Intervention de Jean-Christophe Combe

Commission des affaires sociales — Réunion du 28 septembre 2022 à 15h00
Feuille de route du ministère – Audition de M. Jean-Christophe Combe ministre des solidarités de l'autonomie et des personnes handicapées

Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées :

– Le ministère dont j’ai la responsabilité est celui des solidarités concrètes et j’ai pour mission d’apporter des réponses très opérationnelles à ces problématiques. Ces réponses doivent être coconstruites avec l’ensemble des acteurs concernés : le Parlement, les collectivités locales, les associations, les entreprises, etc., mais aussi les personnes accompagnées elles-mêmes, qu’il faut impliquer très en amont dans l’élaboration des politiques publiques.

C’est aussi le ministère de toutes les vulnérabilités, du premier au dernier jour de nos vies, et je souhaite que cette manière de voir les choses nous amène à dépasser l’approche en silos, trop souvent présente dans notre pays. Il faut accompagner les personnes de manière globale.

L’ensemble des chantiers que je vais porter doit répondre à un triple objectif, mais aussi à une double urgence.

Le premier objectif, c’est d’adapter notre système aux besoins sociaux d’aujourd’hui – les familles monoparentales, la grande pauvreté ou encore le vieillissement de la population.

Le deuxième, c’est la réduction des inégalités de destin dès la naissance et tout au long de la vie pour aller vers une société réellement inclusive.

Le troisième, c’est de contribuer à la société du plein emploi. Il ne faut pas opposer l’économie et le social ; les deux fonctionnent ensemble et s’alimentent. D’ailleurs, le secteur médico-social est le quatrième secteur d’activité pourvoyeur d’emplois dans notre pays, ce qui doit nous motiver encore plus pour travailler à l’attractivité de ses métiers.

La double urgence, c’est celle du quotidien et celle d’anticiper les grandes transitions démographiques et écologiques pour mieux accompagner les populations. Notre mission est de protéger nos concitoyens les plus vulnérables face aux crises climatiques, sociales ou économiques. Nous avons répondu à cette première urgence du quotidien dès cet été avec, par exemple, la revalorisation des minima sociaux et l’allocation exceptionnelle de solidarité qui a été distribuée le 15 septembre à 11 millions de familles.

Le périmètre de mon ministère couvre donc tous les âges de la vie et il devra s’attacher à la performance de notre modèle de protection sociale et à l’inclusivité de notre société.

Concernant le début de la vie, nous allons nous atteler, dans la suite du travail entrepris par Adrien Taquet, en particulier la politique des 1 000 premiers jours, à la question du bien grandir.

La priorité du soutien aux familles se traduit directement dans le PLFSS par une hausse du budget de la branche famille de près de 1,6 milliard d’euros et par deux objectifs : favoriser l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ainsi que contribuer à la société du plein emploi, en développant l’accès à un mode de garde pour les jeunes enfants et continuer à lutter contre les inégalités de destin, en intervenant dès la petite enfance et en soutenant les familles les plus fragiles.

Pour cela, nous engageons une réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG), d’une part en révisant son barème pour permettre aux familles qui n’ont pas de place en crèche de faire garder leurs enfants au même coût par une assistante maternelle ou une garde à domicile, d’autre part en allongeant, pour les familles monoparentales, son bénéfice aux enfants de 6 à 12 ans.

Comme vous le savez, la situation de famille monoparentale concerne, dans 90 % des cas, une femme et 30 % de ces femmes vivent sous le seuil de pauvreté. La mesure que nous proposons permettra de réduire le nombre de familles monoparentales qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Nous avons également choisi d’augmenter de 50 % l’allocation de soutien familial (ASF) qui sera revalorisée de 123 à 185 euros par mois et par enfant.

La réforme du CMG s’inscrit aussi dans le cadre du lancement de la trajectoire qui nous permettra de créer 200 000 places d’accueil du jeune enfant d’ici à 2030. C’est évidemment une question très importante, en particulier pour les 160 000 parents qui, aujourd’hui, ne reprennent pas de travail faute de solution d’accueil pour leur enfant.

