Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 28 septembre 2022 à 9h35
Compétitivité de la ferme france – examen du rapport d'information

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb :

rapporteur. – Les questions qui nous ont été soumises sont importantes et couvrent un champ très vaste. Je vous propose de développer six points pour tenter d’y répondre, mes collègues rapporteurs apporteront les compléments nécessaires.

Premier point, nous sommes empêtrés dans nos paradoxes et nos certitudes. Notre rapport ne met pas plus en avant un modèle qu’un autre. Il est factuel. Nous avons tenté de démontrer que nous sommes à la croisée des chemins, si nous voulons garantir une certaine durabilité à notre production agricole. Nous avons empilé tant d’éléments, parfois contradictoires, que le système ne tient plus. Nous n’en sommes plus aujourd’hui à nous interroger sur la qualité de l’alimentation. La réalité est que nous ne produisons plus et importons des produits ne répondant pas au niveau de qualité que nous imposons à notre agriculture.

Deuxième point, nous n’avions pas le temps et les moyens de traiter toutes les productions agricoles dans ce rapport. Nous nous sommes donc concentrés sur cinq productions, directement liées à la consommation quotidienne des Français. Qui ne consomme pas de pomme, de tomate, de poulet, de produit laitier ou de pain ?

Troisième point, le volume de nos exportations de pommes a été divisé par deux en dix ans, passant de 700 000 tonnes à 340 000 tonnes. Parallèlement, le volume d’importation a doublé, de 100 000 tonnes à 200 000 tonnes. Quelle en est la cause ? Le coût de la pomme est constitué à 60 % de coûts de main-d’œuvre. Les pommes italiennes se vendent 15 centimes de moins que les pommes françaises à l’export, notamment parce que les Italiens sont restés sur un système où ils font appel à toute la famille pour la récolte. Mais c’est la Pologne, avec un différentiel encore plus grand, qui s’est emparée de nos parts de marché. Nous nous concentrons donc sur le marché intérieur, ce qui nous ramène à la problématique de la montée en gamme. Nous nous ajoutons des contraintes supplémentaires : quand 450 molécules sont autorisées en Europe, il n’y en a que 300 qui le sont en France et, quand nos voisins polonais disposeront de solutions alternatives après l’interdiction du spirotétramate pour lutter contre le puceron cendré, nos producteurs de pommes ne pourront que bâcher les arbres, ce qui nécessitera l’emploi d’une main-d’œuvre dont le coût est plus élevé qu’ailleurs.

L’exemple de la pomme est parlant : nos enfants n’ont jamais mangé autant de compote et, comme, avec la montée en gamme, nous n’avons plus d’écart de tri et de pommes moches, nous fabriquons nos compotes avec des pommes polonaises ! Il en va de même pour les tomates : pratiquement toutes celles que nous retrouvons dans nos pizzas sont importées de Chine en bidon de 200 litres de coulis !

Quatrième point, avant ce rapport, je ne m’étais jamais rendu compte avec autant de force de la simplicité de notre problème. Installé comme agriculteur depuis 1995, j’ai bénéficié du progrès mécanique et technique jusqu’en 2005, ce qui a sérieusement amélioré mes conditions physiques de travail. Mais, depuis cette période, la pénibilité physique du travail de l’agriculteur a été remplacée par une pénibilité morale et psychologique, et ce sont les exploitations familiales qui subissent simultanément toutes les complications. L’éleveur laitier est payé 5 euros de l’heure et ses efforts permettent à la filière laitière française de rester la plus compétitive au monde : il faut arrêter de lui faire exploser le cerveau, de l’empêcher, en plus, de dormir la nuit pour des questions de cheptel dépassé de 12 vaches ! Savez-vous, mes chers collègues, qu’avec la prochaine réforme de la PAC, un agriculteur sera tenu d’aller lui-même photographier avec son téléphone portable tel endroit précis qu’on lui aura indiqué de sa parcelle pour justifier de ce qu’il y a planté et de ses techniques culturales ? Qui peut accepter cela ? Le patron d’une grosse exploitation agricole pourra toujours demander à l’un de ses employés d’aller prendre la fameuse photo, mais quid des exploitations familiales ? En restera-t-il encore avec de telles contraintes ?

Cinquième point, nous créons trop d’aberrations. Le coût d’investissement pour un silo de stockage de céréales passe de 400 ou 450 euros à la tonne à 1 000 euros si l’on souhaite ne pas employer d’insectide. Dans ce cas, il faut également climatiser le grain, ce qui multiplie par six les coûts de fonctionnement. En outre, de par les contraintes que nous nous imposons en surtransposant les réglementations, nous nous retrouvons avec du blé dont la valeur nutritive est inférieure à la norme mondiale, rendant nos productions inexportables.

Sixième point, nous ne nous faisons pas assez les ambassadeurs de la qualité de nos productions. Nous sommes si empêtrés dans nos paradoxes que nous finissons par tenir un discours tuant nos propres avantages. Se pose-t-on la question de la qualité de l’eau lorsqu’il est question du rejet d’antibiotiques dans le milieu environnemental ? Non ! Car, en examinant le bénéfice-risque, nous estimons qu’il faut privilégier les soins apportés aux patients.

Avec de telles contraintes, avec de tels messages négatifs, ne nous étonnons pas de manger de plus en plus de produits importés ! Si, un jour, comme ce fut le cas pour les masques, nous ne trouvons plus aucun produit dans nos étals, je ne pense pas que nous pourrons nous regarder dans une glace et nous dire que, tout ce que nous avons fait, nous l’avons bien fait !

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