considère que le juge a fait tout ce qu'il a pu, il a établi clairement ce qu'on pouvait faire ou ne pas faire, il est même allé encore plus loin en procédant à un examen très strict des conditions de recevabilité des actions en nullité. De mon point de vue, la réponse au problème de l'accès aux données ne peut être que législative et il n'y aura pas de miracle. Il faudra choisir entre deux solutions : soit confier le contrôle au juge des libertés et de la détention, ce qui impliquerait de recruter 400 ou 500 juges supplémentaires, car il y a des millions et des millions de données de connexion, soit le placer sous l'autorité d'une autorité administrative indépendante, ce qui pose un problème d'ordre politique, car cela reviendrait à placer un magistrat, gardien des libertés individuelles, sous le contrôle d'une autorité administrative indépendante.

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