Nous posons ainsi la première pierre du service public de la petite enfance que le Président de la République souhaite que nous mettions en œuvre avec les collectivités locales, en particulier le bloc communal, et l’ensemble des acteurs du secteur autour de trois priorités : plus de solutions de qualité ; plus d’égalité d’accès sur le plan financier et sur l’ensemble du territoire pour répondre aux inégalités sociales et territoriales ; des réponses aux problèmes de pénurie de personnel.

Soutenir les familles, c’est aussi soutenir la parentalité et la conjugalité, mieux prévenir les conflits intrafamiliaux et les ruptures de liens familiaux. Cela est évidemment dans l’intérêt des enfants, mais aussi dans celui des parents, notamment des femmes, et dans celui de la collectivité dans son ensemble.

À l’autre bout de la vie se pose la question du bien vieillir dans un secteur en crise de confiance, confronté à la fois à l’inflation, en particulier à la flambée des prix de l’énergie, et au manque de personnel.

Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures pour restaurer la confiance dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et soutenir la transformation du secteur. Le PLFSS pour 2023 prolongera les actions engagées au début de l’année par Brigitte Bourguignon. L’impact de l’inflation sera compensé par l’extension à l’ensemble des Ehpad du gel tarifaire sur l’énergie. Dans la continuité du Ségur, nous poursuivrons les revalorisations salariales. J’ai aussi annoncé l’extension de l’augmentation du point d’indice de la fonction publique à l’ensemble du secteur, en particulier aux établissements privés.

Dans le cadre du Conseil national de la refondation, nous allons travailler sur la question de la transition démographique autour de trois axes prioritaires : la prévention, la citoyenneté et le lien social, les métiers.

En ce qui concerne la prévention, il s’agit de retarder la perte d’autonomie et de permettre aux personnes âgées de vivre dans la cité. Nous faisons ainsi le choix de la vie à domicile. Cela se traduit déjà dans le PLFSS par la création de nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), la mise en place d’une tarification qui prenne mieux en compte le profil des bénéficiaires, la revalorisation du tarif plancher pour tenir compte de l’inflation et le financement de deux heures supplémentaires chaque semaine pour les 780 000 bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile. Ces deux heures supplémentaires seront dédiées à la convivialité et à la prévention, mais elles permettront aussi d’améliorer les conditions de travail des intervenants à domicile qui subissent trop souvent des temps partiels ou fractionnés.

Bien vivre à domicile nécessite souvent d’adapter les logements. Nous travaillons donc dès maintenant au déploiement à partir de 2024 de MaPrimeAdapt’ qui permettra d’adapter au moins 400 000 logements d’ici à 2027.

En ce qui concerne la citoyenneté et le lien social, nous devons garantir la participation des personnes âgées à la société et à l’élaboration des politiques publiques et nous devons lutter contre l’isolement social, un véritable fléau pour nos aînés.

En ce qui concerne les métiers, la rémunération n’est pas le seul élément d’attractivité sur lequel nous devons travailler ; nous devons aussi agir sur la qualité de vie au travail, la formation, les parcours professionnels, la valorisation des acquis de l’expérience, etc. Cela passe par des mesures d’urgence : ainsi, malgré les difficultés de recrutement dans le secteur, nous voulons montrer notre volontarisme et engager une dynamique, en prévoyant le financement à terme de 50 000 nouveaux postes dans les Ehpad, dont une partie est inscrite dans le PLFSS pour 2023.

Devons-nous passer par une loi sur le grand âge ? J’entends beaucoup de commentaires sur ce sujet… En ce qui me concerne, je crois que, avant de choisir un contenant, nous devons parler du contenu. Il existe en fait trois temps : nous devons d’abord prendre des mesures dans le PLFSS pour répondre aux problématiques actuelles et aux urgences que connaît le secteur médico-social ; nous devons ensuite poursuivre la transformation du secteur avec le virage domiciliaire et la modernisation des Ehpad ; nous devons enfin porter une ambition forte dans le cadre du Conseil national de la refondation, cette ambition pouvant aboutir le cas échéant à des mesures législatives.

