Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h35
Compétitivité de la ferme france – examen du rapport d'information

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb :

rapporteur. – Le temps nous est compté et nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Il y a trois ans, dans le cadre du groupe d’étude Agriculture et alimentation que je préside, nous présentions un rapport d’information intitulé La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ? L’alerte générale lancée par le Sénat en 2019 a été entendue et la souveraineté alimentaire est à la mode. Toutefois, le Gouvernement n’a pas encore pris la mesure de ce qui est en cours.

À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent : nous étions le deuxième exportateur mondial en 2000, nous ne sommes plus que le sixième. Nos parts de marché à l’international sont passées de 11 % en 1990 à moins de 5 % en 2021. Et encore, nous devons cette place principalement au secteur viticole, non pas en raison d’une hausse des volumes, mais d’une hausse des prix.

En parallèle, nos importations alimentaires explosent. De fournisseur, la France devient cliente, notamment de ses voisins européens. Son excédent commercial est fragile. Au total, il est passé de 12 milliards d’euros en 2011 à 8 milliards d’euros en 2021. Hors vins, nous sommes en déficit. Dans le même temps, la production stagne alors que la demande est forte : les rendements s’érodent, les productions sont de moins en moins nombreuses et la surface agricole utile recule.

Cette dépendance est très inquiétante, alors que les effets de la crise covid-19 ont rappelé l’importance de notre souveraineté et que l’arme agricole redevient géostratégique. Elle ne fait malheureusement que s’aggraver.

De ces mois d’enquête, nous tirons un constat simple : toutes les filières étudiées décrochent, car elles ne sont plus compétitives. Selon les professionnels, les chercheurs et les organismes de réflexion rencontrés, 70 % des pertes de marché de ces dernières années s’expliquent uniquement par un manque de compétitivité.

Quels sont les boulets aux pieds de nos agriculteurs ? Quatre facteurs ont été identifiés : le premier est la hausse des charges des producteurs, en raison des coûts de main-d’œuvre, de surtranspositions trop nombreuses et d’une fiscalité trop lourde ; le deuxième est une productivité en berne, due au manque d’investissement – principalement dans l’agroalimentaire, où sévit une guerre des prix dévastatrice et où la productivité a même reculé de façon continue de 1995 à 2015 – et à un effet taille d’exploitation, la Ferme France ayant choisi un modèle familial éloigné des pratiques de ses concurrents directs en Europe ; le troisième facteur est la faible défense par l’État dans les accords de libre-échange ; enfin, le quatrième facteur est le climat politico-médiatique, qui fustige un modèle agricole pourtant le plus vertueux du monde.

Depuis 2017, le Gouvernement entend résoudre le problème de compétitivité par la stratégie du « tout montée en gamme ». C’était le sens du discours de Rungis de 2018, dans lequel le Président de la République assumait promouvoir une montée en gamme pour tous, quitte à abandonner des productions non compétitives.

Cela s’est traduit par une hausse des charges, par le recentrage de la production sur le marché intérieur et par une politique en faveur des accords de libre-échange, le Gouvernement considérant que la montée en gamme pour tous préserverait les filières agricoles françaises qui gagneraient même des accords à l’export, quitte à perdre définitivement le cœur de gamme, où l’agriculture française n’avait plus vocation à figurer.

Cette politique n’a rien changé et le déclin de notre agriculture se poursuit. On me dira que, depuis 2020, une prise de conscience a eu lieu sur la souveraineté. Pourtant, la même politique continue d’être appliquée, à bas bruit. J’en veux pour preuve la circulaire publiée la semaine dernière par la Première ministre, qui fixe trois priorités au ministre de l’agriculture : souveraineté alimentaire, renouvellement des générations en agriculture et accès à une alimentation de qualité. La compétitivité ne figure pas parmi ces objectifs. On parle d’alimentation de qualité comme si le cœur de gamme produit en France, dont l’agriculture est la plus durable du monde, était d’une qualité insuffisante.

Par ce rapport, nous entendons démontrer, exemples et chiffres à l’appui, que par cette politique de montée en gamme à marche forcée, l’État fait fausse route. Au bout du compte, l’État fait courir deux risques à la France agricole : d’abord celui d’une déconnexion totale avec les attentes des consommateurs, touchés par une crise du pouvoir d’achat qui s’aggrave de jour en jour. Or qui dit montée en gamme dit hausse des prix des denrées françaises. Est-il dès lors tenable d’accélérer cette montée en gamme ? Le risque majeur serait de réserver la consommation de produits français à ceux qui peuvent se le permettre, tout en condamnant les plus modestes à ne s’alimenter qu’avec des produits importés. La situation de surproduction que connaissent les producteurs bio depuis deux ans le démontre : le pouvoir d’achat des consommateurs est limité. De nombreux producteurs ont d’ailleurs choisi la déconversion, faute de débouchés pourtant promis par l’État.

Le deuxième risque est une crise majeure de souveraineté alimentaire, car la montée en gamme favorise les importations et réduit le potentiel productif en volume, en sapant les rendements et en se spécialisant sur des niches.

Notre rapport entend conjurer ces deux risques. Notre volonté est de nous assurer que l’agriculture française suive sa vocation, la seule qui compte : nourrir les Français.

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