Concernant les débats actuels sur la fin de vie, les discussions que nous allons avoir et auxquelles je participerai ne doivent pas être le symbole de l’échec d’une société qui ne saurait pas prendre soin des plus vulnérables et les accompagner. Les personnes vulnérables ne sont pas un poids pour la société, mais au contraire une richesse. Ces débats ont évidemment une dimension à la fois personnelle, intime et familiale, et collective ; ils touchent à la manière dont nous considérons la fragilité, la souffrance, la liberté et la mort, et ils concernent naturellement les soignants et les aidants. Nous devrons écouter la parole de chacun.

De manière générale, notre système de protection sociale, s’il est l’un des plus performants des pays de l’OCDE, est aujourd’hui complexe ; il favorise parfois la défiance, par son illisibilité, et ne facilite pas toujours le recours aux droits. C’est pourquoi nous devons le transformer, le moderniser, à partir d’objectifs partagés pour qu’il soit plus efficace, plus juste et mieux orienté vers l’insertion des personnes. Nous devons aller vers une solidarité « à la source », en simplifiant notre système, en ciblant les aides vers ceux qui en ont réellement besoin et en inscrivant celles-ci dans un véritable parcours d’insertion.

Dans le cadre de ma feuille de route, Mme la Première ministre m’a demandé d’aboutir au renouvellement du pacte de solidarité entre l’État, les collectivités locales et les acteurs de la solidarité d’ici à la fin de cette année. Nous allons ainsi engager le renouvellement de la stratégie de lutte contre la pauvreté. J’ai déjà réuni les acteurs concernés et commencé les consultations en ce sens.

Un autre de mes objectifs est de réussir la transition écologique et solidaire. Nous devons accompagner les personnes les plus vulnérables dans ce sens, en travaillant notamment sur les trois principaux postes de dépenses contraintes des ménages : le logement, la mobilité et l’alimentation. Nous devons ainsi lutter contre la précarité énergétique, faciliter la rénovation des passoires thermiques et déployer à grande échelle des solutions solidaires de mobilité. En ce qui concerne l’alimentation, les débats sur le projet de loi de finances rectificative voté cet été ont permis de doubler les crédits de l’aide alimentaire et nous devons poursuivre les travaux sur le chèque alimentaire pour que les personnes précaires puissent avoir accès à une alimentation saine, durable et équilibrée. De manière générale, nous devons lutter contre l’obésité qui touche aujourd’hui 17 % de nos enfants.

Je sais que vous allez auditionner Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, mais je veux quand même vous dire quelques mots sur ce sujet. Le PLFSS pour 2023 respecte scrupuleusement les engagements pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap : 700 millions d’euros supplémentaires seront consacrés au développement de l’offre médico-sociale, ainsi qu’à la détection précoce et à l’accompagnement des troubles du spectre autistique et du polyhandicap ou de ceux des personnes âgées vieillissantes. Nous devons aussi mieux articuler l’école et le secteur médico-social en faveur de l’inclusion. Nous devons renouveler la stratégie de l’autisme et des troubles du neurodéveloppement qui s’achève à la fin de cette année. Des concertations vont évidemment avoir lieu sur tous ces sujets et un comité interministériel se réunira début octobre pour préparer une grande conférence du handicap pour février 2023.

En conclusion, j’aborderai deux sujets transverses indispensables pour conduire cette feuille de route : d’une part, la richesse humaine, c’est-à-dire les femmes et les hommes qui s’engagent pour mettre en œuvre la transformation de ces politiques publiques – pour sortir de la crise actuelle des vocations dans le secteur et retrouver une dynamique plus pérenne et plus structurelle, il faut en finir avec l’approche cloisonnée que nous avions jusqu’à présent – ; d’autre part, la confiance dans notre système, fragilisé par la fraude, mais aussi par la maltraitance, question majeure trop longtemps mise sous le tapis – j’ai d’ailleurs annoncé la semaine dernière la saisine du Haut Conseil de la santé publique, celle de la Conférence nationale de santé et celle de l’IGAS à cette fin, et une grande stratégie sera décidée ici à la fin de l’année.

J’aurai à cœur de rendre régulièrement des comptes sur l’avancée de cette feuille de route et la mesure de son impact. Il y va de la crédibilité de nos politiques publiques.

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